A mon tour de rendre hommage à Madame Gisèle Pélicot, si juste à sa place de victime au combat et à la force qu’elle insuffle. Elle a fait que ce procès soit public et populaire, bien qu’il ait été privé d’une Cour d’Assises. Un procès historique qui, par l’effet grossissant de l’ampleur des crimes et de la qualité des preuves, permet d’autopsier le viol comme rarement.
Les études féministes ont depuis longtemps mis à jour la mécanique du viol et l’organisation sociale qui en favorise la reproduction, où le viol est un privilège masculin ancré dans un patriarcat tenace.
Ce procès, du fait du grand nombre d’accusés, de tous milieux, montre à quel point le viol est ordinaire, l’imprégnation de la culture du viol, la vitalité de ce droit que s’arrogent les hommes de soumettre et d’effracter une femme. Le parcours de Gisèle Pélicot souligne aussi combien les crimes ont été facilités par l’absence de réponse institutionnelle à la hauteur du fléau, afin de protéger les victimes qu’il s’agisse de prévenir les violences, comme de les détecter et de les poursuivre.
Mais là où la loupe plus encore, permet l’éclairage, c’est sur la nature même du viol.
Dominique Pélicot invite des hommes à violer sa femme en intitulant son offre « à son insu », et les hommes se présentent dans ce but. Le rituel une fois sur place, se déshabiller dans la cuisine, ne pas faire de bruit, ne pas mettre de parfum, vise précisément à ne pas éveiller Gisèle Pélicot. L’état dans lequel elle se trouve quasi comateux, ne laisse pas de doute sur l’impossibilité dans laquelle elle se trouve de conscientiser la situation et d’y consentir.
Les débats et des pièces du dossier établissent que les accusés n’ont cessé de s’assurer de l’état d’inconscience de Gisèle Pélicot et qu’elle y soit maintenue, et que c’est ce qu’ils sont précisément venus chercher, une femme qui n’a pas son mot à dire.
Autrement dit, ce procès désigne l’essence même du viol qui réside non pas tant dans le fait de pénétrer quelqu’une qui ne le voulait pas, que dans le fait de la pénétrer parce qu’elle ne le veut pas. Il s’agit de prendre ce que l’autre ne donne pas volontairement et d’assouvir, dans la capitulation de toute dignité humaine, une volonté de puissance. C’est ce qui en fait un acte de barbarie en soi.
Dans la même foulée, ce procès désigne aussi la quintessence de la prostitution. Pour avoir livré sa femme à des hommes comme on cède une propriété, Dominique Pélicot est aussi un prostitueur.
Et l’on voit bien que le viol est au cœur de la prostitution et ce que le client vient y chercher. L’argent n’y change rien. Preuve en est, quand c’est gratuit, le client se précipite.
Le second projecteur du procès est pour ce que les études féministes qualifient depuis longtemps de stratégie de l’agresseur, que ce soit dans la commission des crimes comme dans sa défense. Deux tiers des accusés plaident non coupables, on se réclame de l’autorisation du mari, du libertinage. On soutient qu’on ne pouvait pas savoir qu’elle ne voulait pas. On va même jusqu’à dire qu’on n’a pas violé, tout simplement.
Compte tenu des éléments au dossier, Dominique Pélicot ne peut décidément pas se le permettre et n’a pas d’autre choix que de mettre en avant son parcours et sa personnalité.
Il ne s’agit pas de remettre en cause la nécessité d’investiguer ces aspects, l’individualisation des peines est un principe respectable. En revanche, la vigilance s’impose s’agissant de ce que l’on fait de ces informations. Le fait que plusieurs des accusés aient été violentés dans l’enfance confirme que la pédocriminalité fabrique des victimes mais aussi, pour certaines d’entre elles, de la violence à leur tour.
Une violence au service de laquelle le violeur créer les conditions propices à sa commission.
La figure du bon père de famille, du gentil mari et de bon copain est en effet le meilleur visage que Dominique Pélicot pouvait se donner pour parvenir à ses fins.
Un leurre que sa fille, elle-même, a dénoncé dès son audition policière, à la vue des photos et vidéos réalisées par son père.
