Prenez une personne lambda, ni kurde, ni palestinienne, ni sahraouie et demandez-lui de parler de la colonisation du Kurdistan, de la Palestine ou du Sahara occidental sur un quelconque réseau social. Qu'obtiendrez-vous ? Des torrents d'insultes et de menaces en tous genres de la part des nationalistes turcs, marocains ou des sionistes. Quand bien même ces personnes soutiendraient la Palestine (par exemple), dès qu'il sera question de leur propre pays et de la colonisation que ce dernier fait subir à un autre peuple, elles se transformeront en les pires défenseurs de la colonisation ... avec les mêmes arguments et insultes que les sionistes.
"C'est faux il n'y a pas de colonisation, la preuve ils vivent avec nous, ils ont la nationalité, il y en a qui sont médecins, avocats, et même députés, membres du gouvernements !". "Je t'invite à te rendre sur place et constater par toi-même la réalité du terrain". "Le seul peuple légitime c’est le nôtre parce qu'on était là il y a 13127162361 ans". "Tel peuple n'a jamais existé c'est juste une propagande des états ennemis qui veulent affaiblir mon pays". "Occupe toi de ton pays d'abord, telle situation ne te concerne pas." N’abordons même pas toutes les insultes racistes d'une violence inouïe aussi bien envers une personne issue du peuple colonisé ou un simple défenseur de ce peuple.
Un élément qui relie ces défenseurs de la colonisation : imposer la menace perpétuelle en relai de la politique coloniale de leur état. Ce sont les premiers à relayer la terreur de leur propre état envers les peuples colonisés en attaquant sur les réseaux tout militant anticolonial. Avec les mêmes méthodes que leurs états. Ainsi, les sionistes en appellent constamment à la suppression des "terroristes" c'est-à-dire tout défenseur de la cause palestinienne, harcèlent en groupe ces militants sur les réseaux, allant jusqu'à révéler leurs informations personnelles et menacent même des députés français qui partagent leur solidarité avec la Palestine. De même les nationalistes turcs n'hésitent pas à signaler en masse des kurdes ou des militants pro-kurdes, à les ficher pour leur gouvernement (comme l'a récemment assumé sur Twitter un directeur du média Cerfia ou l'agence pro-gouvernementale Anadolu Agency), à menacer des députés français, à appeler à la mort des kurdes où qu'ils soient. Sur les réseaux de l'état turc et leurs actions en France nous vous invitons à lire cette série d'articles du réseau Serhildan initialement paru sur RojInfo. Enfin les nationalistes marocains (qu'on nomme aussi Moorish) ne manquent pas à l'appel des défenseurs de la colonisation avec des campagnes de harcèlement, de diffamation et de menaces envers toute personne défendant le peuple opprimé du Sahara occidental.
Mais alors pourquoi tant de haine ?
Il est important pour nous, le Front de Libération Décolonial, de répondre à cette question non seulement pour comprendre et analyser ce phénomène qui affecte tout militant anti-colonial mais aussi pour tenter d'y remédier. Notre travail étant de démontrer les liens indéfectibles des peuples colonisés à travers l'histoire, nous œuvrons constamment à dévoiler les techniques communes des états colons contre tous les peuples colonisés. Nous appelons à un renforcement de la solidarité envers les peuples colonisés mais notre appel ne s'arrête pas aux frontières des états colons, au contraire les personnes les plus à même d'améliorer de manière conséquente la situation des colonisés ce sont les colons eux-mêmes. Mais ils sont, pour l'instant, en grande majorité dominés par la propagande nationaliste-coloniale de leur propre pays. C'est pourquoi nous appelons les militants anti-coloniaux à continuer leur travail crucial de sensibilisation aux questions coloniales pour dévoiler aux nationalistes-colons la dure réalité de ce qu'ils s'évertuent à défendre. Montrer à un militant pro-palestinien que l’État colonial d'Israël qu'il dénonce produit sensiblement la même oppression que son État fait subir aux Kurdes ou aux Sahraouis peut lui permettre d'ouvrir les yeux, de comprendre la supercherie de la propagande de son propre état colonial.
Ce texte et notre travail vous sont aussi destinés chers nationalistes-colons alors asseyez-vous, reposez ces doigts prêts à déverser votre haine et lisez ce texte calmement pour essayer de sortir de ce cercle infernal.
