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Tatiana, vous ne rêvez pas de moutons comme le Petit prince mais d'agneaux. Mais comme dans le Petit prince, l'agneau est dans une boite et seulement visible par vous. Toutes vos toiles ont une partie cachée?
J'ai effectivement commencé à peindre après avoir fait un rêve. J'étais à l'embranchement de deux routes. L'une des deux grimpait vers une montagne et l'autre descendait vers une vallée. J'ai choisis le chemin de droite qui descendait et vu, sur le bas-côté, un agneau, la tête parée de plumes. Son regard était ouvert et serein. Ce rêve d'agneau m'a donné l'envie de le dessiner. Je me suis donc inscrite à un cours et j'ai demandé au professeur de m'apprendre à dessiner un agneau. Je tentais et tentais encore de le figurer mais je ne retrouvai pas l'esprit de mon rêve. Frustrée, j'ai fini par recouvrir rageusement de couches de peinture mon énième dessin. Et la toile s'est mise à ressembler à un paysage constitué d'eau, de ciel et terre. Et, dans cette figuration tranquille ouverte, légitime et bien à sa place, j'ai retrouvé l'esprit de l’agneau de mon rêve.
C'était il y a 5 ans et, depuis la peinture ne m'a plus lâchée. J'avais 47 ans. Comme dans mon rêve, j’ai pris un virage, j’ai choisi un chemin. Pourquoi celui qui descend plutôt que celui qui monte ? Celui qui monte était plus abrupt, plus imprévisible, il finissait par un virage sec vers un versant invisible…mais je n’avais pas non plus de visibilité pour celui qui descend, il y avait de l’inconnu dans les deux options, peut-être quelque chose de menaçant dans l’option « haute », une vieille peur… quoi qu’il en soit, ma rencontre « d’en bas » a été un cadeau !
Votre référence au Petit Prince de Saint-Exupéry est jolie mais mon souhait n’est pas de cacher quoi que ce soit, éventuellement de rendre visible ce qui ne l'est pas… sans que cela constitue un objectif !
Vous utilisez essentiellement l'huile sur toile. Commencez vous par un dessin au crayon ou vous jetez vous directement à l'huile?
Depuis l'épisode de l'agneau, je ne suis plus jamais passée par le dessin ni par la tentation du dessin. Je peins exclusivement et directement à la peinture à l'huile.
Comment se passe le processus créatif? Donnez vous un titre avant où après avoir peint le tableau?
Le processus peut être ou très long ou très court. Il m'est arrivé de peindre une toile en deux heures et de la trouver finie ou en trois ans et de la considérer comme encore inachevée. C'est à la fois variable et incontrôlable. La grande question, pour moi, est de savoir quand une toile est terminée. Parfois je la laisse reposer longtemps, parfois le regard d'autres personnes m'informe qu’elle pourrait être fini. Le processus créatif est absolument variable dans sa durée. Quant au procédé, je jette la peinture sans idée de programme ou de projet. Le choix des couleurs, l'épaisseur de la matière, font qu’à un moment donné, apparaît une ouverture : un contraste, une vibration, une forme... C'est à partir de cet élément vivant que je trouve ma porte d'entrée. Ensuite, je poursuis de différentes façons : je continue à peindre, mais aussi je regarde, beaucoup… et je dors avec mes toiles en cours de réalisation accrochées aux murs de ma chambre. Lorsque nous nous réveillons le matin avec mon mari, et que nous avons le temps, nous les regardons. Son regard a participé à certaines de mes toiles.
J'amène aussi parfois mes toiles inachevées chez Sylvie Guezennec - qui est peintre, art thérapeute et professeur d'art plastique à Montmartre - et lui demande ce qu'elle voit. Elle sait vraiment voir. Parfois elle m’invite à m’arrêter, parfois à continuer.
Les titres orientent le regard vers une forme d'interprétation de votre tableau. Mais sans titre, vos tableaux laisseraient le champ libre à l'imagination de celui qui regarde. Comment imaginez vous le regardeur idéal?
Quand on va voir une exposition dans une galerie ou un musée, on a tendance à regarder la toile d'abord et le titre après. Dans ce contexte, le sujet c'est la toile et le regard n’est pas d’abord influencé par le titre. Aujourd'hui le fait que les toiles soient visibles pour la première fois sur internet change quelque chose au processus, à la rencontre. Je ne sais pas… Le titre et la peinture sont souvent côte à côte et l'on ne peut pas voir l'un sans l'autre. Il est possible que l'orientation donnée par le titre influence le regard. Néanmoins, quand on regarde bien une toile, je pense que l’on perçoit l’intention du peintre, qu’il y ait titre ou pas. On ressent un univers, la peinture est son propre langage. D’ailleurs, de toutes les peintures qui m’ont marquée, influencé, « éduquée », je retiens l’image, très rarement le titre. La peinture que l’on découvre sur le net me pose d’autres questions, surtout celle de l’écran qui s’interpose entre le visiteur et l’œuvre. La réceptivité, les sensations sont amoindries. Rothko sur le net n’est pas Rothko.
