Aux circonstances exceptionnelles, des mesures exceptionnelles! Certes. C'est dans ce cadre que doivent se situer les modalités choisies pour la session 2020 du baccalauréat. Mais il serait de mauvaise méthode d’instrumentaliser « l’accident » de 2020 pour donner à un précédent valeur d’exemplarité. Pourtant d’aucuns se sont immédiatement précipités sur l’argument du gouvernement selon lequel l’admission dans l’enseignement supérieur se faisant avant l’examen, celui-ci perdrait de sa validité et pourrait être réduit au seul contrôle continu. Il faut au contraire continuer à dire avec force combien le diplôme national du bac a de la valeur, une valeur largement conditionnée par l’horizon commun des épreuves terminales et nationales.
Les formations de l’enseignement supérieur recrutent les candidats sur la base de leurs notes des deux premiers trimestres de Terminale car ces notes ont de la « valeur ». Le travail des élèves est évalué au cours de l’année sur la base d’un même programme, et en préparation des mêmes épreuves, au regard de critères d’évaluation fixés nationalement. Les épreuves nationales du bac indiquent l’objectif commun, à charge pour chaque enseignant d’amener les élèves à parvenir à les atteindre selon des modalités qui peuvent être différentes et n’excluent pas les chemins de traverse.
Le baccalauréat, par ce qu’il symbolise d’horizon pour tous les lycéens, constitue un cadre qui guide vers les mèmes objectifs, unifie au moins partiellement les pratiques et les évaluations des acquisitions.
Sans cette boussole des épreuves nationales, que deviendrait ce qu’on appelle le « contrôle continu » ? Il ne resterait alors que la réputation du lycée d’origine dans système éducatif « déboussolé ». Mais n’est-ce pas là l’objectif recherché par le gouvernement ?
Il existe bien une cohérence entre les réformes qui nécessiterait de se pencher sur les modalités d’affectation dans le supérieur ; avec la loi « Orientation et réussite étudiante de mars 2018, l’accès à l’enseignement supérieur est désormais totalement sélectif. L’absence de volonté politique de donner les moyens à l’Université d’encadrer correctement les étudiants dont le nombre a augmenté après le baby boom des années 2000 a conduit à la création de Parcoursup. On limite le nombre d’étudiants, touchant en premier ceux issus des classes populaires. Quoi de mieux pour cela qu’un outil comme un « bac local », de valeur variable, entaché du soupçon d’adaptation aux publics accueillis ou du moins aux représentations que l’on en a ?
Les diverses péripéties de l'année ont mis en lumière les défauts de la réforme du lycée et du baccalauréat voulue par Jean- Michel Blanquer. Sommés d'opter prématurément pour une spécialisation accrue, les élèves en lycée ont pour reprendre les mots de l'une d'entre elle l'impression d'une "entrée avant l'heure" à l'Université. La transposition du modèle universitaire au secondaire, mue par des considérations tant budgétaires qu'idéologiques, fait l'impasse sur ce qu'est le lycée, où se construit une culture commune des jeunes tendant progressivement vers la spécialisation, laisse dans le désarroi ceux qui ne disposent pas de tous les éclairages donnés aux familiers du système éducatif, les conduit à errer dans les méandres de Parcoursup. La réforme à l'inverse s'inscrit bien dans l'horizon idéologique qui imprègne les réformes éducatives telles que conçues par le gouvernement, attaché à développer des élites très bien formées, mettre en place des dispositifs destinés à promouvoir quelques jeunes des catégories populaires dont on vantera la volonté et le mérite Pas de volonté émancipatrice globale, pas de bouleversement de l'ordre social.
Le baccalauréat, reposant sur des épreuves terminales, anonymes et nationales reste non seulement pour beaucoup d'élèves, pour de nombreuses familles populaires la consécration d'un parcours scolaire réussi, un rite collectif important. Il demeure aussi, pour le devenir professionnel comme pour l'ensemble de la société, un repère important. Vouloir le transformer de telle sorte que ce caractère national soit affaibli et renvoie chacun à son lieu de scolarisation ne ferait que renforcer les inégalités, affaiblir la valeur du diplôme pénalisant évidemment les élèves des catégories populaires.
S’opposer à une telle réforme ne signifie pas garder les choses en l’état, réfléchir à un lycée plus démocratique, faire évoluer les modalités, voire les contenus de certaines épreuves terminales, donner aux équipes les moyens de travailler avec les élèves les capacités à organiser ses connaissances, à l’oral comme à l’écrit, construire des raisonnements étayés. La question du combat contre les inégalités de notre système scolaire doit être ce qui guide les réformes.