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Billet de blog 17 juin 2008

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L’affaire Florence Cassez vire au casse-tête diplomatique

Le 8 juin, Florence Cassez a entamé son 31ème mois de détention au Mexique. Cette Française de 33 ans, condamnée à 96 années de prison pour complicité d’enlèvements, clame toujours son innocence.

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Le 8 juin, Florence Cassez a entamé son 31ème mois de détention au Mexique. Cette Française de 33 ans, condamnée à 96 années de prison pour complicité d’enlèvements, clame toujours son innocence. Le 11 juin dernier, le juge d’appel a pris connaissance des arguments de la défense: Preuves falsifiées, faux témoignages, arrestations dans des conditions douteuses… Son cri sera-t-il entendu ? Pas si sûr. La justice mexicaine prend son temps alors que les médias politisent l’affaire. A Mexico, les diplomates français marchent sur des œufs face aux autorités d’un pays, où la corruption judiciaire fait rage.

La vie de Florence Cassez a basculé le matin du 8 décembre 2005 sur une route en périphérie de Mexico. Installée depuis deux ans au Mexique, la Française avait demandé à son ex-compagnon, Israel Vallarta, de l’aider à déménager ses affaires dans son nouvel appartement. Un barrage de police arrête leur voiture. Les agents de l’agence fédérale d’investigation (AFI) lui annoncent que son ancien petit-ami est le chef de la bande de « Los Zodiaco », spécialisée dans les kidnappings. Florence leur assure qu'elle ignore tout de ses activités. Séparée de lui, les agents de l’AFI lui assurent qu’elle sera interrogée entant que témoin et bientôt relâchée.

Son calvaire ne fait pourtant que commencer : La Française est d’abord détenue durant des heures dans une camionnette, avant que la police ne l’amène le lendemain au ranch de son ex-compagnon pour rejouer son arrestation devant les caméras de télévision. Les Mexicains voient en direct les agents de l'AFI enfoncer une porte. A l’intérieur, Florence Cassez menottée est assise aux côtés de trois kidnappés. Ces images tournent en boucle sur les chaînes télévisées. Les commentaires des journalistes l’accablent. Elle crie son innocence. Incarcérée depuis à Mexico, Florence reçoit régulièrement la visite du Consul de France qui vérifie que ses droits élémentaires soient respectés en prison. Dans l’hexagone, ses parents tentent d’ameuter l’opinion publique en créant un site Web de soutien ( http://www.florence-inocente.com ), alors que leur fille attend avec impatience une libération qu’on lui assure quasi-garantie. Le 27 avril dernier, le verdict tombe : « Coupable ! » La Française est condamnée à 96 ans de prisonpour quatre enlèvements, association de malfaiteurs, possession d’armes et de munitions. En réalité, elle ne devrait n’en faire que vingt, les peines n’étant pas cumulables au Mexique. La Française fait immédiatement appel. Le 7 mai 2008, ses parents décrochent une entrevue avec Nicolas Sarkozy en personne qui leur promet de « suivre attentivement » le dossier de leur fille. Ces derniers engagent dans la foulée Franck Berton, l’avocat qui a fait acquitter deux des accusés d’Outreau. Le 29 mai, le juriste de renom s’envole avec eux pour Mexico. Franck Berton ne peut pas plaider au Mexique. Mais il y rencontre pour la première fois sa cliente et analyse son dossier avec son avocat mexicain. Une équipe de télévision et une poignée de journalistes français sont au rendez-vous. « C’est une véritable erreur judiciaire. Je ne comprends pas comment on peut condamner quelqu’un sur la base d’accusations aussi fantaisistes et grotesques », dénonce Franck Berton qui pointe une à une les vices de procédure devant la presse, avant de s’entretenir avec l’Ambassadeur de France.

Le lendemain, la machine médiatique se met en marche. Une série d’articles sur l’affaire Cassez remplissent les colonnes de la presse française. Au Mexique, la réaction ne se fait pas attendre : Le 31 mai, le quotidien El Universal consacre une pleine page à l’affaire en titrant « Au tribunal, la France se heurte au Mexique ». Rebelote une semaine plus tard dans le journal Reforma avec trois articles sur la culpabilité de la Française : « Dossier Cassez : La France s’affronte au Mexique », « La Française n’est pas innocente, affirme une kidnappée » et « En France, l’affaire passionne l’opinion publique ». Le 13 juin dernier, le quotidien de gauche, La Jornada, enfonce le clou en donnant à nouveau la parole à une des témoins qui répète que « Florence Cassez est une kidnappeuse, pas une victime ». « C’est exactement ce qu’on cherche à éviter si on veut que la France et le Mexique collaborent pour sortir Florence de là», soupire Franck Berton. De retour en France, l’avocat envoie un rapport complet à l’Elysée dans l’espoir d’une intervention personnelle du président français.

Mais à Mexico, la prudence semble rester de mise du côté de l’Ambassade de France. « Selon le principe de non-ingérence, le Mexique est souverain, sa justice reste indépendante. Mais au-delà de ça, l'affaire est très épineuse », glisse un proche du dossier sous le sceau de l’anonymat. En effet, l’affaire met en cause Genero Garcia Luna, ancien directeur de l’Agence fédérale d’investigation, devenu depuis Secrétaire d’Etat à la Sécurité. Le 8 décembre 2005, ce proche du président mexicain aurait violé l’article 16 de la constitution en détenant une journée Florence Cassez pour mettre en scène son arrestation le lendemain à la demande des médias. Pas facile pour les diplomates français de le montrer du doigt sans froisser les susceptibilités locales. D’autant que Genero Garcia Luna est fragilisé par une lutte, menée par le gouvernement contre les cartels de drogue, qui tourne au carnage. La décision du juge d’appel sur le cas Cassez devrait prendre des mois.Ce dernier peut infirmer la première décision, ordonner un nouveau procès, ou envoyer Florence devant l'Amparo, sorte de Cour de cassation mexicaine. « Je n’imagine pas que la justice mexicaine ne voit pas les irrégularités du dossier. Ou alors, il faudra nous expliquer les vrais raisons de son emprisonnement. Règlement de compte, conflit politique ? », interroge l’avocat qui milite pour que les autorités françaises prennent leurs responsabilités. La France risquera-t-elle un conflit diplomatique pour faire respecter les droits d’une compatriote ? Au fond de sa cellule, Florence Cassez croise les doigts.

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