Le regardeur idéal serait pour moi celui qui prend le temps de regarder, vraiment, et qui, accepte l’expérience proposée par le peintre. Ce qui signifie parfois sortir d’une expo sans savoir bien ce qu’il a vu, avec l'impression de ne pas savoir « encore » ce qu'il a vu, sans que cela ne provoque aucune vacance, mais une sensation encore inexplicable.
Obsédée par le bleu perdu d'une de vos toiles d'enfant, êtes vous toujours à la recherche de votre bleu parfait?
Je ne vise aucune forme de perfection et je m'en méfie comme de la peste, la perfection est pour moi tyrannique. Le bleu a eu la vertu de me rappeler avec insistance à mon désir, de remettre en mouvement une vibration. La nature du bleu est d'aspirer, de creuser comme si le regard portait loin face à cette couleur. Aujourd’hui c’est intégré, depuis que je peins, je n'ai plus aucune nostalgie du bleu.
On pourrait classer vos tableaux en quatre genres ; paysages, personnages évoqués, peinture abstraite et "bande dessinée". Ce dernier genre (Sachem) évoque une urbanisation futuriste. Etes vous d'accord sur cette classification? En proposez vous une autre? Explorez vous d'autres thèmes?
Cette classification correspond à la réalité. Mais, quelle serait la fonction de la classification ? Je n'explore pas de thèmes en particulier et je me demande si c'est moi qui explore ou si c'est la peinture qui m'explore. Il y a beaucoup d'éclectisme dans les catégories que vous citez, mais en amont ou en aval de celles-ci, il y a une unité dont le nom reste à trouver.
Les couleurs de vos toiles semblent toujours cachées par un voile mouvant et imperceptible, un peu à la manière des premières photos dont le long temps de pose laissait place aux fantômes des passants. Est-ce voulu?
En aucun cas ça n'est voulu mais c'est effectivement exprimé et justement constaté mais je ne sais pas ce que ça dit. Un ami sinologue m'a parlé d'une notion entre le précis et le flou qui n'appartient pas à notre registre de pensée mais qui est très naturel pour les chinois. Mes toiles sont parfois dans cet entre-deux, ni précises, ni floues. Cela me fait penser à ce qui se passe entre le rêve et l'éveil.
Philosophe, communicante, psychanalyste, peintre... Comment ce cheminement vous a mené à la peinture?
Enfant, je me posais beaucoup de questions existentielles sur le sens de la vie et la nature de la mort. Ces questions m'assaillaient et j'avais un rapport d'étonnement au monde qui m'était naturel. En terminale, en classe de philosophie, j'ai été ravie de découvrir qu'il y avait des gens dont c'était le métier de se poser ces questions. Cela m'a donné envie de poursuivre des études de philosophie. Ma maîtrise de philo « Au nom de quoi ? » était une tentative pour fonder rationnellement le bien et le mal. J’ai abouti à une aporie : une impasse logique. Je me suis retrouvée comme « coincée » par ce constat, une mise en échec de la rationalité sur des questions aussi essentielles…Aussi, pour mon DEA j’ai choisi d’aller dans le département théologie qui dépendait du département philo. J'ai choisi comme sujet « Le caractère philosophique ». Autrement dit, comme une mise à distance de celle que j’étais et qui tentait de fonder rationnement le Bien et le Mal. Une façon de me demander : « d'où je parle? ». Un début d'auto-analyse.
Mon agence de communication a été avant tout pour moi un espace de création qui me permettait aussi de gagner de l’argent. Je ne me sentais pas de vocation de communicante, simplement, j’aimais écrire et travailler avec des graphistes, des illustrateurs, des photographes. Et je trouvais souvent que l’image exprimait plus fortement les messages que mes mots. Mais ma place dans le monde ne me satisfaisait pas dans cette agence, ce n’est pas à ça que je rêvais de contribuer. Néanmoins, quelque chose de mon goût pour la création y a été travaillé et révélé.
Quant au fait de travailler à la fois comme psychanalyste et peintre, ce ne sont pas des postures différentes ou opposées : elles ont en commun de s’appuyer sur la sensation, la vision, la vibration ; voir n'est pas un travail des yeux.
Qui sont les artistes qui vous inspirent?
Kandinsky, Rothko, Turner, Chagall, Verdier, Zao Wou-Ki...
Produisez vous beaucoup?
Enormément. Dés que j'ai deux ou trois heures devant moi je peins. Il y a en moi une forme d'effervescence que je ne cherche en aucun cas à réprimer.
Avez vous de nouveaux projets d'exposition personnelles ou collectives?
Je suis inscrite à plusieurs manifestations franciliennes d’ici l’automne : Marché des Peintres à Rueil Malmaison en Mai, Paris Artistes en Octobre et j’ouvrirai sûrement mon atelier à Montmartre fin juin. Sinon, peut-être une expo collective au Luxembourg et un projet d'exposition personnelle à Moscou.
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