Agent de développement touristique ( si, si ça existe) d’un territoire sans atouts et loin de la mer, toi qui désespère d'etre répertorié dans la liste des sites retenus par trip advisor ou cités à l'ordre du mérite d'une émission de télévision abêtissante, la disparition d'enfant représente une opportunité incomparable à exploiter. Aucun investissement financier n'est nécessaire, il suffit seulement que la population participe activement à l'opération, qu'elle soit accueillante et résolument engagée dans la compétition féroce pour attirer les fines mouches du tourisme. Comme le rappelait un vinaigre de ma connaissance, rien ne vaut un peu de miel pour mobiliser et retenir médias et visiteurs.
Provoquer l'émotion et capitaliser un peu, beaucoup, passionnément, à la folie pour retenir l'attention. Le choix du porte-drapeau de votre bled sans intérêt mérite la plus grande attention. Idéalement, il s'agirait d'un enfant (plutôt une fille) de 3 à 10 ans à la frimousse avenante, à la peau blanche et aux cheveux blonds, issu d’un milieu social petit bourgeois, ni trop aisé, ni trop cassoc’ pour faciliter l'empathie et l'identification d'un public qui corresponde aux catégories de visiteurs ciblées, des foyers suffisamment aisés pour avoir les moyens et l'envie de fréquenter les commerces et établissements du village plutôt que ceux des zones commerciales qui ne votent pas. Le responsable de l'opération s'assurera de la qualité et du nombre d'hébergements et de restauration susceptibles de retenir les journalistes et de séduire les curieux (l'importance du bouche à oreille), la proximité d’une brigade de gendarmerie, une connexion wifi de qualité irréprochable restant deux éléments incontournables. Prévoir des activités... L'organisation d'une battue des habitants à la recherche du ou de la disparue, permet que des clichés allechants diffusés par les médias mettent en valeur votre capital touristique. Certains préconisent une dramatisation supplémentaire en avançant l'hypothèse d'une piste terroriste ou d'un pervers sexuel mais ces deux pistes pourraient s'avérer contre-productives. En effet, qui a envie de passer des vacances à Crepol ou de se priver de randonnées pour cause de danger ? Mieux vaut que les enquêteurs orientent leurs recherches vers la famille et les proches.
Aussitôt la disparition signalée, votre cellule "communication" contactera les médias locaux et nationaux en leur fournissant un dossier de presse étoffé : rapport de police, liste des activités de loisirs et des monuments à visiter, répertoire des hôtels et des personnes ressource... Des séances de media-training seront organisées pour préparer l'entourage du cher disparu, quelques élus, les témoins et les personnalités marquantes du bourg à affronter les micros et les caméras. Reste encore à determiner la période optimale pour lancer l'opération, un sujet délicat quand on sait que les français choisissent de plus en plus tard de leur lieu de vacances. Neanmoins, le début du printemps parait être de nature à booster la fréquentation estivale comme comme celle des ponts du mois de mai.
En respectant ces conditions, vous devriez bénéficier d'une exposition médiatique durable et répétée sur les chaînes dites d'information. Toutefois, rien ne vous prémunit contre l'apparition malencontreuse d'un crime plus sordide, l'envahissement d'un pays voisin, l'explosion d'une centrale nucléaire voisine voire une dissolution du parlement. Nul doute que vous vous verriez alors relégués dans une position impropre à capter l'attention. À moins que vous reussissiez à faire apparaître des éléments nouveaux accompagnés d'images macabres. À vous de trouver de l'horreur et du spectaculaire pour satisfaire les appétits insatiables et dévorants des chaînes dites d'information publiques et commerciales. La concurrence est rude dans ce créneau.
Nota Bene : les O.T. de cités chargés de promouvoir les séjours vacances dans des quartiers populaires connaîtront quelques difficultés. Les recommandations ci-dessus ne les concernent pas. En effet, quel média serait assez stupide pour planter ses caméras au-delà d'une ou deux journées dans une réserve d'enfants à la peau mate ? A moins de l'enlèvement d'un rejeton d'un représentant de la force publique ou d'une fuite de cerveaux vers un camp djihaddiste.