Vous êtes coupables. Coupables de la colonisation que votre état fait subir. Coupables des tortures, déportations, massacres et autres horreurs perpétrées en votre nom, sous votre drapeau, sous votre hymne que vous chérissez. Pourquoi ? Parce que vous bénéficiez directement des profits coloniaux qui améliorent votre niveau de vie même sensiblement comme ce fut le cas pour tous les Français avec leur empire colonial. Pourquoi ? Parce que vous soutenez la politique coloniale de votre état, au mieux en fermant les yeux sur leurs horreurs au pire en les soutenant activement dans leurs méfaits.
Ainsi vous faites corps avec l’État colon car un état ne se limite pas aux seuls institutions, fonctionnaires et administrations, qu'on peut nommer la forme institutionnalisée de l’État, c'est aussi la "société civile" (partis politiques, syndicats, médias, associations, ...) qui détermine l’État et son pouvoir politique (cette analyse reprend des notions développées par Gramsci sous le nom "d’État intégral", pour plus d'informations : cet article de la revue Contretemps ainsi que les écrits de prison de Gramsci). Sans cette "société civile", dont vous faites entièrement partie, pas de pouvoir politique conséquent de l’état colonial et donc pas de colonisation. C'est en tant que composante totalement intégrée à "l’État colonial intégral" que vous êtes coupables. C'est aussi pour que vous soyez intégrés à cet État et garants de sa politique que votre pays use de tous ses moyens pour faire une propagande violente et puissante à votre encontre pour que vous ne puissiez voir la situation désastreuse que subissent les peuples colonisés.
L'aspect institutionnel de la colonisation est assez bien connu, sinon nous vous invitons à lire les articles publiés sur notre blog et ceux que nous avons relayés. Mais cette notion "d'État colonial intégral" apporte un point de vue très intéressant : la place de la "société civile".
Quelques explications à travers l'exemple de la Turquie :
- Aucun parti politique turc, mis à part le parti pro-kurde le HDP énième parti créé suite aux multiples interdictions et qui est encore sous la même menace (sans compter l'extrême-gauche turque qui est très affaiblie depuis des décennies), ne défend la cause kurde. Aucun. Que ce soient les partis au pouvoir (AKP-MHP, fasciste-colon) ou l’opposition (CHP-Le Bon Parti, nationaliste-colon) aucun ne remet en question la situation coloniale kurde ou ne souhaite rétablir les droits des kurdes. Quant au HDP, des centaines d'élus sont en prison, des dizaines de milliers de militants aussi, les partis d'opposition refusent toute alliance avec ce parti considéré au mieux comme indésirable au pire comme "terroriste". Donc tous les partis politiques qui souhaitent exister dans l’État turc doivent suivre la ligne coloniale, pas d'autre alternative au risque de se faire interdire et disparaître. Dans un tel contexte, il n'est pas étonnant que le nationalisme turc soit aussi exacerbé.
- L'immense majorité des médias est aussi contrôlée par le régime d'Erdogan, taisant toute opposition à son gouvernement et reproduisant la propagande anti-kurde et anti-arménienne nauséabonde. C'est l'appareil de propagande par excellence qui conduit à cette haine décomplexée de la part des nationalistes turcs. Comment pourrait-il en être autrement ? Biberonné constamment à une telle propagande, sans contestation aucune, vous aurez vous aussi de grandes chances de devenir un nationaliste-colon. Un contre-discours décolonial est donc crucial et il doit s'exprimer à l'intérieur de la société civile pour qu'il soit efficace. D'où le travail nécessaire et essentiel de sensibilisation auprès des nationalistes-colons.
- Les associations culturelles turques, notamment en France et en Europe, participent elles aussi à l'exacerbation du sentiment national et à la haine raciale. Elles sont des relais de l’État turc car elles sont financées très souvent par celui-ci mais aussi parce qu'elles adhèrent en bloc à la propagande de cet État et empêchent la propagation de tout contre-discours. Elles sont la preuve que la "société civile" est partie prenante de l’État intégral.
