Dans sa décision du 4 septembre 2025, la CEDH vient une nouvelle fois confirmer la nécessité de faire figurer dans la loi pénale française en matière de violences sexuelles, une définition claire et objective du consentement et nous convie à faire de même des facteurs de contrainte pesant sur les victimes.
Déjà, le 24 avril 2025 (Affaire L. et autres c. France), elle condamnait la France du fait d’une application trop restrictive de la notion de « surprise » qui est un élément constitutif du viol[1].
Pour s’en expliquer, elle faisait référence à un avis qu’avait donné le parquet à la Cour de cassation au cours de la procédure française. Dans cet avis, l’avocat général relevait l’insuffisance de notre droit à couvrir la majorité des situations de viol, c’est-à-dire celles pour lesquelles il n’y a pas d’élément coercitif (« violence, contrainte, menace, surprise ») dans l’instant du viol, mais un état de vulnérabilité et des circonstances permettant à l’agresseur de profiter de la situation pour violer.
En l’occurrence, la victime était dans un état avancé d’alcoolisation qui viciait nécessairement son consentement. Nul besoin de violence, contrainte, menace surprise pour parvenir à la pénétrer contre sa volonté. Elle était sans défense, il n’avait qu’à se servir.
Cette décision attirait déjà fermement l’attention des pouvoirs publics sur les bienfaits d’une définition stipulant que le consentement doit être entendu comme libre et éclairé et qu’il convient de l’examiner au regard des circonstances environnantes.
Dans sa dernière décision du 4 septembre 2025 à l’encontre la France, la Cour apporte encore de l’eau au moulin des partisan.es de la réforme.
Elle conforte tout d’abord, l’inscription dans la loi d’une définition du consentement en tant que manifestation de la volonté révocable.
En l’espèce, l’agresseur avait fait signer à la victime un contrat sadomasochiste.
En parfait accord avec l’avis du conseil d’Etat du 6 mars 2025 sur le projet en cours de réforme de notre code pénal, et dans le prolongement de sa décision du 23 janvier 2025 (Affaire H.W. c. France) affirmant que le consentement au mariage ne garantit nullement le consentement futur à des relations sexuelles, la CEDH vient rappeler de manière très claire qu’aucun contrat antérieur n’engage le consentement de la victime à l’instant des faits.
« (…) le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances (H.W. c. France, précité, § 91).
Dès lors, aucune forme d’engagement passé – y compris sous la forme d’un contrat écrit – n’est susceptible de caractériser un consentement actuel à une pratique sexuelle déterminée, le consentement étant par nature révocable. La cour d’appel de Nancy ne pouvait donc s’appuyer sur la signature du « contrat » établi entre K.B. et E.A. pour considérer que celle-ci était réputée avoir consenti à l’ensemble des pratiques sexuelles violentes qui lui avaient ultérieurement été infligées (voir, également, mutatis mutantis, X c. Chypre, précité, § 119). Il lui incombait au contraire, sans tenir aucun compte de ce document, d’examiner les allégations d’E.A. selon lesquelles certains actes sexuels avaient été commis contre son gré ou s’étaient poursuivis alors même qu’elle avait supplié K.B. d’y mettre fin. »
La Cour va même plus loin en affirmant que le fait pour la juridiction d’opposer ce contrat à la victime pour en déduire son consentement, l’a exposée à une forme de victimisation secondaire.
Cette décision vient ici confirmer ce que nous avons maintes fois soutenu en tant qu’avocates féministes engagées pour la réforme : l’argument selon lequel l’introduction du consentement dans la loi pénale des violences sexuelle conduirait à valider le contrat sexuel est un parfait contre-sens (et ce d’autant plus que par ailleurs l’achat d’acte sexuel est pénalisé).
A ce titre, la révocabilité du consentement est évidemment un gage de pouvoir défendre plus efficacement les victimes de violences sexuelles notamment dans un cadre pornographique et prostitutionnel.
Se faisant, la jurisprudence européenne encourage l’inscription de l’irrévocabilité du consentement dans notre Code pénal, et ce d’autant que figure parmi les obligations positives des Etats membres, la défense (entendue comme efficiente et efficace) de toutes les victimes de violences sexuelles qu’elles soient épouses ou prostituées.
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En second lieu, la Cour rejoint les revendications féministes qui ne cessent de réclamer une définition pénale plus précise et objective de la notion de contrainte pour tenir compte de tous les éléments de compréhension de la mécanique de pouvoir à l’œuvre dans l’exercice des violences sexuelles : ascendant moral, statut social, lien hiérarchique, dépendance économique de ou à l’agresseur, vulnérabilités de la victime (https://www.lgdj.fr/sexe-et-democratie-9782735130795.html.)
Il n’est malheureusement par rare encore d’entendre ou de lire des magistrats affirmer que les litiges de violences sexuelles « c’est compliqué parce que « c’est parole contre parole » et que l’on manque d’éléments objectifs, alors même qu’ils omettent souvent d’examiner ceux dont ils disposent pour étayer les récits[2].
