La maire de Paris vient d'accoucher d'une nouvelle réforme. Somme toute, accoucher est normal pour une maire. D'ailleurs, je me demande si, au bout d'un certain temps, je pourrais m'autoriser à l'appeler maman. En attendant, pour éviter de verser dans un fantasme de parthénogenèse, très habituel aujourd'hui avec les familles monoparentales, il me semble qu'il serait souhaitable qu'elle trouve en face d'elle, ou à côté d'elle, un paire. Un paire qui aurait « une sacrée paire.. », car il paraît que notre maire raffole des sémillants hidalgos.
Nous voyons clairement combien ce choix, qui s'est imposé sans qu'aucune réflexion n'y ait présidé – et qui émane surtout de la volonté très contemporaine de détruire tout ce qui existait avant –, est malheureux et autorise des images, des représentations qui disqualifient la fonction qu'il est censé incarner.
Maire, vient de major, « le plus grand ». C'est le premier magistrat, le chef, la tête. Ce qui se raconte dans cette étymologie est bien plus structurant que l'idée d'une maire parthénogénétique.
Oui mais voilà, aujourd'hui c'est à la mode. Pas seulement que tout soit inapproprié, mais de décliner tout au féminin. Il existe pour cela deux cas de figures. D'une part, des termes sont passés au féminin sans aucune modification : la ministre, la maire, la juge, la leader, par exemple. Ou bien, leur orthographe a été transformée : la préfète, la cheffe, l'écrivaine, l'auteure, la professeure, entre autres. Cela s'accompagne aussi d'une féminisation des fonctions ou des objets qu'approchent les femmes. C'est ainsi qu'elles peuvent être la numéro un ou la fer de lance.
A priori, cette mode soudaine semble procéder d'un dessein louable qui viserait à établir une parfaite égalité entre les hommes et les femmes, et donc entre le masculin et le féminin. Mais, ces bonnes intentions ne sont-elles pas que la partie émergée de l'iceberg ? Prenons donc notre masque et nos bouteilles, et plongeons sous le niveau de la maire pour observer ce qui s'y passe !
Toutes les institutions, toutes les grandes missions humaines sont féminines : l'éducation, la présidence, la justice, la médecine, l'ambassade, la littérature, la peinture, la sculpture, la chirurgie, la poésie, la musique, la mairie, la pharmacie, la députation, et cætera, et cætera. Il est alors logique que leur articulation sur terre, leur cheville ouvrière, soit masculine : l'éducateur, le pharmacien, le président, l'ambassadeur, le chirurgien, le poète, le maire, le député, le président, le peintre, le sculpteur, et cætera, et cætera.
Une telle construction installe des niveaux, des places, des rôles, des statuts différents. Tout en haut, on trouve ces figures idéales que sont nos grandes institutions. Elles sont représentées à un autre niveau par des allégories : Marianne, la Justice, la Liberté, parmi beaucoup d'autres. Dans un autre registre il y a toutes les représentations de l'inspiration, toutes féminines bien sûr, comme par exemple les muses, celles qui inspirent le poète, le musicien ou l'artiste. Plus près de nous elles prennent chair pour devenir la mère qui se penche à l'oreille de son enfant, l'aimée qui fait battre le cœur de celui qui l'aime, ou celle pour qui le poète tresse des vers éternels.
Elles font descendre sur nous, sur terre, leurs bienfaits, leurs doux mots, nos rêves, leurs inspirations. Mais, en restant logées dans les hautes sphères elles conservent une dimension d'idéal, un caractère universel, intemporel, qui transcende l'ordinaire trivialité de l'homme, et elles nous tendent la main pour que nous puissions nous élever au-dessus de notre condition première et que nous puissions sublimer nos origines pulsionnelles. Pendant que l'incarnation masculine, leur truchement sur terre, met tout cela en application, va « au contact » sur le terrain.
Il y a donc un mouvement vertical, une construction hiérarchisée, avec au sommet des images d'idéaux, et à la base les moyens physiques de les mettre en pratique.
