Le jazz, à la semblance de la poésie (dont Léo Ferré disait à juste titre qu'elle n'est pas une domestique), ne se manifeste pas sur commande. Le pianiste René Urtreger estime qu'il exige une alliance du cerveau, du coeur et des tripes- et quand il parle de tripes.... En suivant le cours de l'existence, le torrent de cet artiste formidable, on est ému, le rire nous saisit, bref tout se passe encore mieux que dans la vraie vie.
Les souvenirs de musiciens, de comédiens, pèchent trop souvent par conformisme: tout commence par un beau jour et s'achève dans l'espérance, entre temps se sont ouvertes les portes de la gloire ("mais je ne veux pas trop le dire, bien entendu, suggère l'auteur en pleine crise de fausse modestie, je ne voudrais pas avoir l'air..."). Ici, rien de tout cela. Fort en saveur, comme autrefois le tarama de chez Goldenberg, aérien comme un démarquage de How high the moon, et précis sous airs de promenade, ce livre nous donne à comprendre le parcours d'un artiste-un mentsch aussi.
On vous évitera le pathos- René Urtreger déteste ça. Mais le fils de Max et Sarah, le frère cadet de notre chère Jeanne de Mirbeck, n'a pas traversé tous les jours un champ de roses. Il est aujourd'hui grand maître du be-bop et des échecs; il sait nous faire comprendre, en quelques mots, comment Tal a touché la note bleue- certaines des inspirations de ce champion, qui jouait beaucoup des diagonales, entraînent aussi loin que 'Round about midnight.
On doit remercier Agnès Desarthe. L'écrivain (écrivaine? Comme il lui plaira) joue son propre rôle au coeur du récit; nulle vanité, mais des façons de médium, une distance toujours juste qui nous permet d'approcher René Urtreger. Elle sait traduire à la fois ses colères, son humour et son immense tendresse. A dévorer de toute urgence, comme un strudel aux pommes de chez Finkelsztajn.
A lire:
"Le roi René", René Urtreger par Agnès Desarthe. Editions Odile Jacob 263 p. 21,90 €