Ô le délice de ces gros livres, quand l'hiver, quelque mauvaise grippe ou simplement le désir de vacances vous entraînent à rester bien au chaud.
Voici deux ans, Patrice Gueniffey, directeur d'études à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) publia Bonaparte, premier volume d'une aventure qui n'a pas fini de fasciner. L'ouvrage, cet automne, est paru dans la collection Folio. Bonaparte en poche, cela tient de l'oxymore, de l'impossible, et pourtant, quel plaisir...Puisqu'ici la musique seule tient sa maison, proposons quelques extraits.
Après avoir évoqué la liaison que le Premier consul entretint, durant l'été 1800, puis en 1806, avec la cantatrice Giuseppina Grassini, laquelle jouait Cléopâtre dans la partition de Haendel, dit-on, comme personne à l'époque, l'historien relate avec malice: "Cette part bourgeoise de la vie du héros en serait même le côté vaudevillesque si la tête de Bonaparte n'avait été faite de telle façon qu'il ne pouvait s'empêcher de mettre de grandes idées dans les plus petites choses. La musique n'était pas pour rien dans la décision de conduire la Grassini à Paris. Il n'entendait pas seulement prolonger ainsi les plaisirs de son court séjour milanais mais faire profiter l'opéra français du talent de la chanteuse. On sait combien il était sensible à la musique, en particulier vocale..."
On entend d'ici les mauvaises langues affirmer que dans le domaine musicale, c'est d'abord le tambour qu'affectionnait le fameux général. Erreur. Ecoutez la suite- si l'on ose écire... "Sur cette question, ses idées étaient celles du siècle: il était évidemment sensible à ses vertus politiques: "De tous les beaux arts, écrivait-il aux responsables du Conservatoire de musique de Paris en 1797, la musique est celui qui a le plus d'influence sur les passions, celui que le législateur doit le plus encourager. Un morceau de musique morale et fait de main de maître touche immanquablement le sentiment." Bon d'accord, l'expression "Musique morale" sonne mal aux oreilles contemporaines et rappelle d'autres pièces d'artillerie musicale, plus proches de nous, dont la coda se comptait par milions de victimes.
On ne doit pas oublier cependant que le Premier consul a fait venir en France les plus grands compositeurs italiens de son temps. La polémique allait reprendre de plus bel, entre les partisans de la musique germanique et les amoureux du Bel canto, mais cette querelle où se mêlaient bien des ambitions personnelles et des affrontements esthétiques allaient faire de Paris la capitale de la musique, pour une dizaine d'années. Si l'histoire est coriace, dont le sens tragique est bien connu, Patrice Gueniffey ne manque pas de nous en faire comprendre les ombres et les grandeurs. Belle journée à tous !