On pourrait penser qu’avoir raconté l’Histoire par le biais de ce que l’on appelle des « anecdotes », des bouts de vie serait léger. Ou encore que cela ne se fait pas, ne se dit pas.
Mais c’est bien la petite histoire qui fait la grande, ce sont bien les anecdotes de la vie, celles de la « vraie » vie, les comportements au quotidien, les ressorts des décisions prises, qui montrent paradoxalement la profondeur des événements, permettent de les lire, illustrent concrètement le chemin pris. C’est ce qui nous permet de comprendre qui l’on a vraiment en face de soi. Car, ce qui est important, c’est d’identifier les motivations et d’analyser les comportements.
J’ai voulu montrer que, « ce n’est pas de donner à voir ce qui est », qui doit être pointé du doigt, mais le fait de le cacher, par duplicité ou par confort personnel.
Il m’est donc apparu primordial de faire remonter à la surface « ce que l’on ne veut pas que je vous dise. »
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Extraits :
« Au nom de toutes mes passions, de tous mes combats, de toutes mes volontés, mes déterminations, j’ai rejoint et soutenu cet espoir nouveau que représentait Emmanuel Macron en 2017 et j’ai été élue à l’Assemblée nationale, députée des Hauts-de-Seine.
Car il me semblait que l’objectif principal des dix années à venir était de faire de l’égalité des chances une réalité, de donner à chacun, à chacune, les moyens de sortir des assignations à résidence de quelque nature qu’elles soient, de s’adapter à un monde en pleine évolution et de réduire les fractures économiques, culturelles, sociales, géographiques et territoriales.
C’était à mes yeux un enjeu de moyen et long terme auquel il fallait aussi apporter des solutions concrètes et rapides si nous voulions réduire à la fois l’abstention et les tentations de repli sur soi, en apportant un véritable changement au quotidien.
C’était ce à quoi s’était engagé le candidat Emmanuel Macron, ou du moins, c’était la direction vers laquelle il se proposait de nous emmener.
Les déceptions, petites et grandes, se sont très vite accumulées et, dans un réflexe de survie intérieure, j’ai été une des premières à quitter le groupe parlementaire de cette République qui se disait «en marche», le 17 septembre 2018 exactement.
Amoureuse de la littérature, du cinéma, de la musique, de la peinture, de la photo, de la sculpture... – de tous les arts ! –, je me suis construite à travers un engagement constant au service de la préservation de la diversité culturelle, de l’éducation au sensible et de l’enrichissement que nous apporte la rencontre avec les autres cultures ; à travers des engagements d’intérêt général, à la présidence de la commission culture de la région Île-de-France ; en occupant les fonctions de maire adjointe chargée des affaires culturelles mais aussi en tant que membre pendant de longues années du Haut Conseil à l’éducation artistique et culturelle. À travers des engagements syndicaux, comme présidente de la Chambre syndicale des producteurs et comme présidente du Bureau de liaison des industries cinématographiques.
Mais aussi et surtout à travers mon métier de productrice de cinéma indépendante et à la tête d’Orange Studio. J’ai ainsi produit ou coproduit des films aussi différents que le multi-oscarisé The Artist de Michel Hazanavicius, Gainsbourg de Joann Sfar, Dobermann de Jan Kounen ou Les Beaux Gosses de Riad Sattouf, des films abordant des sujets de société comme 24 jours, la vérité sur l’affaire Ilan Halimi d’Alexandre Arcady, Welcome de Philippe Lioret, Solutions locales pour un désordre global de Coline Serreau ou encore Les Héritiers de Marie-Castille Mention-Schaar, ou des sujets du monde comme No Man’s Land de Danis Tanović, oscar du meilleur film étranger, Timbuktu d’Abderrahmane Sissako et bien d’autres encore.
Je suis convaincue que la manière d’exercer le pouvoir dessine notre modèle de société, et il était temps pour moi de témoigner de ce que j’ai vu, entendu, vécu de l’intérieur qui mine notre vie démocratique, nos vies et nos espérances.
