Vingt-troisième… telle est la position de notre pays parmi les 27 que compte l’Europe, concernant le fléau de la mortalité infantile. Cela signifie, pour le dire autrement, que la France figure au rang des nations européennes qui, aux enfants qui viennent au monde, garantissent proportionnellement le moins de chances de survie.
À titre de comparaison, en 1990 cette proportion s’avérait absolument inverse. Or, l’orientation est à la hausse depuis 2015. Comme l’indique l’INSEE, « depuis 2015, la mortalité infantile en France est supérieure à la moyenne de l’Union européenne. En effet, contrairement à la France, le taux de mortalité infantile en Europe continue de diminuer en moyenne, bien qu’à un rythme très faible depuis 2012. Il atteint 3,3 ‰ en 2020 » (Insee Focus, 301, juin 2023).
Dans leur étude croisant les sources statistiques de l’INSEE pour les données françaises, Eurostat pour les comparaisons européennes, et la Human Mortality Database pour des séries harmonisées sur 41 pays, Magali Barbieri, Directrice de recherche à l’Ined, et ses collaborateurs confirment qu’il s’agit bien d’une tendance (Communiqué de presse de l’Ined, 20 mars 2025) : la mortalité infantile ne diminue plus. À leur suite, inutile de marteler les taux, qui parlent d’eux-mêmes. Indiquons juste que cette mortalité-là oscille en France entre 4,5 et 3,7‰, alors même que la moyenne européenne s’achemine peu à peu vers 3‰, et où certains pays (comme le Portugal) ont des scores pour deux fois inférieurs…
Des travaux un peu moins récents l’annonçaient déjà en 2019, avec une certaine exactitude : ainsi Bernard Branger et Georges Picherot (« La mortalité infantile en France ne baisse plus depuis 10 ans », dans Perfectionnement en Pédiatrie, 2.4), observent-ils « une stagnation de la mortalité infantile en France depuis 10 ans autour de 3,7 ‰ avec environ 2900 décès par an en 2017, soit un excès de ∼1500 décès si la France avait suivi les taux de la Finlande ou du Japon autour de 2 ‰ », avec cette conclusion : « le premier ‘réflexe’ des professionnels des soins est de se demander si la qualité des soins est en cause ».
Remontons en 1973 : cette année-là paraît une étude de Marie-Claude Gérard et Solange Hémery (Economie et statistique, 48), qui prévient alors, chiffres à l’appui, que « les disparités […] entre catégories sociales sont parfois importantes, les taux de mortalité variant dans le rapport de 1 à 2,5. Le taux de mortalité infantile de certaines catégories est celui observé il y a un peu plus de 20 ans pour les catégories les plus favorisées ».
De fait, à qui la faute ? À la pauvreté, c’est certain. Mais aussi à une politique de santé publique défavorable aux plus déshérités, parmi lesquels les femmes seules avec enfant, les précaires, les « sans dents », pour reprendre l’expression d’un Président de la République redevenu député parmi les moins assidus. Et l’INSEE d’enfoncer le clou, dans son étude parue le jeudi 10 avril 2025 : depuis 2011, le taux de mortalité infantile a « légèrement augmenté », passant de 3,5 décès pour 1.000 enfants nés vivants à 4,1 pour 1.000 en 2024 : « Cela signifie qu'un enfant sur 250 meurt avant son premier anniversaire », tout en précisant que le « risque est aussi plus élevé pour les mères très jeunes ou très âgées, les employées, les ouvrières, les inactives ». Et à cet égard, la comparaison entre la France dite « métropolitaine » et l’Outre-mer est d’autant plus frappante que sur ces derniers territoires : « la pauvreté y étant plus répandue, [cela] peut influencer la santé de l'enfant ».
Dans un indécent discours sur le « réarmement démographique » du pays, notre actuel président de la République a présenté, en 2024, une allocution pétrie d’aberrations, en dehors même des termes employés. Certes, le mouvement de fond existe (depuis 1975, plus de 70 % des maternités françaises ont fermé, selon la DREES, 2022), mais il convient de noter que la proportion de femmes résidant à plus de 45 minutes d’une maternité a considérablement augmenté de 2000 à 2017 (Études et Résultats 1201 de la DREES, 2021). Or, plusieurs travaux montrent qu’à partir de ce laps de temps, le taux de mortalité de l’enfant double du fait seul de ces conditions d’accès.
Évidemment, là n’est pas la seule cause, or les contraintes organisationnelles et budgétaires ne font qu’en conforter la débâcle. Comparaison n’est pas raison, mais soulignons par exemple avec Francis Puech (2019 : « Le temps, les temporalités et l’état de l’organisation des soins en périnatalité en France », Périnatalité, 11.2), qu’« en Suède, il y a 350 sages-femmes pour 100 000 habitants en âge de procréer et 150 en France, 15 naissances par an par sage-femme contre 41 en France ». Au manque de personnels, à son tour, de resserrer l’étau...