Cela est très intéressant car une telle construction donne du relief à nos structures civilisées, installe des degrés et des ouvertures infinies au fonctionnement des hommes, qui disposent de la sorte de forces qui les tirent vers le haut, leur permettent de se dépasser, d'élaborer des visions sublimes de la société ; en même temps que tout cela inscrit des différences de rôles, de fonctions, de statuts.
Si cela disparaît, comme c'est en train de se passer aujourd'hui, nous allons nous retrouver dans un système horizontal, sans plus la moindre différence, où tout va être semblable, où les valeurs vont disparaître. Un nivellement par le bas, par le médiocre, par l'ennui.
Prenons l'exemple de la Justice. À l'origine, elle était l'affaire de Dieu, montrant à l'homme la voie à suivre, le punissant s'il s'écartait du droit chemin. Plus tard, c'est Moïse recevant les Tables de la Loi. Puis, c'est Salomon, Saint-Louis, Montesquieu. Quant à la Justice, en tant qu'institution, elle est représentée par une allégorie féminine qui tient une balance et une épée, et a les yeux bandés, signe d'impartialité.
Celui qui siège au tribunal est l'héritier de cette prestigieuse généalogie. Et plus encore, il ressent au-dessus de lui la Justice qui l'inspire et lui dicte la mission qu'il doit mener le plus parfaitement possible, pendant que toutes les figures prestigieuses qui l'ont précédé s'incarnent en lui. Forcément il en est transformé, transporté, saisi du devoir de représenter tout cela au mieux. C'est pourquoi il revêt une robe, la même pour tous les juges, voire mêmes qu'il porte une perruque, pour que l'être s'efface totalement derrière sa fonction, et pour qu'il puisse ainsi rendre LA Justice, et non SA justice.
Dès lors le prévenu a affaire à la Justice, et celui qu'il trouve en face de lui n'en est que le représentant, l'exécutant, ou mieux, son organe.
Exiger que l'on dise la juge, c'est refuser cela, c'est refuser que la femme s'efface derrière la fonction. Il semble alors qu'elle veuille avant toutresterune femme, et ensuite un juge, alors qu'il est indispensable que, lorsqu'elle rend la Justice, elle n'en soit que le bras armé (Puisqu'on accorde tout, peut-être faudrait-il dire la bras armée, voire, pour féminiser davantage, la bra.)
Dans ces conditions, le prévenu n'a plus affaire à la Justice, mais à une femme, et dès lors l'affaire vire à l'affrontement interpersonnel, et il ne sent plus le poids de la Justice peser sur lui, ni la morale ni aucune force. Aussi va-t-il concevoir une haine pour cette femme, et certainement le désir de se venger, au lieu de se sentir condamner par une force, une instance, une institution qui nous transcende tous et qui le condamne justement.
La Justice doit s'incarner en chacun de nous en y implantant une morale, une institution interne qui dirige nos actes et nous sanctionne le cas échéant. En faisant disparaître tout cela on supprime le conflit intérieur, la culpabilité qui retient les hommes de transgresser les lois, de commettre l'irréparable.
La Justice doit être la même pour tous. Hélas, désormais, il va exister une justice masculine et une justice féminine. Donc, des justices. Et cela n'est pas juste. Car ces nouvelles dispositions nivellent par le bas, et du coup, il n'y a plus la Justice au-dessus de tous, le regard sur nous des grandes figures qui l'ont servie ; elle devient un choix parmi d'autres, parmi les petits arrangements avec la loi. N'oublions le spectacle indécent qu'elle est devenue outre-Atlantique.
