Il n'est pire sourd que celui qui ne veut pas voir. Salaud d'abbé, aurait pu ajouter Ali Badou avant de s'effondrer, terrassé par la déception, dans le studio douillet de France inter depuis lequel il monte en chaire pour délivrer son prêche matinal. "Pas ça, pas lui", ces quatre mots suffisent pour traduire l’amertume, un brin surjouée provoquée par une révision déchirante. Où va-t-on, si les symboles et les légendes commettent de ces crimes crapuleux, jusque là réservés aux membres des classes dangereuses. Qui pourra encore accorder crédit aux leçons de morale déversées depuis l’enfance aux fins d’édification et de soumission ? Les jeux olympiques, une coupe du monde de football ne suffisent pas pour construire un "roman national " qui fasse la fierté de tous et provoque l’obéissance de chacun. Reste qu’un bonne guerre ne manquerait pas de souder le pays autour d’un sauveur suprême. Avec la chute de l’abbé, le fidèle est-il encore de saison ? Un Jérôme Bosch vivant trouverait matière à peindre "Le peuple souverain dessillant les yeux", un chef-d’œuvre qui remiserait les croûtes représentant des Hommes providentiels dans l’abîme des caves de musées.
Une figure christique en christoc. C'est en recevant les autrices de "l'Abbé Pierre, la fabrique d'un saint" (1) qu’Ali Badou, journaliste d’investigation XXL, découvre que le religieux s'est livré à des viols sur des femmes et des adolescentes, ce que le vatican signala à "l'église de France " dès les années cinquante. Mais, sans doute victime du syndrome de Betharram,"l’église de France" devait avoir mieux à faire que chercher des poux dans la tonsure de l'antisémite au grand coeur. Et d’abord, tu sais ce qu’elle te dit l’église de France ?
Il ne faut pas désespérer les citoyens. Si à Guines Hardinghen(4) comme à Paris, les français déboulonnaient les statues des boussoles suprêmes, elle emprunterait une pente fatale aux croyances, celles qu’on ramène d’un meeting où un tribun soulève les foules, celles des vérités plus ou moins alternatives qu’on partage dans la chaleur fomplice du délicieux entre soi et contre tous des fabriques d’opinion, aux événements créés pour susciter "la ferveur ", "la joie et la fierté des français". Manquerait plus que la guitare de J.J. Goldman, une autre "personnalité etc" accuse le chanteur de lui avoir fait subir les derniers outrages. Ou que le chef d’un gouvernement de canailles ait couvert par son silence complice, les violences notamment sexuelles perpétrées au sein d’un établissement scolaire catholique dans le conseil d’administration duquel il siegea quand son épouse administrait des leçons de catéchisme. A la décharge du susnommé, force est de reconnaître qu’à l’époque, les liaisons entre Paris et Pau n’étaient pas ce qu’elles sont depuis janvier 2025. Quid enfin du charity business, pratique moyen-âgeuse mais plus que jamais en vogue destinée à gommer les situations les plus indignes et les plus inacceptables pour éviter une révolte générale comme celle qui permit la Commune de Paris. Les déclinaisons d’à vot’ bon coeur, comme celle d’Emmaus et de notre dame des pièces jaunes, bénéficient des faveurs insistantes des occupants de l’Élysée, eux-mêmes membres d’une bourgeoisie qui fréquente les écoles catholiques, renvoyant l’ascenseur aux actionnaires des entreprises privées qui se gorgeront du sang de la privatisation du "modèle" social et de redistribution chancelant.
Rendez-nous l’abbé, son auréole garde la trace de ses crimes et des écoles maternelles changeront de nom mais comment affronter la noirceur du monde sans la présence d’un berger pour nous guider. Il suffirait d’ailleurs d’imaginer que le "peuple souverain" débranche sa télé et qu’il se désabonne de "ses" réseaux sociaux pour que son esprit batte la campagne (5) et qui sait, jete aux orties les Macron, le pen, Melenchon et leurs copains, qu’ils se détournent du culte rendu aux compétiteurs sportifs, qu’ils dégonflent les baudruches à la Johnny Halliday ? On assisterait à un tsunami aux conséquences insupportables, comme les révisions déchirantes auxquelles nos "amis" militants se sont confrontées lorsqu’ils ont accepté que le brouillard se lève sur ce qu’un affreux Jojo appela un "bilan globalement positif " ou plus récemment, quand certains de ses compagnons de la première heure découvrirent que le Chef les avait écartés pour avoir contesté Sa Parole. Imagine que ces maoistes ( il doit en rester encore) qui ont mis si longtemps à reconnaître que le génocide perpétré par les khmers rouges avaient découvert que leur grand timonier avait besoin d’une bouée pour traverser le Yang Tsé (6) qui aurait eu encore envie d’admirer un petit baigneur ? Dur de dessiller les yeux. Quoiqu’il en soit et comme dit l’autre, ni prophète, ni César, ni tribun. Et pourquoi pas ni dieu ni maître, ni pape pendant que tu y es.
(1) "Abbé Pierre, la fabrique d'un saint" - L. Cherel-M.F. Etchegoin aux editons Allary.
(2) Emmaus, " refuge pour les désespérés ", avoir choisi cette dénomination dénote un certain cynisme.
(3) Gilbert Bastien en avait tiré une chanson " Danielou, vieux grigou " qui fut diffusée sur Radio Libertaire.
(4) localité du … boulonnais
(5) à ne pas confondre avec « battre sa compagne ».
(6) info ou intox ?