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Billet de blog 30 octobre 2015

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ACROTOMOPHILIE ET FORMICOPHILIE

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

J'ai sous les yeux le programme de cette année d'un séminaire de formation universitaire à la sexologie. Il précise, entre autres choses, que « seront étudiés les facteurs à l'œuvre dans le fonctionnement sain et adéquat de l'être humain. » et « seront proposés des outils pour évaluer les désordres sexuels, tels que les dysfonctions, les problèmes d'identité sexuelle, et les paraphilies. »

Vient alors une liste des « désordres sexuels » qui seront étudiés lors de ce séminaire. On y trouve ainsi : les déviances et les paraphilies, les troubles de l'orientation sexuelle (homosexualité et bisexualité), les troubles de l'identité sexuelle (transsexualisme et travestisme), ou encore, la pédophilie.

Cette vision de la sexualité et de ses désordres n'est pas l'apanage de cette formation. Elle est abordée de la même manière dans le fameux Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, ouvrage états-unien qui fait autorité partout désormais.

Lorsque l'accouplement hétérosexuel était le but de tout développement sexuel, il était facile de se repérer et de préciser si tel comportement constituait une déviance ou non. Déviance ne voulant pas dire criminalité ou maladie, mais « autre choix », « écart par rapport à la norme ». Au moins cela permettait d'indiquer un but à l'évolution de la sexualité, les autres formes de sexualité témoignant d'un refus, momentané ou définitif, de ce terme à atteindre.

C'est, somme toute, ce que dit la brochure lorsqu'elle présente l'homosexualité comme un trouble de l'orientation sexuelle.

Dans sa présentation de la sexualité, elle semble dire qu'il existe un « fonctionnement sain et adéquat de l'être humain. » Une telle formule est très intéressante aujourd'hui, où il faut toujours manger sain, faire attention à sa santé, faire de l'exercice, et cætera, et cætera ; où, plus que jamais, la devise de notre époque pourrait être : mens sana in corpore sano, alors que l'idée même d'une sexualité « saine et adéquate » à de quoi faire rire tout le monde. Pourtant, à bien y réfléchir, c'est ce que nous pourrions souhaiter de mieux.

Par saine et adéquate, il faut sûrement entendre : une sexualité qui convienne à tous, c'est-à-dire dont l'exercice ne mette personne ni la société en péril, une sexualité qui laisse aux enfants le temps d'acquérir les outils nécessaires pour l'aborder, qui les protège de ce qui pourrait les déstabiliser, qui laisse dans le silence le plus profond les tabous, les interdits qui fatalement entraînent dans des dérives incontrôlables, et cætera, et cætera.

Malheureusement, aujourd'hui, tout doit être sacrifié au plaisir, et la mesure de la sexualité, ou disons de son « adéquation », n'est désormais que sa capacité à nous permettre de jouir. Dès lors, les limites que posaient la morale, la santé, le savoir-être, le raffinement, n'existent plus, et seuls demeurent les interdits imposés par la loi, bien que nous tentions tous les jours de les dépasser, et que leur transgression soit même devenue un moyen privilégié, si ce n'est LE moyen, de parvenir à la jouissance.

Et puisque toutes les sexualités se valent aujourd'hui, découvrons ce qui nous attend, et ouvrons le catalogue des paraphilies : il nous en propose plus de cinq cents. Comme nous pouvons le voir, en ce domaine, l'imagination humaine n'a pas vraiment de limites.

Retenons-en quelques-unes qui, a priori, ne posent aucun problème en termes de délit et n'évoquent plus franchement la maladie.

Nous découvrons (en tout cas, moi, je découvre) : l'acrotomophilie (amour des individus amputés), la chronophilie (attrait pour les très grandes différences d'âge), la coprophilie, l'émétophilie, la ménophilie, la mysophilie, l'urolagnie (attraits pour les déjections : merde, vomi, menstrues, saleté, urine, …), la tératophilie (attrait pour les êtres monstrueux), la lactophilie (attrait pour le lait maternel), la maïeusophilie (attrait pour les femmes enceintes), le pédovestisme (s'habiller comme un enfant), l'exobiophilie (attrait pour les extraterrestres), la formicophilie (attrait pour les insectes), l'infantilisme (être traité comme un enfant), et cætera, et cætera.

Je mets en exergue la zoophilie (attrait pour les animaux) et la nécrophilie (attrait pour les cadavres) car elles posent certains problèmes légaux, bien que, très explicitement, elles ne constituent ni des délits ni des crimes sexuels. Si les auteurs de telles pratiques sont poursuivis c'est pour d'autres motifs : cruauté envers les animaux, par exemple.