- RojInfo résume ainsi la situation de l'emprise de l'État colonial intégral turc en France : "Les mosquées, les imams, les disciples des sectes, les nationalistes, les associations, les journalistes, les politiciens, les ambassadeurs et bien d’autres font partie du réseau de renseignements [destiné à traquer, espionner et assassiner les opposants notamment kurdes, ndlr]." L'État colonial intégral transparaît clairement ici : unité de l'institutionnel et de la "société civile" sur laquelle repose l’État pour consolider le peuple dans son entreprise coloniale.
Des exemples similaires peuvent bien entendu être trouvés pour le Maroc sur les positions de la sphère politique, les médias aux mains du régime, les associations qui reproduisent le discours colonial sans contestation... Dans le cas de la Palestine cette réalité est encore plus criante, preuve encore que la situation coloniale en Palestine est le point culminant des mesures, techniques, horreurs du colonialisme.
La notion d'État colonial intégral est ainsi explicitée. Bien évidemment elle n'est qu'un prisme de lecture pour tenter de comprendre les mécanismes en jeu dans la formation des nationalistes-colons et n'a pas vocation à prendre en compte toutes les composantes du colonialisme. C'est une tentative didactique pour démontrer la force du colonialisme dans l'esprit des personnes qui sont de l'autre côté du mur.
Pourquoi tant de haine ? Parce qu'il le faut. Il le faut pour que l'état colonial puisse exister. Il n'y a qu'à voir la force avec laquelle il se démène pour parvenir à atteindre son peuple et le "convaincre" de le suivre dans la machine infernale de la colonisation. Sinon comment y parvenir ? Comment réussir à avoir l'approbation de millions de personnes dans une entreprise aussi inhumaine, raciste, destructrice, immonde que la colonisation si ce n'est par la formation d'une haine féroce inculquée dans l'esprit des personnes ? L’État colonial utilisera à ce dessein l'intégralité des moyens qui lui sont donnés pour y parvenir : les institutions et la "société civile" (au sens gramscien). Le nationaliste-colon baigne ainsi dans une effervescence de nationalisme depuis sa naissance. Il se croit dans une citadelle assiégée attaquée par des "ennemis de l'extérieur" (pays voisins, CIA, Occident, ...) et des "ennemis de l’intérieur" (les opposants politiques devenus "traitres", les déstabilisateurs, ...), croyance développée excessivement par l'ensemble de l’État colonial intégral et dont les ennemis varient au gré des colons (Kurdes, FETO, Europe, États-Unis, Grèce, Arménie, pays arabes pour la Turquie ; l'Algérie, le Polisario et toutes les figures panafricaines et anti-colonialistes comme Thomas Sankara ou Nelson Mandela qui ont pu soutenir le peuple sahraoui lors des dernières décennies pour le Maroc ; Amnesty, la plupart des ONG, le monde entier sauf l'Occident pour Israël).
Comment contrer cette machine infernale ? Pour nous militants décoloniaux il faut continuer nos efforts pour sensibiliser le plus grand nombre aux questions coloniales sans jamais tomber dans la complaisance vis-à-vis d'autres situations coloniales : on ne peut soutenir la Palestine, le Kurdistan ou le Sahara occidental sans soutenir toutes celles-ci (ou tout peuple colonisé). Malgré les attaques incessantes des nationalistes-colons et leurs menaces visant à nous faire taire ou nous diviser, nous ne devons pas céder. Face à une machine de propagande aussi puissante nous avons besoin d'une contre-offensive conséquente : c'est tout le projet du FLD de consolider le camp anticolonial en l'unissant face à ses ennemis communs. Si nous avons rejoint la cause décoloniale c'est avant tout pour dénoncer l'une des plus grandes injustices de ce monde dont trop peu de personnes parlent : la colonisation. Nos frères et sœurs colonisé.es comptent sur nous, ne les décevons pas.
Enfin chers nationalistes-colons cet article est aussi un message qui vous est adressé : nous comprenons comment vous en êtes arrivés là, par quels mécanismes vous en êtes réduits à défendre la colonisation alors que parfois vos ancêtres l'ont subie et ont lutté contre, alors entendez-nous, entendez la souffrance des peuples colonisés, dénoncez-là et défendez-les face à la violence de votre propre état. Soyez du bon côté de l'Histoire.