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Billet de blog 30 mai 2016

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887 par Robert Lepage ou Speak White ou la mémoire en représentation

887, spectacle de Robert Lepage illustre le cheminement de la mémoire et de sa représentation.

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Confronté à l'incapacité de mémoriser un poème de 4 pages qu'il s'est engagé à dire à un important festival de poésie au Canada, il s'interroge sur les mécanismes absurdes de la mémoire qui emmagasine des informations comme, par exemple, de vieux numéros de téléphone ou de rues alors qu'ils ne sont plus d'aucune utilité.
Partant de l'absurdité de ce constat, il se souvient du numéro de la rue ou il a vécu enfant et nous fait remonter le temps de son histoire et de celle du Québec.
Apparemment seul sur scène, il commence par s'adresser au public, les lumières dans la salle sont allumées "comme si" le spectacle n'avait pas commencé. Avec ce procédé,  il invite le public à devenir son complice: la scène et la salle ne sont plus qu'un et le public peut participer à la réflexion qu'il veut nous faire partager ; ainsi nous cheminons avec lui sur un pied d'égalité spectateur et acteur.
Il commence par un questionnement : il est invité au festival de poésie québécoise à dire un texte de la grand poétesse Michèle Lalonde : Speak white. Il lui est demandé par les organisateurs - comme il est comédien - d'apprendre le texte par cœur.
Composé de 4 pages le poème semble un tout petit défi pour Robert Lepage qui pense que cet exercice ne sera qu'une formalité.
Il invente un dispositif scénique qui représente la barre d'immeuble de son enfance et qui va se transformant en différents lieux importants et à différentes échelles. Une petite voiture représente le taxi de son père, et Robert Lepage devient, à nos yeux, à la fois l'enfant joueur et le metteur en scène.
887 et ce voyage dans la mémoire nous renvoient à l'histoire même de Robert Lepage, à l'Histoire du Québec dans les années 1960 et à la la lutte des classes entre les pauvres francophones et les anglophones." ’J'ai dû faire un tri important dans mes souvenirs de l’âge de deux ans et demi jusqu’à douze ans et demi. Plein de choses sont réapparues en essayant de retrouver la grande histoire autant que la petite histoire. Car j’ai essayé, comme dans la plupart de mes spectacles de croiser ces deux niveaux et de m’interroger sur ce qu’était le Québec dans les années 1960".

Mise en scène et interprétation : Robert Lepage
Direction de création et idéation : Steve Blanchet

Speak white!

Michèle Lalonde
Il est si beau de vous entendre 

Parler de Paradise Lost

Ou du profil gracieux et anonyme qui tremble dans les sonnets de Shakespeare
Nous sommes un peuple inculte et bègue

Mais ne sommes pas sourds au génie d’une langue

Parlez avec l’accent de Milton et Byron et Shelley et Keats

Speak white!

Et pardonnez-nous de n’avoir pour réponse

Que les chants rauques de nos ancêtres

Et le chagrin de Nelligan
Speak white!

Parlez de choses et d’autres

Parlez-nous de la Grande Charte

Ou du monument à Lincoln

Du charme gris de la Tamise

De l’eau rose du Potomac

Parlez-nous de vos traditions

Nous sommes un peuple peu brillant

Mais fort capable d’apprécier

Toute l’importance des crumpets

Ou du Boston Tea Party
Mais quand vous really speak white

Quand vous get down to brass tacks
Pour parler du gracious living

Et parler du standard de vie

Et de la Grande Société

Un peu plus fort alors speak white

Haussez vos voix de contremaîtres

Nous sommes un peu durs d’oreille

Nous vivons trop près des machines

Et n’entendons que notre souffle au-dessus des outils
Speak white and loud!

Qu’on vous entende

De Saint-Henri à Saint-Domingue

Oui quelle admirable langue

Pour embaucher

Donner des ordres

Fixer l’heure de la mort à l’ouvrage

Et de la pause qui rafraîchit

Et ravigote le dollar
Speak white!

Tell us that God is a great big shot

And that we’re paid to trust him

Speak white!

Parlez-nous production, profits et pourcentages

Speak white!

C’est une langue riche

Pour acheter

Mais pour se vendre

Mais pour se vendre à perte d’âme

Mais pour se vendre
Ah! Speak white!

Big dea
l
Mais pour vous dire

L’éternité d’un jour de grève

Pour raconter

Une vie de peuple-concierge

Mais pour rentrer chez nous le soir

A l’heure où le soleil s’en vient crever au-dessus des ruelles

Mais pour vous dire oui que le soleil se couche oui

Chaque jour de nos vies à l’est de vos empires

Rien ne vaut une langue à jurons

Notre parlure pas très propre

Tachée de cambouis et d’huile
Speak white!

Soyez à l’aise dans vos mots

Nous sommes un peuple rancunier
Mais ne reprochons à personne

D’avoir le monopole

De la correction de langage
Dans la langue douce de Shakespeare

Avec l’accent de Longfellow

Parlez un français pur et atrocement blanc

Comme au Viêt-Nam au Congo

Parlez un allemand impeccable

Une étoile jaune entre les dents

Parlez russe, parlez rappel à l’ordre, parlez répression

Speak white!

C’est une langue universelle

Nous sommes nés pour la comprendre

Avec ses mots lacrymogènes

Avec ses mots matraques
Speak white!

Tell us again about Freedom and Democracy

Nous savons que liberté est un mot noir

Comme la misère est nègre

Et comme le sang se mêle à la poussière des rues d’Alger ou de Little Rock
Speak white!

De Westminster à Washington, relayez-vous!

Speak white comme à Wall Street
White comme à Watts

Be civilized

Et comprenez notre parler de circonstance

Quand vous nous demandez poliment

How do you do?

Et nous entendez vous répondre

We’re doing all right

We’re doing fine

We are not alone
Nous savons que nous ne sommes pas seuls.
1968

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