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Billet de blog 2 avril 2016

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L'autisme en débat 2

Qu'en est-il vraiment des avancées dans les domaines du neurone ou du gène en ce qui concerne l'autisme ? Il n'y a toujours aucun résultat significatif, ce qui finit par laisser croire que cette obstination vise surtout à disqualifier la psychanalyse.

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Après avoir, hier, observé un contexte global dans lequel le débat était truqué, il est nécessaire de reprendre certains thèmes pour découvrir les arguments dont nous avons été privés par cette vision stalinienne de la discussion.

Commençons, puisqu'il en a été question, par la recherche. Il est très vrai qu'elle mobilise beaucoup de monde et qu'elle explore de multiples pistes, du côté du gène, mais aussi du neurone, des hormones, des vitamines, voire même des enzymes. Mais, et il faut y insister, pour l'instant toutes les explorations n'ont abouti à aucun résultat probant, qui nous indiquerait de façon péremptoire et indiscutable qu'elle est l'origine de l'autisme. Et, par voie de conséquence, aucun médicament n'a pu être élaboré qui soignerait à coup sûr cette maladie. En faisant ce constat, nous pouvons, en toute légitimité, imaginer que c'est surtout un faisceau de désirs, dont celui, évident, de disqualifier la psychanalyse, qui pousse à penser, et insiste dans ce sens, que la cause de l'autisme est fatalement génétique.

Pour aller plus loin, il est indispensable de considérer que la recherche au cœur du génome n'a pas commencé avec l'autisme et ne se limite pas à cette seule pathologie. Il est indubitable que tout ce qui a été découvert ailleurs ou avant profite aux investigations actuelles, et peut nous renseigner sur les chances dont nous disposons pour faire des découvertes fondamentales.

Nous savons qu'un très grand nombre de maladies, parfois extrêmement rares, sont dues à l'altération ou au défaut d'un gène qui, dans la majorité des cas, a été clairement identifié, ce qui témoigne que nous disposons désormais de moyens importants et de résultats utilisables qui favorisent très largement cette recherche.

Si nous restons dans le registre des affections psychiques, la plus connue dont nous sachions qu'elle est due à une anomalie génétique, est le mongolisme. Tout le monde ou presque sait aujourd'hui qu'il est occasionné par la présence d'un chromosome 21 surnuméraire, à tel point qu'on parle plus volontiers de « trisomie 21 ». Nous devons la découverte de cette aberration chromosomique à Jérôme Lejeune, Marthe Gautier et Raymond Turpin, en 1959, c'est-à-dire, il y a pratiquement soixante ans. Une telle ancienneté et tous les travaux qui ont été poursuivis dans ce domaine, inclineraient à penser que les chances d'une découverte spectaculaire du côté de l'autisme sont particulièrement minces.

Abordons notre sujet d'une autre manière. De tout temps les hommes ont voulu trouver une cause organique aux troubles psychiques, comme s'il fallait tenir à l'écart – ou en faire une dimension négligeable, en tout cas inoffensive – tout ce qui s'agite dans nos profondeurs inconscientes. Cette volonté d'expliquer le psychique par le physique ne date pas d'hier ni même d'avant-hier. On la rencontre déjà dans la Grèce antique, où nos ancêtres supposaient que les crises des femmes étaient déclenchées par une remontée de l'utérus dans leur tête. Au XVIe siècle, chez nous, l'idée est toujours vivante, puisque l'on imagine pouvoir porter remède aux hystériques en leur faisant respirer des odeurs pestilentielles, pendant que l'on place en face de leur sexe des parfums capiteux, espérant que, de la sorte, l'utérus fuira la puanteur et regagnera sa place dans le petit bassin où il aura été attiré par les effluves plus captivants.

Bien sûr, de telles idées nous font rire aujourd'hui. Espérons seulement que celles que nous développons actuellement ne recevront par le même accueil hilare dans quelques siècles, de la part de nos descendants. Cela devrait nous inciter à plus de tolérance, à accepter de douter, notamment en constatant que, dans la Grèce antique, tout le monde tenait pour vraie cette explication de l'hystérie. Le nombre n'est donc par un garant de la vérité. J'aurais même tendance à dire que c'est tout le contraire.