Cette-fois ci, la Cour reproche à la juridiction française d’avoir omis de se livrer à une appréciation contextuelle des faits au regard des circonstances environnantes, en ne tenant pas compte de la situation de vulnérabilité de la victime, du contrôle coercitif exercé par l’agresseur, et de la dégradation de sa santé mentale.
Faisant œuvre de pédagogie, elle a entrepris de préciser ce qu’il convient d’entendre par « circonstances environnantes » en nommant les différents facteurs de contraintes qui favorisent l’exercice de la coercition sur la victime et sont susceptibles d’entraver sa liberté de dire non et la possibilité de repousser l’agresseur.
Au nombre des circonstances que la Cour a jugées pertinentes pour l’appréciation du consentement, figurent notamment :
- l’existence d’une relation déséquilibrée entre le prévenu et la victime des faits (Z c. République tchèque, précité, §§ 55-61, et L. et autres c. France, précité, § 221),
- le jeune âge de la plaignante et sa différence d’âge avec le prévenu (M.C. c. Bulgarie, précité, §§ 164 et 183, M.G.C. c. Roumanie, précité, § 69, et L. et autres c. France, précité, §§ 217, 221, 236 et 242),
- les fragilités psychiques de la victime et sa particulière vulnérabilité (Z c. République tchèque, précité, § 57, Y c. République tchèque, no 10145/22, § 69, 12 décembre 2024 et L. et autres c. France, précité, §§ 220 et 221),
- sa capacité de discernement (ibidem, §§ 216, 222 et 249),
- son manque d’expérience en matière sexuelle (ibidem, §§ 236 et 242),
- son état d’alcoolisation et d’intoxication (X c. Grèce, précité, § 82, L. et autres c. France, précité, § 221, X c. Chypre, précité, § 117),
- les facteurs expliquant son état de sidération au moment des faits (M.C. c. Bulgarie, précité, §§ 156‑166 et 183, Z c. Bulgarie, précité, § 76 et ibidem, §§ 242-244),
- le retentissement psychologique des faits chez la victime (X c. Grèce, précité, §§ 79 et 82, et Z c. République tchèque, précité, § 57),
- la connaissance de l’auteur des éléments de vulnérabilité de la victime (ibidem, §§ 221 242),
- l’abus d’une relation de confiance ou de son statut par l’auteur à des fins sexuelles. (Z c. République tchèque, précité, § 57, et L. et autres c. France, précité, § 221),
- l’isolement de la victime,
- sa présence dans un lieu désert,
- la pluralité d’agresseurs (M.C. c. Bulgarie, précité, § 180, M.G.C. c. Roumanie, précité, § 68, L. et autres c. France, précité, § 236, et X c. Chypre, précité, § 117).
Et la Cour de souligner spécifiquement que dans le cadre professionnel, une relation de pouvoir et de subordination est un élément important pour l’appréciation des preuves et du comportement de la victime.
Sa décision est sans appel, le système judiciaire français a été défaillant dans son appréciation de l’ensemble de ses éléments.
La Cour accompagne ici une réflexion nourrie par la pratique du droit de la défense des victimes basée sur la réunion d’un faisceau d’indices examinés globalement et concrètement, qui fera date. Car elle invite à élargir le champ de la preuve, au regard de la réalité des faits (« toutes la série de réactions comportementales de la victime à la violence sexuelle ») et non d’une attitude supposément attendue (« typique ») de la victime, mais aussi de l’ensemble des facteurs de contrainte pertinents pesant sur elle (« les circonstances environnantes » rebaptisées « contexte » lors du vote de la réforme française en cours, au Sénat le 18 juin 2025).
La Cour européenne nous dicte presque les termes de la réforme à venir qu’avec de nombreuses consœurs, collègues juristes, magistrat.es, professeur.es, associations, nous appelons de nos vœux[3], pour justement sanctuariser un traitement plus efficace des violences sexuelles, et offrir plus de garanties aux victimes contre l’aléas judiciaire.
Il est plus qu’impératif que le processus législatif en cours aboutisse.
C’est tout autant une obligation qu’un devoir politique à l’égard des centaines de milliers de victimes qui réclament de pouvoir mieux se défendre.
Car, pour la très grande majorité de nos dossiers, pour peu qu’on la définisse ainsi, la contrainte est parfaitement démontrable.
Frédérique POLLET ROUYER
Avocate au Barreau de Paris
[1] Pour rappel l’article 222-23 du Code pénal définit actuellement le viol comme tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d'autrui ou sur la personne de l'auteur par violence, contrainte, menace ou surprise.
[2] Encore récemment, un magistrat intervenant auprès des magistrats en formation à l’ENM : https://www.enm.justice.fr/actu-03092025-comment-juger-une-infraction-sexuelle-que-le-mis-en-cause-conteste
[3] https://consentementfeministe.fr/