Le mode opératoire de l’auteur ne consiste pas seulement à organiser les viols, il orchestre son impunité pour pouvoir persévérer dans ses crimes. Dominique Pélicot est passé maître en la matière, c’est pourquoi ni les violences qu’ils a subies enfant ni la figure du « type bien » ne sauraient contribuer, de quelque manière que ce soit, à masquer ou minimiser le degré de perversité et de dangerosité de cet homme qui accompagnait sa femme à ses rendez-vous médicaux, nécessités par les troubles dont il était la cause.
Dominique Pélicot prendra la perche qui lui a tendue l’un des experts, Paul Benssoussan, apôtre du syndrome d’aliénation parentale et poursuivi devant l’ordre des médecins par plusieurs associations de protection de l’enfance qui lui reprochent ses manquements déontologiques. (https://www.mediapart.fr/journal/france/080422/violences-intrafamiliales-quatre-associations-attaquent-l-expert-paul-bensussan)
Une perche reprise à la volée de média en media, ce qui en fait presque une propagande : l’éternel mystère du criminel et son prétendu clivage.
Pas l’ombre d’un fondement scientifique, mais la rescousse du mythe littéraire, Dr Jekyll et Mister Hyde, pour nous dire qu’il faut séparer l’homme du violeur et gober cela, sans se demander de qui ça sert les intérêts.
Ce procès souligne aussi l’ardeur des stéréotypes de genre, du sexisme et de la misogynie dans l’imaginaire collectif et le traitement judiciaire de ces crimes.
On exhume des photos dites mutines de Gisèle Pélicot. Il parait qu’elle a fait du naturisme. On fait des liens avec les viols pour s’assurer qu’elle n’y aurait pas, un peu, quand même, consenti quelque part…
Cela n’est possible que parce que l’on présume encore qu’à tout moment, par tout homme, quelle que soit les circonstances, une femme est sexuellement disponible, et que des photos faites avec son mari dans l’intimité ou le fait de sortir nue de la salle de bain, vaudraient consentement, même à des pénétrations innombrables par des inconnus, en état de sédation ?
C’est absurde et pourtant, la présomption de consentement sexuel des femmes dont l’expression est ici poussée à l’extrême, est aussi au cœur de la définition pénale du viol, ce qui constitue un obstacle majeur à la poursuite des viols (les chiffres sont accablants) et à la compréhension de la réalité des violences.
On ne doit plus passer notre temps à se demander si un silence, une absence de réaction, une impossibilité de réagir du fait de l’alcool, la drogue, la différence d’âge ou de l’ascendant du violeur, ou encore si des photos mutines, une jupe courte, un air affable dans une soirée, valent consentement. Mais plutôt se demander en quoi ce consentement était actif, volontaire, express et libre tout au long de l’acte sexuel.
On ne doit plus passer notre temps à se demander si monsieur pouvait ne pas savoir qu’elle ne consentait pas, mais plutôt lui demander quelles mesures raisonnables au regard des circonstances, il a prises pour s’assurer de son consentement.
Nous devons également pouvoir préciser les situations de contrainte qui ont entravé la liberté de dire non ou forcer à dire oui. « Un oui est un oui » mais pas à n’importe quelles conditions, en particulier en présence de rapports d’autorité et de domination, de dépendance et/ou de violence économique, de harcèlement sexuel au travail, de soumission chimique.
Contrairement à ce que l’on peut lire çà ou là, la réforme de la définition pénale du viol est loin de se réduire à l’ajout des termes « non consenti » dans le texte actuel mais implique une refonte de ce dernier qui traduise une changement de paradigme, plus protecteur des victimes.
Il est plus que temps que le code pénal soit purgé de l’archaïsme patriarcal qui prétend à la disponibilité sexuelle des femmes, et que la notion de contrainte soit précisée afin de permettre aux juges de démêler les rapports de pouvoir et de coercition qui ont entouré et permis le(s) viol(s).
Nous devons pouvoir compter sur un texte qui définisse le consentement à la fois comme positif et situé.
Un grand merci à Gisèle Pélicot, pour ce que ce procès et sa publicité permettent de penser et, je l’espère, d’acter pour l’avenir de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles.
Frédérique POLLET ROUYER, avocate