Les musiciens de studio sont en deuil. Ces drôles d'oiseaux de nuit, qui vivaient le jour dans des cavernes où se façonnaient les ritournelles d'été -merveilleuses cavernes parsemées de gigantesques cendriers de métal, plats, décorées de piques mousses atténuant le son, composées, comme un bateau, de l'espace où jouaient les artistes et d'une cabine où régnait l'ingénieur du son (soutenu par un assistant) à la tête d'une console aux quatre, seize, puis vingt-quatre pistes - se produisaient le soir sur les scènes auprès des chanteuses et chanteurs, oui, ces drôles d'oiseau de nuit pleurent la mort de Marc Chantereau.
Si la peine est si grande, ce n'est pas seulement parce que cet artiste avait du talent, qu'il était encore trop jeune pour disparaître - à quel âge au fait, considère-t-on qu'il est temps de mettre les voiles? "Encore un instant monsieur le bourreau" disait la Du Barry- mais parce qu'il était aimé.
De ses confrères, de ses collègues de concerts et de rires; aimé de ceux qu'il accueillait, fraternel aussitôt, sans plus de manière ( à condition que l'on respecte un ordre des choses, et bien sûr, en cela, rien ne lui était étranger comme la démagogie).
Mais encore, il faut le souligner, Marc Chantereau était aimé parce qu'il était emblématique de son métier. Tout entier tourné vers la recherche de l'excellence mais porté par un instinct, par le désir, par l'affirmation de sa personnalité ( ce que les sociologues appellent "individuation", cet irrépressible élan de se distinguer) ce musicien protéiforme, percussionniste sachant poser ses mains sur un grand nombre de surfaces - un homme de l'art, sans doute, si l'on en croit les égéries qu'il admirait...- oui, Marc Chantereau avait su non seulement devenir un des meilleurs musiciens de son milieu, mais aussi se maintenir au premier plan, ce qui réclamait des heures de travail et beaucoup d'humilité.
Les musiciens, de studio, d'orchestre et de toujours ont l'âme en deuil. Mais avec eux tous les mélomanes qui rêvaient leurs amours en quarante-cinq tours, et songeaient que la mort, à bien y songer, ce n'était pas sérieux. Le crêpe nous fait mal en ces temps de festins. Mais notre cœur est fêlé. Nous irons boulevard Davoult, avenue Hoche et boulevard Blanqui, retourner le pavé de Paris pour y trouver de la musique, de la vraie musique, celle qui sent le plaisir et la sueur. Et quand il faudra marquer une pause, le quart-d'heure durera l'éternité.