N'oublions pas que la compréhension en termes uniquement psychique d'une maladie comme l'hystérie n'est apparue qu'au XIXe siècle, notamment grâce à Jean-Martin Charcot et, bien sûr, à Sigmund Freud qui l'a développée dans les proportions gigantesques que nous connaissons.

Mais cette vision psychodynamique n'a pas cessé d'être attaquée, et la volonté de ramener l'origine des maladies mentales à des causes organiques n'a jamais désarmé, en particulier grâce aux avancées des techno-sciences du côté du gène, du neurone, voire du virus.

C'est ainsi que très vite on a cherché à expliquer la névrose par l'existence de tels facteurs. Mais, rien de significatif n'a émergé de toutes les recherches qui y furent consacrées, et elles s'estompèrent, d'autant plus facilement qu'elles avaient trouvé de nouveaux terrains à investir, principalement les psychoses. Elles trouvèrent même des hérauts particulièrement charismatiques et singulièrement virulents qui firent la une des journaux, en affirmant être « au bord » d'avoir trouvé enfin l'agent à l'origine de telle ou telle affection mentale. Le plus représentatif fut sans doute le Professeur Pierre Debray-Ritzen qui, dans les années 1970, affirmait que le facteur génétique est indéniable dans la dyslexie. Il était persuadé aussi que la schizophrénie était due à un virus. Et surtout il était connu pour ses attaques particulièrement acrimonieuses contre la psychanalyse.

Le virus de la schizophrénie, le gène de la dyslexie sont depuis belle lurette tombés dans les oubliettes de l'histoire, et le nom de Debray-Ritzen n'est pas loin d'avoir subi le même sort. À nouveau d'autres pathologies se sont hissées sur le devant de la scène, en pleine lumière, jusqu'au moment où les projecteurs se sont éteints, pour aller se rallumer plus loin, laissant dans l'ombre les maladies qui semblaient apporter la preuve de leur origine génétique.

Aujourd'hui, c'est l'autisme qui est l'objet de toutes ces attentions, et qui sert de tranchoir entre les techno-sciences et la psychanalyse. Jamais le combat n'a été aussi violent, les enjeux aussi nombreux. Une première explication tiendrait dans le fait que les cas d'autisme ont été multipliés par dix, voire même par cent, suivant certaines statistiques. Nous pouvons alors nous demander ce qui explique cette expansion vertigineuse, et de nombreux indices laisseraient supposer que cela est dû à la nouvelle société qui s'est installée ici-bas, et notamment à ce monde virtuel détaché de la réalité qui favorise un enfermement propice au repli autistique. Dès lors, nous saisissons que tout le monde ait envie qu'on trouve à son origine un gène qui nous laverait de l'idée cruelle que cela est de notre faute.

Si la découverte d'une anomalie génétique permettrait d'expliquer l'autisme, il autoriserait aussi d'espérer pouvoir mettre au point un médicament susceptible de le guérir. Là encore, la recherche ne date pas d'hier. Le premier antipsychotique, le Largactil, en l'occurrence, a été synthétisé en 1952, donc il y a plus de soixante ans. Ce n'est pas entrer dans un grand débat que de dire que ces médicaments agissent sur les symptômes, mais pas sur le fond, sur la cause profonde de la maladie. Aussi, imaginer un traitement qui « guérirait » l'autisme garde une part d'illusion qui échappe à la réalité vraie.

Au terme de ces considérations il semble qu'il faudrait nuancer les affirmations qui ont fusé sur le plateau de France 2, et laisser une place au doute, à la possibilité que toutes ces lourdes artilleries se sont peut-être engagées dans des impasses. Mais, il n'en est rien, et l'on nous assène ces points de vue, que rien pour l'instant n'a corroborés, comme LA vérité absolue, LA seule voie possible. Du coup, nous ressentons là comme une attitude bornée, fermée, refusant de voir les choses telles qu'elles sont.

Il y a un mot à la mode pour décrire cela aujourd'hui. On dit : « faire l'autiste. »

Mais, nous n'en avons pas fini avec ce qui s'est dit dans ce faux débat, et cela nécessitera un troisième chapitre....

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