Madame la Présidente du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes,
Je vous prie de bien vouloir recevoir ma démission du Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE).
J’ai accepté en juillet 2021 l’invitation à devenir membre HCE, puis en janvier 2022 à devenir co-président de sa commission stéréotypes pour la mandature 2022-2024. J’ai pris au sérieux sa « mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité ».
Mon parcours de chercheur en sociologie et sciences de la communication m’a amené à me spécialiser sur la pornographie dans le cadre de ma thèse de doctorat puis sur l’éducation à la sexualité à l’ère numérique dans le cadre de mes recherches actuelles. Lors du séminaire d’installation des commissions du HCE du 1er avril 2022, j’ai présenté en tant que co-président de la commission stéréotypes un projet de rapport sur les dispositifs innovants en matière d’éducation à la vie affective et sexuelle en France et à l’international. Céline Piques, de l’association Osez le féminisme, a opposé son veto à ce projet de rapport, sur la base d’un argument qui aurait mérité une discussion de fond : les personnes qui envisagent la pornographie comme un objet culturel, comme moi, ou comme une représentation fictionnelle de la sexualité, comme la réalisatrice Ovidie, seraient dangereuses car elles banaliseraient la culture du viol. Au vu de la complexité des enjeux, j’ai émis le souhait qu’une méthodologie de discussion soit mise en place pour qu’une pluralité d’expertises féministes puisse s’exprimer sur cette question controversée. Cette discussion contradictoire n’a malheureusement pas été possible et j’ai finalement été écarté de toute discussion relative à la sexualité au sein du HCE. Le 22 juin 2022 a été publié un épisode du podcast « Féminisme Initial » du HCE sur le thème de l’éducation à la sexualité. Je m’interroge sur le fait de ne pas avoir été mis au courant de cet épisode de podcast, qui porte pourtant sur un sujet sur lequel je m’étais clairement positionné. Dans le même temps, le HCE a pris la décision, à l’initiative de l’association Osez le féminisme, de faire de la lutte contre la pornographie le thème phare de la mandature 2022-2024. J’ai formulé à deux reprises la demande d’assister aux travaux de la commission violences, en charge du rapport sur la pornographie, en suivant la procédure qui m’avait été indiquée, d’abord le 4 avril 2022 par mail à la Présidente et à la Secrétaire Générale du HCE, puis de vive voix à la chargée de mission de la commission violence le 8 avril. Ces deux demandes sont restées sans réponse. Ces arbitrages étant contraires à la conception que je porte de la « mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité », je me sens contraint de vous présenter ma démission.
Ma première mission en tant que co-président de la commission stéréotypes était de participer à la mise en place d’un baromètre sur le sexisme, soit une enquête par questionnaire auprès d’un échantillon représentatif de la population vivant en France, visant à mesurer l’évolution des opinions en matière de sexisme. La première version de ce baromètre, qui a été réalisée dans l’urgence en février 2022 par un institut de sondage, ne constitue pas un point de départ fiable. Lors de leur audition du 4 juillet 2022, la chercheuse Nonna Mayer et le chercheur Vincent Tiberj ont partagé avec la commission stéréotypes du HCE leur expérience de travail de long-terme sur le baromètre racisme du Conseil National des Droits de l’Homme. La recommandation de ces deux spécialistes était de construire sur la durée un partenariat avec des chercheurs·euses spécialistes de l’enquête quantitative sur les questions de genre et d’opinion ; ce qui aurait impliqué de repousser de plusieurs mois la date de publication des résultats, initialement prévue pour janvier 2023. Je ne peux que regretter que leur avis n’ait pas été suivi et que ce calendrier très contraint ait été maintenu. Le fait que le HCE privilégie l’interpellation à court-terme à partir d’un sondage, aux dépens de la construction patiente d’un outil de mesure rigoureux des opinions en matière de sexisme, entraîne une perte de sens dans mon engagement en tant que chercheur dans ce projet.
Au regard du fort investissement qui m’était demandé, j’avais enfin sollicité de la part du HCE une décharge horaire afin de me libérer d’une partie de mes responsabilités pédagogico-administratives à l’Université de Lille. Cette demande étant restée sans réponse claire et précise, je comprends que le HCE ne dispose pas du budget nécessaire à la mise en place d’une telle décharge.
Ces faits rendent impossibles la poursuite de mon engagement au sein du HCE.
La « mission d’assurer la concertation avec la société civile et d’animer le débat public sur les grandes orientations de la politique des droits des femmes et de l’égalité » est vitale et j’espère qu’elle pourra à l’avenir être conduite avec plus de pluralisme, de rigueur, de temps et de moyens.
Je vous prie d’agréer, Madame, mes sincères salutations,
Florian Vörös, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l'Université de Lille