Je n'ai pas inclus dans cette liste le trouple (ménage à trois), la polygamie, la polyandrie ou le polyamour, car ils concernent davantage un arrangement domestique, une organisation de la vie commune, et aussi, parce que la polygamie nous entraînerait vers des considérations culturelles et politiques qui déborderaient le cadre de ce texte.

N'oublions pas de l'inceste. Aucun interdit le concernant n'est inscrit dans notre Code pénal. En fait, il constitue surtout une circonstance aggravante en cas de relations sexuelles avec un mineur.

Toutes ces formes de sexualité, ou d'organisation de la vie amoureuse, existent bel et bien, elles sont pratiquées, et constituent même une norme dans certaines cultures. Le mariage ouvert aux homosexuels, les nouvelles législations, le refus des stéréotypes du genre, les revendications des différents mouvements de libération de la sexualité, ou de reconnaissance des minorités sexuelles, tout cela installe toutes les expressions de la sexualité sur un pied d'égalité, les loge sur un seul niveau, et forcément le plus bas.

Quel est le sort de l'hétérosexualité, et surtout de l'amour génital, dans ces conditions ? Il est un héritage, un acquis culturel des siècles passés, mais cela n'est plus un argument désormais, alors qu'on nous serine sans cesse : « du passé faisons table rase ! », ou, version moderne : « du passé faisons tablette rase ! »

Ce qui le distingue de toutes les autres formes de sexualité, c'est le rassemblement en son sein, de nombreuses forces, de nombreuses valeurs, comme la primauté accordée à l'amour, le désir de fonder une famille, d'y faire exister les valeurs de la société, d'élever ses enfants, de s'oublier pour eux, d'accepter la responsabilité qui nous échoit avec leur venue sur terre, de n'être que le truchement du monde et de la société auprès d'eux, voire même d'oublier la sexualité au profit de la tendresse.

Il est facile de sentir que, en présentant les choses de la sorte, elles vont paraître sortir tout droit de la vitrine d'un musée ou sentir la naphtaline du placard dans lequel elles dorment enfermées depuis des lustres.

Tombé du sommet de l'évolution sexuelle vers la base, l'amour génital entre désormais en concurrence avec de nombreuses autres formes de sexualité, et l'aspect désuet, pour ne pas dire ringard, dont on l'a affublé, ne joue pas en sa faveur.

Une fois que nous l'avons installé au même niveau que les autres sexualités, nous constatons alors qu'il n'est pas le seul à permettre de vivre un grand amour : l'homosexualité, la bisexualité, mais aussi l'inceste, voire la pédophilie l'autorisent. Et si nous ajoutons la marque du pluriel, c'est de la même manière le cas de la polygamie, de la polyandrie, du polyamour ou du trouple.

Il devient évident aussi qu'il n'est plus l'unique cadre dans lequel il est possible d'avoir des enfants. Les autres dispositions amoureuses déjà citées, en constituent des formes différentes, de même que la cellule monoparentale si fréquente aujourd'hui.

Une fois disparus l'héritage culturel, les significations sociales, les repères psychiques, le sens, l'engagement moral, toutes ces valeurs tombées en désuétude aujourd'hui, la référence se limite à l'attirance et au désir. Comme la médecine autorise toutes les pratiques en les déclarant bonnes pour la santé, et en les débarrassant de toute culpabilité – prouvant, par exemple, qu'elles ne provoquent ni surdité ni quelque infirmité que ce soit – tout devient identiquement possible et uniformément désirable, à partir du moment que la jouissance est mécaniquement possible et que le plaisir est au rendez-vous.

Dans ces conditions, il devient très difficile de se repérer, de savoir si ce qui nous attire est bien ou mal, si notre désir est « normal » ou non. Et il est d'autant plus difficile de répondre, d'orienter ses choix, que ces notions de bien ou de mal, de normal ou non, ont été disqualifiées, et que la morale, le bon sens, la raison ont été jetés aux orties.

Comme, d'autre part, tout l'héritage du passé, tout ce qui nous vient des parents, a été déclaré obsolète et bon à mettre à la poubelle, il n'est plus possible non plus de chercher des réponses ou des modèles de ce côté-là.

Et pire, si pouvait naître la tentation d'y faire appel, ils nous sont interdits par la mode, par les nouveaux stéréotypes, encore plus tyranniques que les anciens, et par toutes les nouvelles dispositions qui nous obligent à nous affranchir de tout ce qui nous vient de ceux qui nous ont précédés.

Pourtant, il est évident que la seule capacité d'une pratique sexuelle à nous mener à la jouissance, n'est pas suffisant. Notamment elle ne dit rien sur la possibilité d'assurer notre bonheur.

Et si l'on souffre, les nouvelles dispositions qui prétendent que toutes les sexualités se valent, empêchent de comprendre d'où vient la souffrance, n'offrentaucune piste pour tenter d'y voir plus clair,et escamotent les grandes questions sur l'amour ou sur le désir d'avoir des enfants.