Je fais partie de celles et ceux qui pensent toujours qu’il est préférable de rejeter les approches idéologiques ou dogmatiques. Que de vies sacrifiées en leur nom ! Aujourd’hui, face au vide idéologique du macronisme, à sa vacuité, il est certes de bon ton de penser que nous avons besoin du retour des idéologies. Mais les idéologies enferment, créent des schismes entre les êtres humains qui deviennent des abysses. Elles séparent et créent des fractures irréparables. Et le macronisme est aussi une idéologie. Celle du progressisme technocratique qui nous mène droit dans le mur. Il est moins aisé de cerner le progressisme dans sa dimension idéologique, puisque sa force c’est aussi de prétendre ne pas en être une, mais la définition qu’en donne l’essayiste Dwight Macdonald en 1946 est saisissante : « Un groupe de gens sont installés dans un bolide fonçant tout droit dans un précipice. En voyant d’autres assis sans rien faire au bord de la route, ils crient : “Ce que vous êtes négatifs ! Regardez-nous ! Nous allons quelque part, nous faisons vraiment quelque chose, nous !” »
Et c’est ce sentiment diffus que nous éprouvons, que l’on nous emmène droit là où nous ne voulons pas aller. D’une manière ou d’une autre.
Les idéologies, quelles qu’elles soient, relèvent à mes yeux de la manipulation. Celle qui vous fait croire que ce sera mieux demain, sans qu’une seule journée vous amène un tant soit peu et de manière concrète vers ces lendemains promis. Les promesses vaines s’enchaînent. Les déceptions, la désillusion et la perte de confiance.
Pour moi, une personne peut se sentir de gauche ou de droite, si elle le souhaite, c’est son droit et sa liberté, mais cette seule moitié ne saurait rendre compte de ce qu’elle est réellement, avec toutes ses nuances. À l’évidence, elle est bien plus que cela. Ce serait renoncer à toutes les dimensions d’un être humain. Ma vie m’a amenée à me positionner au centre droit, mais jamais à m’y enfermer et à dépendre de la politique. L’idéologie enferme et prive de la possibilité de « voir ailleurs », de changer de point de vue. Ce qui ne signifie pas penser ou dire tout et son contraire, mais qui permet d’ajuster et de changer l’angle à travers lequel on regarde les choses, le monde. C’est ce qui permet, et ce n’est pas paradoxal, de ne pas trahir ses convictions profondes.
Comme beaucoup d’entre nous, je le sais, j’ai soif d’idéal. Et j’ai soif que cet idéal s’incarne. Aller sur le terrain, chercher à comprendre, rencontrer, écouter, entendre, y compris ce qui peut remettre en cause nos croyances ou nos intuitions, s’imprégner et surtout ressentir, éprouver. C’est le seul chemin qui permette de ne pas se laisser aller à créer des mondes virtuels dans lesquels on s’enferme confortablement ou inconfortablement. C’est le seul chemin pour influer sur le réel. Car je ne me résigne pas à ce que mes idéaux ne s’incarnent pas. C’est ce qui me motive. C’est ce qui me fait me lever chaque matin. C’est pour moi une nécessité aussi réelle et nécessaire que le fait de respirer.
Certaines et certains me reprocheront d’être trop crédule et naïve. J’accepte et j’accueille ces reproches. Je ne peux nier, par exemple, que j’ai cru en François Bayrou, en Emmanuel Macron et que, finalement, je me suis trompée sur leurs intentions, sur leurs motivations.
L’important, c’est de s’en rendre compte, de ne pas persévérer dans l’illusion et d’assumer. Être libre, c’est un choix qui dépend de vous et uniquement de vous.
En revanche, vous devez toujours en accepter les conséquences. Celles-ci peuvent être dures, mais elles ne sont que passagères. Certains passages sont beaucoup plus longs et difficiles que d’autres. Des « traversées du désert » peuvent même se compter en années. Cette acceptation n’a rien d’évident, mais elle est nécessaire pour passer l’obstacle.
J’ai décidé à la fois de quitter Emmanuel Macron, qui s’éloignait à son tour de ses promesses, et d’abandonner toute étiquette politique.
Tout simplement pour ne pas m’auto-trahir, trahir mes convictions, pas celles qui fondent une idéologie mais celles qui fondent ce que vous êtes, la part non négociable en vous.
J’ai été souvent trahie. Comme tout un chacun.
Je pense que trahir les autres, c’est se trahir avant tout soi-même. Il me peine de voir tant d’hommes et de femmes abdiquer leurs aspirations premières, celles qui les ont menés à s’impliquer en politique, tout simplement pour l’argent, le statut social ou la détention du pouvoir.
Le pouvoir, quel qu’il soit, comme chacun le sait, peut rendre « fou », pas seulement en politique comme nous le verrons. Mais en politique, il y a ce sentiment encore plus fort de trahison, car nos dirigeants tiennent véritablement une partie de notre destin entre leurs mains, alors qu’ils ont été élus et nous représentent ou ont été nommés par celles et ceux que nous élisons.
C’est aussi pour cela que j’ai choisi de ne jamais dépendre financièrement de la politique et de pouvoir m’en rapprocher comme m’en éloigner si mes convictions étaient profondément malmenées.
