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Billet de blog 25 octobre 2015

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Au-delà du Chinois

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Dans un précédent texte consacré au « Chinois et au sous-préfet » nous avons établi un parallèle évident entre l'auto-érotisme et le retrait autistique, tous les deux témoignant d'un désinvestissement du monde extérieur et des autres en faveur d'un repli vers des positions plus ou moins archaïques au fond de soi.

Dans le cas de l'auto-érotisme c'est la sexualité, voire l'amour, qui est ainsi retirée des autres et ramenée sur soi. Dans celui de l'autisme il s'agit d'un retrait global de tous les investissements.

Mais il est évident que, en ce qui concerne l'auto-érotisme, le retour de la libido sur soi peut entraîner un mouvement plus vaste qui aboutirait à désinvestir le monde et les autres, et à se replier de façon plus étanche sur son monde intérieur, ce qui installerait un fonctionnement assez proche de celui de l'autisme.

Cela est d'ailleurs favorisé par les nouvelles technologies et tous les moyens numériques dont nous disposons désormais qui nous incitent à ne plus sortir de chez nous et à ne plus solliciter les autres pour quoi que ce soit, besoins ou désirs.

Il est facile de saisir que cela nous place dans un cercle vicieux. Moins nous investissons le monde extérieur et moins nous développons les outils et les moyens pour tisser des liens avec les autres. Dès lors, il nous devient sans cesse plus difficile d'aller vers eux, et nous nous replions encore davantage au fond de nous-même, réduisant chaque jour un peu plus la possibilité de reprendre pied dans la réalité et d'établir des relations riches avec nos semblables.

Nous venons de décrire là un mouvement dans l'absolu. Il serait intéressant d'observer plus en détail la façon dont les choses se mettent en place actuellement pour apprécier notamment comment elles risquent d'évoluer, et aussi dans quelle mesure il est possible d'infléchir cette marche délétère.

Commençons notre observation en nous intéressant plus particulièrement à l'adolescence, ce qui, somme toute, est une façon de concerner tout le monde, puisque, aujourd'hui, il semble bien qu'elle soit devenue le seul âge de la vie, chacun désormais se comportant comme s'il ne l'avait jamais quittée.

Au-delà de cette uniformité affligeante des mœurs, le corps, lui, poursuit son imperturbable chemin qui le conduit de la naissance à la mort, et se trouve, à un moment, submergé par la puberté, féroce incendie ravageur, inexorable embrasement charnel, qui ne laisse par une seule cellule intacte.

La libido, qui s'était un temps retirée au plus profond de l'être pour laisser place à l'apprentissage scolaire et à l'éducation, revient d'un coup comme un tsunami qui va envahir tous les lieux du corps et de l'esprit. Forcément elle va réinvestir les canaux qui mènent vers les premiers émois amoureux et sensuels, c'est-à-dire, ceux que l'on éprouve avec sa mère au tout début de son existence.

C'est pour cela qu'il est nécessaire que des barrages soient dressés à l'entrée de ces chenaux pour que la libido s'engage vers d'autres destins, et vise des personnes étrangères à la famille. Pour parvenir à ce résultat, la civilisation, au fil de son histoire, a installé en chacun de nous des interdits, de sorte que la dérivation du flot libidinal se fasse automatiquement vers l'extérieur et les autres.

Elle est même allée plus loin en donnant à certains interdits un caractère particulier d'inviolabilité, les transformant en tabous intouchables. C'est le cas de la prohibition de l'inceste qui se trouve au fondement de notre société.

Nous pouvons expliquer de multiples façons la nécessaire obligation d'un tel tabou, mais nous en avons ici une représentation presque mécanique : si la libido revient vers la mère elle va établir un bouclage étanche dans un mouvement centripète, enfermant, qui est le contraire de ce que souhaite la société, qui a besoin, au contraire, d'une expansion constante, donc d'un mouvement centrifuge pour un investissement de l'extérieur.

Grâce aux tabous nous disposons alors d'un système parfait qui, dès qu'elle naît, dérive la libido vers des étrangers à la famille.

Ou plutôt, devrions-nous dire que « nous disposions », car aujourd'hui il est interdit d'interdire, ce qui compromet totalement ce bon fonctionnement que le temps avait si habilement élaboré.

