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Billet de blog 5 mai 2020

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Apologie de l’ennui en temps de pandémie

Cette épreuve secoue l’être pour le surprendre en lui offrant du temps à rien faire, beaucoup trop de temps pour ne pas faire justement.

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‘’ Je pense que j’ai fait le tour ; du yoga matinal, aux lectures nocturnes des livres délaissés dans ma bibliothèque en adoptant, au passage, la cuisine et le jardinage. Tout y passe seulement voilà : Je m’ennui toujours aussi vite, aussi longtemps à en oublier ce à quoi ressembler ma vie d’avant… ‘’

(Témoignage de H.M à l’ère du covid-19)

Comme une épée de Damoclès, suspendue en dessus de l’espace à vivre, retenue à un écrin, aussi fragile qu’imprévisible, la crise sanitaire du moment a chamboulé les repères individuels et collectifs. Le rapport à soi, dans une appréciation nouvelle, se place au cœur du vécu du confinement, car au-delà de la restriction apparente de la liberté de circulation, il invoque une crise d’un autre genre, celle de l’attachement au mouvement et aux rituels quotidiens. 

Témoins d’un temps qui coule, qui se lise dans un renouvellement fastidieux, l’homme confiné puise les ressources pour le combler dans une recherche incessante et quasi vitale de sens. Afin de ne pas le subir, il crée incessamment de l’action satisfaisante comme antidote au mal du siècle : l’ennui.

Confiné, on se résigne à observer d’abord ce qui advient puis à absorber le choc de la restriction pour enfin émerger dans cette bulle qui façonne l’anxiété d’un danger imminent ; celui du covid-19. Ainsi confronté au vertige du temps qui flotte, vivre en quarantaine nous place au cœur d’un vide, pour nous remplir constamment à en rester creux. Cette épreuve secoue l’être pour le surprendre en lui offrant du temps à rien faire, beaucoup trop de temps pour ne pas faire justement. L’homme qui s’ennuie devient rapidement préoccupé par son manque de préoccupations. La sous-charge cognitive se greffe aux perturbations physiologiques, notamment le sommeil, pour induire une sorte de volatilité de l’attention ; tout stimuli devient donc perturbateur et les performances se gâchent.

Plus que tout autre effet, l'ennui est vécu comme une perturbation dans le ‘signifié’ du temps, comme une incapacité à synchroniser l'attention avec les activités de l'environnement ou, en leur absence, avec sa propre vie imaginaire.

Confins de toutes les paradoxalités, au limen de l’espace-temps perturbé, se crée un état de chevauchement entre intentionnalité et résignation, entre attente et désespoir. Il y a plus d’un siècle, Kierkegaard soutenait que cette impulsion à fuir le présent accablant, en se tenant constamment occupé, est notre plus grande source de malheur. Les sociétés modernes instaurent cette culture de la performance et de l’activité pour assurer des occupations tumultuaires à l’homme sous la bannière du divertissement grâce auquel on n'a en effet pour but que d'y laisser passer le temps, sans le sentir, ou plutôt sans se sentir sois même. (Bl.Pascal, Pensées,1839).  

Sur les réseaux sociaux, ce message publié par un Digital marketing Expert au nom de Jeremy Haynes, crée une avalanche de réactions mitigées pour la plupart mais d’indignation surtout de la part des professionnels de la santé mentale : si vous ne sortez pas de cette quarantaine avec soit un nouveau talent, un nouveau projet ou de nouvelles connaissances ; vous n’avez jamais manquez de temps, vous manquiez vraisemblablement de discipline. L’affirmation déconcertante fait échos à la dictature de l’apprentissage et de la compétition au dépend d’une vie psychique en détresse car confrontée à l’incertitude, à l’ignorance et au non-sens. En arrêtant ‘de faire’, nous perdions la connaissance de ‘ qui nous sommes’, voilà ce qui est tragique !

 Comment alors exiger qu’un ‘rien’ amène la création, quand la nécessité de l’agir est court-circuitée par l’ennui ?

Parler d’ennui reviendrait naturellement à parler de la notion de temps ; qu’il soit allongé, lourd ou même disloqué, le temps nous définit même lorsqu’il semble se corser. Ainsi, pour se préserver de ce sentiment pénible, ne dit-on pas couramment qu’on tue le temps ?  L’esprit en proie aux longs ennuis, cherchent par tous les moyens à progresser pour survivre malgré un fermé-borné dépourvu de toutes stimulations adéquates. Ce qui affecte notre perception de l’ennui dépasse les restrictions de l’espace et le flottement du temps, ce qui nous ennuie au fond c’est cette redondance de l’anxiogène à l’horizon.

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