Sans ces fondamentaux, il est tout simplement impossible de construire en confiance. Pouvoir s’appuyer solidement les uns sur les autres, c’est ce qui permet de passer ensemble les épreuves et d’atteindre ses objectifs.
C’est aussi ce que raconte ce livre. Que fidélité n’est pas servilité. Et que liberté n’est pas opportunisme. C’est toute ma vie.
Des couloirs de l’Assemblée nationale à Hollywood, d’Emmanuel Macron à la production d’un film, des rencontres marquantes en politique ou dans la culture, j’ai souhaité vous raconter les passages les plus significatifs de ma vie, ceux qui peuvent permettre de comprendre qu’il est vital de mettre ses actes en conformité avec ses paroles. Que les paroles doivent s’incarner dans la vraie vie. Que la séduction et la manipulation ne durent qu’un temps.
Au travers de ce récit, je propose aussi des idées, des réflexions sur les changements à apporter en profondeur pour changer de logiciel et limiter les excès délétères dans l’exercice du pouvoir. Mais aussi un chemin, des réflexions sur la méthode pour y parvenir.
Il faut maintenant sortir de ce qui nous a conduits pendant des années à l’impuissance. Et c’est parce qu’un autre chemin est à la fois nécessaire et possible, et parce qu’il est urgent de remettre les choses à l’endroit, qu’il y a de l’espoir.
Ce qui est en jeu, c’est bien notre démocratie et l’efficience des politiques publiques.
J’ai la conviction profonde que donner à voir ce qui accroît les injustices et la souffrance, comment ce mal s’insère par tous les pores de notre société, est en fait un acte positif. Pas besoin de jugement pour cela. Mettre de la lumière tout simplement sur ce qui est, permet de chasser ce qui ne peut se développer et s’épanouir que dans l’obscurité. Et laisse ainsi la place à autre chose.
Si on ne dit pas les choses comme elles sont dans toutes leurs dimensions, si l’on adopte un seul point de vue, celui de nos idéologies et de nos croyances, comment peut-on réparer et tracer un chemin ?
Ce que je souhaitais passer essentiellement comme message, c’est la nécessité absolue d’un changement en profondeur, d’un bouleversement. Non d’une révolution qui nous ferait revenir exactement au même endroit.
Au-delà des anecdotes et des personnes dont j’ai parlé – que j’ai eu à connaître et qui sont là pour démontrer que les personnalités des uns, des unes et des autres accentuent les dysfonctionnements –, c’est bien le logiciel, le « programme » qu’il faut changer.
Depuis trente ou quarante ans, nous avons : soit des dirigeants ou des responsables politiques qui font semblant de résoudre les problèmes, alors qu’ils savent que c’est plus compliqué qu’ils ne l’affichent ; soit des dirigeants cyniques qui savent très bien qu’ils ne résoudront rien du tout mais qui occupent les fonctions ; soit des dirigeants qui sont persuadés qu’« ils font » alors qu’ils sont dans la matrice et non dans la réalité ; soit encore des bonnes volontés mais qui, isolées, ont peu d’influence sur le réel ou que l’on ne laisse pas longtemps en avoir.
D’autres, qui n’ont pas encore pris le pouvoir, sont restés bloqués dans les plis d’une matrice d’un autre âge et nous proposent des idéologies dépassées, des replis sur soi, des tentations totalitaires ou autoritaires.
Et comme nous n’avons pas « essayé », la tentation peut être grande. Une imposture chasse l’autre. Elles ont comme dénominateur commun de nous asservir encore davantage et de nous assigner à résidence dans un camp ou dans un autre.
Écrire, c’est tenter de dire ce qui est, qui n’est pas toujours ce que l’on souhaite, c’est affronter la réalité, celle de la finitude de notre planète. Mais écrire est aussi un geste d’espoir. Porter avec d’autres l’idée que nous pouvons, chacun de nous, à la place qui est la nôtre, décider de « remettre les choses à l’endroit » et cesser d’inverser les valeurs fondamentales.
Parce qu’il est temps de rompre avec le cynisme et l’égoïsme et d’enfin comprendre et accepter que nous sommes toutes et tous relié·es. Que ce que nous faisons à l’autre, quel qu’il soit, c’est à nous-mêmes que nous le faisons. »
Frédérique Dumas est une productrice de cinéma et femme politique française. Après différentes expériences politiques, elle est aujourd'hui députée de la 13e circonscription des Hauts-de-Seine et membre de la commission des Affaires européennes et de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale.
« Elle est une des rares à avoir un pied dans l'imaginaire et l'autre dans la réalité.» Atiq Rahimi, prix Goncourt 2008

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