C'est un discours à la mode, une revendication systématique, dorénavant, que d'exiger que tous les interdits disparaissent, et même l'art, qui devrait, au contraire, nous offrir les moyens d'une sublimation de nos exigences pulsionnelles délétères, semble n'avoir plus d'autre but que de faire tomber tous les tabous. Sachant que l'inceste est le principal d'entre eux, il est logique de conclure qu'il œuvre ainsi à sa promotion. Et cela n'est pas une vue de l'esprit ; la sexualité s'étale partout, nous le savons bien et le constatons sans cesse, et nul n'y échappe.

Mais elle a évolué, installant toutes ses déclinaisons, des plus classiques aux plus « surprenantes », voire aux plus désastreuses, au même niveau, de telle manière que l'inceste aujourd'hui semble n'être qu'une option parmi tant d'autres.

Sur France 2, par exemple, vient d'arriver une nouvelle série, cent pour cent française, qui raconte sur le ton de la comédie la vie d’une prestigieuse agence artistique. L'idée est originale, la réalisation parfaite et les comédiens excellents.

Mais il semble que cela ne soit pas suffisant pour attirer à coup sûr le chaland, et donc, tout de suite, alors que cela tombe comme un cheveu sur la soupe, (même si aurait envie de suggérer un autre genre de poil) on nous entraîne dans la chambre d'une jeune femme où l'une de ses « amies » lui offre un voluptueux cunnilingus, pendant que, plus loin, dans un petit studio, une charmante demoiselle se réveille aux côté d'un non moins charmant jeune homme. Comme il faut du piment à la soupe sur laquelle notre cheveu est tombé, la jeune demoiselle apprend peu de temps après que son prince charmant est en fait... son frère. Ce qu'elle ignorait jusque-là.

Donc, si un temps vous aviez pensé échapper à l'inceste et vous divertir d'une agréable comédie bien ficelée, c'est raté. Certes, la jeune demoiselle comprend assez vite qu'ils étaient fin saouls tous les deux et que donc il ne s'est rien passé lors de cette nuit-là, mais on nous a quand même inoculé ce trouble et pernicieux venin.

D'ailleurs il ne sera plus jamais question de sexualité dans cette série, et il est donc intéressant de noter que les deux seuls exemples choisis pour l'évoquer concernent l'homosexualité et l'inceste, thèmes on ne peut plus à la mode.

Si quelqu'un doute que l'inceste soit désormais au goût du jour, il lui suffit, pour s'en convaincre, de regarder les murs de nos villes ou d'écouter la radio où est répétée sans cesse cette injonction : « nique ta mère ! »

Quittons le petit écran pour nous intéresser à tous ceux qui ne nous quittent plus jamais désormais et s'avèrent être les plus grands pourvoyeurs d'images pornographiques, à tel point que des enfants de onze ans peuvent, tout à loisir, visionner dans leur école, pendant les récréations, des films qui devraient leur être totalement interdits.

La toile arachnéo-électronique regorge ainsi d'images sexuelles plus ou moins obscènes. Les statistiques estiment que dix pour cent des sites dématérialisés sont consacrés à la pornographie, et qu'une connexion sur cinq se fait à destination de l'un d'eux.

Notons au passage que l'image même de cette immense toile dans laquelle l'araignée prend ses proies, puis les dissout dans ses sucs avant des les avaler, éveille des images érotiques plutôt archaïques, comme le fait de se faire ficeler (le bondage) ou renvoie à des fantasmes singuliers, comme celui d'être totalement à la merci de l'autre ou d'être dévoré par lui (Le Parfum de Süskind en est un très bel exemple.) ainsi qu'à leurs contraires : dominer totalement son partenaire ou le manger.

De même que la figure de l'araignée n'est pas non plus anodine, qui a inspiré nombre de romans ou de films. Nous savons que derrière, la peur des araignées, l'arachnophobie donc, se cache une métaphore bien connu, celle de la « bête à deux dos », c'est-à-dire la représentation des parents faisant l'amour, ce qui évoque une sorte de corps unique où les deux amants ne font plus qu'un, mais conservent leurs quatre bras et leurs quatre jambes respectifs, ce qui correspond bien au huit pattes de notre terrible et sulfureuse arachnide.