À quelles images, à quels modèles se référer, comment choisir quand tout se vaut, quand on nous interdit de valoriser une position plutôt qu'une autre, quand on nous refuse les outils et les moyens d'un choix ou d'une réflexion ?

Ajoutons à cela tous les préjugés, les stéréotypes, qui assènent que tout mariage se termine par un divorce, que l'amour ne dure que trois ans huit mois et vingt-deux jours, que très vite on s'ennuie, que la fidélité est dépassée, que vivre ensemble n'est pas indispensable, que pour faire des enfants il n'est plus besoin d'être deux, et cætera, et cætera. N'oublions pas, à l'instant où nous dressons ce constat, que les inquisiteurs du genre nous rappellent que nous devenons ce qu'on nous impose d'être. Il est très clair que ce que la mode et la désillusion nous imposent aujourd'hui, c'est d'être forcément malheureux.

Ne perdons pas de vue non plus, les préjugés qui visent les pratiques sexuelles, et nous martèlent, et finissent par nous convaincre, que celle qui n'accepte pas de « coucher » est une tarte, une bûche, une ringarde, une pimbêche, une coincée-de-la-libido, voire une frigide qui s'ignore, de la même façon que celle qui refuse la sodomie, la fellation, l'échangisme ou le sadomasochisme.

Dès lors, des foules de jeunes filles acceptent, sous la contrainte des stéréotypes installés par ceux qui prétendent lutter contre, des choses qui leur répugnent, ou alors, les refusent, mais au prix de la conviction d'être anormales.

Dans ces conditions, comment parler de sexualité, comment guider nos enfants, comment répondre à leurs questions, en quoi les amener à croire ? Que peuvent dire aujourd'hui les parents, les éducateurs, et même l'Éducation nationale, par exemple, au sujet de l'homosexualité, de la bisexualité, du sadomasochisme, ou encore de la masturbation ? Tout discours sur ces thèmes est piégé, désarticulé, écartelé, atomisé entre les convictions intimes, la mode, les injonctions médico-technico-scientifiques, les théories de tout poil, les préceptes véhiculés par les médias, les exigences des minorités sexuelles, et cætera, et cætera.

Suggérer que l'homosexualité n'est pas la meilleure voie vers le bonheur tombe désormais sous le coup de la loi, vouloir empêcher son enfant de se masturber va déclencher un tollé sur l'internet, le dissuader de boire son urine va être repéré comme une tentative de déroger à la théorie du genre.

Promouvoir l'hétérosexualité sera aussitôt dénoncé comme la volonté d'imposer un stéréotype sclérosant et antédiluvien. Soutenir l'enfant dans une évolution vers l'amour génital, lui montrer comme but ultime la construction d'une famille, sera de la même manière dénoncé par les dézingueurs du genre.

Il semble donc qu'il faille laisser notre enfant libre de choisir parmi plus de cinq cents paraphilies, et ne pas nous offusquer de celle vers laquelle il se dirige, même s'il témoigne d'une attirance pour les êtres amputés ou pour le vomi. L'emmener consulter un psychologue serait aller contre la liberté du choix sexuel. Lui donner notre opinion, porter un jugement, tenter de le dissuader serait considéré comme vouloir lui imposer des stéréotypes. Parler de déviance, voire de maladie est désormais interdit.

Comment les parents, les éducateurs peuvent-ils s'en sortir ?

Et nous-mêmes, pouvons-nous encore penser la sexualité, nous fixer des limites, savoir si tel comportement est bien ou mal, s'il est dégradant pour l'autre, ou pour soi ? Comment pouvons-nous encore choisir, ou renoncer, nous engager, ou au contraire fuir ? Désirer, et a fortiori aimer, sont devenus des tâches inabordables.

Il est impossible d'échapper à ces stéréotypes tyranniques qui nous arrivent par tous les canaux existants : la télévision, l'internet, les chansons, les magazines, les autres. Aussi, si l'on veut avoir une sexualité, vivre quelque chose, sans trop savoir quoi, avec quelqu'un, sans trop savoir qui, nous sommes bien obligés de nous lancer dans la machine à broyer les illusions, à détruire les rêves d'enfance, à violer notre âme, ou être condamnés à renoncer à toute sexualité, pour échapper au monstre que nous avons créé, comme c'est le cas pour quarante-cinq pour cent des Japonaises entre seize et vingt-quatre ans, qui ne sont désormais intéressées par aucune forme de contacts sexuels, un chiffre pharamineux, et des conséquences invraisemblables, qui ont conduit les hommes politiques et les sociologues à parler de fléau national.

Au bout du compte, il semble bien qu'une seule sexualité existe désormais : la psychose.

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