Ces conséquences tout de suite observables vont avoir des prolongements beaucoup moins visibles, mais sans doute davantage délétères, à l'intérieur de nous. Toutes ces figures, ces représentations, ces institutions qui fondaient nos valeurs, notre vision du monde et de la civilisation, ayant disparu, nous n'aurons plus qu'une représentation fonctionnelle de notre univers, sans plus rien pour nous y guider. Et, au-delà encore, ce sont nos capacités intellectuelles qui vont être rendues caduques. Pour penser il faut des différences, des degrés, des hiérarchies, et cætera, et cætera. Si le monde devient plat et univoque, comme c'est le cas aujourd'hui, nous n'aurons plus l'accès à une pensée organisée. Nous disposerons juste d'un système réflexe, tout proche de la machine. Mais n'est-ce pas ce que beaucoup souhaitent aujourd'hui ?
Puisqu'il est question de justice, et que c'est, paraît-il, ce qui justifie ces nouvelles dispositions, il semble tout à fait normal que, si l'on décide de féminiser la profession de magistrat lorsqu'elle est exercée par une femme, il faille, dans un souci de parfaite égalité et de respect d'une juste parité, masculiniser les termes féminins lorsqu'ils sont attachés à un homme. Ainsi il faudrait parler, non plus de la Justice, mais du justiciat, et le juge porterait désormais un rob ou un toge.
Dans la même perspective, il serait souhaitable aussi de priver toutes ces institutions de la majuscule qu'elles méritent, comme c'est déjà le cas sur l'internet. Ainsi, plus de hiérarchie, plus de différences, il n'y a plus que des minuscules. Voilà d'ailleurs qui est révélateur : le nivellement par le bas nous réduit à l'état de minuscules.
Quant à l'allégorie qui trône au sommet de l'escalier monumental qui mène au palais de justice (ou de justiciat, si c'est un homme qui monte les marches), il faudrait désormais que, pour établir une parfaite égalité (ou un parfait égalitariat, si c'est un représentant du gent masculin à qui l'on s'adresse), elle soit accouplée à son pendant viril, un allégorit, pour lequel nous verrions bien un individu musclé (certainement grâce à l'électro-stimulation musculaire) portant des lunets noirs, des tatouages, bien sûr, (« à papa pour le vie », ou inversement : « nique ton père ») et tenant dans un main un balant et dans l'autre un épé (voire, un kalachnikov).
Bien entendu, il serait parfaitement légitime et même indispensable que toutes les instituions (tous les institutions) s'accordent aussi au genre de l'être qui en assure l'articulation sur terre (sur le Ter, bien sûr).
Dès lors, si c'est un homme qui incarne la mission (le missionnat, dans ce cas) il nous faudra évoquer, par exemple : le présidiat, le peinturage, le sculpturage, l'éducatoire, le poésiaire, le médecinat, le chirurgicat, le pharmacommerce, le députage, l'ambassadage, le musicalifat, le littératurlu.
Et d'ailleurs, puisque même les objets ou les métaphores s'accordent à leur propriétaire, il paraîtrait juste et normal que tout ce que je touche ou j'exprime soit accordé à mon genre sexuel.
Donc, je reprends mon plume et un nouveau feuille, pour constater que, si nous appliquons cela à tout, nous allons vite nous apercevoir que cela n'amène, voire ne vise, qu'un chose : diviser, séparer. Ce qui aboutirait à un univers partagé en deux mondes quasiment identiques, qui arboreraient les mêmes jeans, les mêmes baskets, les mêmes tatouages, les mêmes perçages corporels, les mêmes ordiphones, les mêmes ordinateurs, joueraient aux mêmes jeux, pratiqueraient les mêmes sports, écouteraient les mêmes musiques, idolâtreraient les mêmes marques, échangeraient sur les mêmes réseaux... Mais, chacun dans son coin, sans connexion, sans lien, avec un grand fossé entre les deux. Entre le monde des LA et le monde des LE
Paradoxalement, dans chacun de ces univers, le différencement des sexes n'existera plus. Comme le mariage homosexuel est devenu un nouveau norme, il deviendra aussi le cellul de base des ces deux nouveaux civilisations qui, grâce au clonage, pourront se développer chacun dans son coin.