Il est difficile d'aller plus loin dans cette exploration des sens métaphoriques auxquels renvoient les écrans, sous peine de déborder le cadre que nous avons fixé à notre petit textes, mais c'est un travail qui mériterait d'être poursuivi ailleurs, car il est prometteur de riches et surprenantes découvertes.

Revenons à des observations plus directes, pour constater que, parmi tous les sites électroniques consacrés à la pornographie, un nombre important d'entre eux font commerce de l'inceste, et proposent à leurs usagers des vidéos, des petits films (je n'ose pas dire des « courts-métrages » de peur d'en vexer plus d'un) où l'on jouit allégrement en famille.

Certes, il est facile d'imaginer, et c'est certainement le cas, qu'il ne s'agit que d'acteurs qui n'ont aucun lien de parenté, mais il n'en demeure pas moins que celui qui trouve son plaisir grâce à ces saynètes, jouit bien de voir, voire d'avoir l'impression de participer à un inceste.

J'en étais resté là de mes réflexions quand un de mes fidèles lecteurs m'a indiqué qu'il existe des sites où l'inceste est indéniable, notamment parce qu'ils mettent en scène des jumeaux, et que donc leur ressemblance garantit la réalité de leur lien familial.

Ceux qui apparaissent dans toutes ces vidéos, sont parfois des professionnels, mais la facilité avec laquelle il est possible de faire circuler des images sur l'internet, et le laxisme sexuel actuel, ont poussé un grand nombre d'individus lambda à y exhiber leurs propres exploits sexuels. En agissant de la sorte, ils prennent le risque que les images de leurs galipettes tombent sous les yeux de gens qu'ils connaissent, des collègues, des amis et, bien évidemment, leurs parents ou leurs enfants.

Normalement, lorsqu'on est jeune, qu'on habite encore chez papa-maman, et qu'on invite discrètement une copine à la maison, on mesure le risque que l'on prend et on fait tout pour ne pas se faire surprendre. Bizarrement, ici, le risque semble n'avoir pas été évalué, la conscience s'en être détournée.

À moins qu'il ne faille comprendre qu'ils ont choisi, espérons-le inconsciemment, d'accepter d'être vus. Et si l'on va dans cette direction, on saisit tout de suite que c'est une importante source d'excitation que ce risque d'être découverts en plein exploit sexuel, par des êtres que l'on connaît, et fatalement par sa famille. Il est difficile alors de prétendre que cela ne revêt pas un indéniable caractère incestueux. Et dès lors, il nous faut conclure que tous ceux qui font ainsi circuler les images de leur sexualité sur la toile visent, d'une manière ou d'une autre, un plaisir incestueux.

Ce qui veut aussi dire que regarder l'une de ces vidéos c'est participer à ce même jeu avec eux.

Comment l'adolescent, dont tous les sens s'embrasent, peut-il combattre les sollicitations œdipiennes en lui, si elles s'étalent partout autour de lui dans une exhibition qui semble confirmer que tous les interdits, tous les tabous, ont dorénavant disparu et que tout, donc, est permis ? Privé de ces forces interdictrices il se trouve désormais en danger de passer à l'acte.

Heureusement, la police veille !

Et elle veille précisément sur ce qui circule sur les écrans, où la sexualité détabouisée s'étale aux regards de tous. C'est ainsi que des armées d'experts de tout poil ont envahi toutes les chaînes de télévision, ainsi que la littérature, et enquêtent dans tous les coins de la planète et dans toutes les sphères sociales, à la recherche « du » coupable qui serait, lui, passé à l'acte.

Il est intéressant de constater que tous ces policiers finissent de plus en plus par n'enquêter que sur des crimes sexuels, desquels l'inceste est rarement absent, alors qu'il n'y a pas si longtemps Sherlock Holmes, Hercule Poirot ou Miss Marple avaient très peu souvent affaire, pour ne pas dire jamais, à de telles natures de crimes. Il y a donc bien un glissement actuel de ce côté.

Si on y réfléchit, il apparaît très vite que le meilleur épisode, l'épisode princeps, et qui n'a jamais été égalé, est celui qui mettait en scène Œdipe et son crime. Voilà quelqu'un qui réclame la tête de l'assassin du roi, diligente des enquêteurs pour le trouver, et qui ignore que la victime est son propre père et que c'est lui le meurtrier. On n'a jamais fait mieux !

En tout cas, les épisodes actuels, avec leur lot de sexualité et d'inceste nous rappellent fortement le drame de Sophocle. La ressemblance va même plus loin car, de plus en plus, les liens entre criminels et policiers (deux rôles qui se confondent en Œdipe enquêtant sur la mort de Laïos) s'établissent au cœur même des équipes, et nous découvrons que tel membre, par exemple, est le fils ou le père de l'assassin recherché, ce qui finit par ressembler très étroitement à la tragédie œdipienne.

Aussi, nous souvenant de la mort de Laïos, nous trouverions plus légitime de rebaptiser ces séries, les Ex-pères.

Nous pouvons retrouver cette même connotation œdipienne dans tous les huis-clos, où un groupe est enfermé dans une maison, un train ou un bateau, ce qui évoque nécessairement la famille, habitant dans une même demeure et organisée autour des mêmes liens.

Hélas, malgré l'apparition chaque jour de nouveaux inspecteurs, de nouveaux policiers, de nouveaux enquêteurs, sur nos écrans, ceux-ci ne parviennent pas à endiguer les flots d'images pornographiques et incestueuses qui nous submergent. D'ailleurs, ils sont eux-mêmes obligés, pour sacrifier à la dictature de l'indice d'écoute, et attirer davantage de téléspectateurs et d'annonceurs, de nous entraîner dans des enquêtes où l'horreur et le sordide l'emportent chaque jour davantage, témoignage, en outre, que c'est désormais la pulsion qui gagne, et non l'interdit et la morale, et preuve aussi que la destruction des valeurs se marie fort bien avec le commerce.

Dès lors, notre adolescent se trouve encore plus en danger puisque, au lieu de trouver le secours nécessaire auprès de tous ces policiers, il y découvre des images encore pires que celles qu'il voulait éviter, pires et sans doute encore plus excitantes.

Il lui faut donc trouver d'autres solutions, et nous en connaissons tous une, que nous évoquons régulièrement dès que nous parlons de l'adolescence, c'est la crise.

Face aux angoisses intolérables que fait naître le risque de passer à l'acte, l'adolescent ne dispose plus guère que de cette solution qui va conduire à des fractures, des ruptures de la relation, et en tout cas, va la rendre suffisamment non désirable, tellement agressive et inconfortable, qu'aucun contact ne sera désormais possible, et que tout amour, toute tendresse, qui risquerait d'entraîner sur la pente fatale du passage à l'acte, deviendra impossible. La haine va s'installer entre lui et le parent visé par les pulsions incestueuses, ce qui va le protéger très efficacement de tout dérapage.

Le problème est que, comme aujourd'hui cette ambiance sexuelle pernicieuse le poursuit sans cesse, l'adolescent va devoir se défendre de tous les côtés, et donc générer des conflits sans fin avec tout le monde, avec toute la société. Ainsi, plus nous laisserons se développer ces discours érotisés, ces incitations au laxisme sexuel, ces images séductrices, plus nous obligerons les jeunes gens à provoquer des querelles, des affrontements, et plus nous les empêcherons d'avoir de bonnes relations avec les adultes. Cela explique en grande partie la violence actuelle, et prédit que plus la sexualité s'étalera partout, plus la violence ira en s'aggravant.

Mais cette violence est aussi un danger en soi que l'adolescent perçoit fort bien. Elle rend le monde de plus en plus invivable et angoissant. Certes, certains vont s'y épanouir, faire commerce de cette violence, de tous les trafics qu'elle engendre, et ils sont sans cesse plus nombreux. Nous serions même tentés de dire qu'elle est devenue, pour ceux-là, leur sexualité ; en tout cas, ils savent en jouir.

Mais pour beaucoup d'autres elle est une source d'angoisse terrible qui s'ajoute aux affres œdipiennes. Pour ceux-là, la meilleure solution, est sans doute de se replier sur soi, de tout désinvestir, le monde où la violence augmente sans cesse, et les autres avec qui les relations et la sexualité sont devenues trop compliquées, dans un mouvement qui rappelle celui de l'autisme.

D'une certaine manière, cette fuite hors de la réalité est facilitée par le fait que c'est aussi une façon de retrouver tout au fond de soi l'état de fusion totale et sans faille avec la mère, sorte d'inceste éternel.

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