Pôle Sud
Festival Nouvelles
Déjà la 23ième édition pour le Festival Nouvelles qui invite les spectateurs à découvrir, interroger la Danse Performance. Placée sous le signe de la rencontre des cultures, cette réunion d'artistes d'origines diverses nous amène à réfléchir à différentes pratiques, parfois avec humour, toujours avec talent et grâce. Certains des spectacles que nous avons pu suivre nous ont plu ou intrigués par leur originalité, la recherche évidente de porter un regard particulier sur la danse, ce peut être parfois déroutant, car à l'évidence nous sortons des sentiers battus de ce qui est parfois convenu d'appeler "danse"
Interroger la pratique est une proposition très cosmétique de la chorégraphe Andrea Sitter qui dans son solo intitulé justement :La Cinquième position une chronique dansée revisite le parcours de la danseuse. Elle le fait avec beaucoup de finesse et d'élégance, proposant des figures, des positions et des discours étonnants et décapants. Andrea Setter sait conduire sa danse comme cela se pratique souvent en Allemagne d'où elle vient où elle s'est formée très près du théâtre, une forme particulièrement jouissive quand l'interprète, et c'est son cas, allie la fantaisie et l'humour
Au programme une soirée consacrée à l'Afrique avec deux spectacles, un duo d'Andréya Ouamba suivi d'un solo de Fatou Cissé, pour finir par des films sur les performances dans quatre lieux du quartier Ouakam à Dakar. Andréya Ouamba, d'origine congolaise vit et travaille au Sénégal, à Dakar où il dirige la compagnie Premier Temps qu'il a créée en 2000. Déjà en scène quand nous pénétrons dans la salle, il fait des échauffements. La lumière découpe savamment son corps qui n'apparaît qu'à moitié, puis se pose sur ses mains. Tout le corps entre peu à peu en mouvement, épaule, bras, dos. Les mouvements se font de plus en plus rapides sous la lumière qui met en valeur cette recherche formelle. L'accompagnement musical à la guitare enrichi d'une bande son soutient ce travail corporel presque maniéré. Un petit jeu de cache cache où le tee-shirt masque le visage fait parti de ces propositions insolites n'entravant nullement la magnifique souplesse de ce danseur qui interrompt parfois ses mouvements pour des postures sculpturales encore et toujours en harmonie avec le musicien qui l'accompagne. Il insiste sur la construction de leur relation en frappant les bras comme pour accélérer le rythme.
Nous somme loin ici d'une quelconque danse africaine comme, et il en sera de même avec le travail présenté par la jeune chorégraphe danseuse Fatou Cissé de la même compagnie Premier Temps. Son solo commencé par une longue plage de totale immobilité où on la voit assise sur une simple chaise nous surprend d'entrée de jeu. Pourquoi cette insistance à ne pas faire un geste alors que le spectacle s'annonce comme Un Solo de danse? Nous allons peu à peu le découvrir quand Fatou Cissé entame son entrée en mouvement par de petits gestes d'abord, puis des poses, des enchaînements où bras, jambes corps prennent la chaise comme partenaire. C'est à l'aide de ce simple objet qu'elle va exprimer son histoire, son monde, et nous le comprenons, celui de la soumission ou de la violence qui sont souvent liées au sort des femmes. Elle s'empare de la chaise, la repousse, la frappe. Parfois c'est sur elle même que s'exerce la violence, et nous ressentons fortement à travers ce langage du corps traité sans ménagement l'importance qu'elle veut donner à son message. Celui de reconsidérer en Afrique comme un peu partout ailleurs la condition féminine. Un engagement fort qui nous interpelle.
La soirée africaine s'est achevée sur le parvis de Pôle Sud par la projection de petits films de Jonathan Debrower et Fatou Cissé regroupés sous le titre: Les gens qui refusent, projet réalisé dans le cadre de la résidence "Scènes urbaines par l'association Premier Temps et le collectif SCU 2 (Jean-François Duconseille et Jean Christophe Lanquetin) Ils montrent des performances dansées dans les quatre lieux du quartier Ouakam à Dakar où les constructions bourgeoises viennent peu à peu envahir le vieux village.
Pour nous qui n'avons pas pu suivre de façon continue le Festival Nouvelles, ce que nous regrettons, nous nous retrouvons après une pause assez longue à une soirée empreinte de fantaisie. Si les portes, les murs de Pôle Sud deviennent le support de multiples affichettes sur lesquelles sont inscrits des textes plus ou moins ou moins abscons, poétiques, philosophiques, ce n'est pas un hasard, car il n'y aura pas au cours de cette soirée plutôt spéciale que les murs qui auront la parole. Au début sur de petits podiums dans les couloirs, dans l'entrée, des lecteurs, orateurs , comédiens lisent des textes extraits des œuvres d'Isidore Isou fondateur du mouvement lettriste proche du dadaïsme, des phrases déroutantes à l'emporte pièce , des pensées philosophiques ironiques, des adages qui font réfléchir. Cette entrée en matière était suivie d'un spectacle d'Olivia Granville intitulé: Le Cabaret discrépant du même auteur Isidore Isou. A propos de la danse l'écrivain fait des propositions assez drôles, surprenantes empreintes d'une sorte de bon sens paradoxal mais qui rejoignent de façon fort pertinente la critique de la danse classique et correspondent avec justesse aux fondements de la danse contemporaine. Reste à mettre cette "conférence" sur scène, à la rendre audible mais surtout visible, ce qu'a réussi avec humour la chorégraphe en proposant la réalisation à cinq interprètes qui s'en acquitteront avec talent et nous réjouiront par leur prestation. Dans un premier temps, un danseur mime une caricature de la danse en reprenant les principales figures de la danse classique, en les exagérant pour en faire découvrir leur artificialité. Attitude drôle et subversive que vont compléter dans un deuxième temps les propositions et expérimentations d'un groupe d'experts attachés à montrer que toutes les parties du corps sont susceptibles d'entrer en danse, du petit doigt qui se plie et se déplie, au mouvements des cils, la démonstration est concluante, bien sûr loufoque .Le Cabaret discrépant a été un moment particulièrement ludique
Dans cette soirée on proposait au public un autre spectacle original et drôle de Martin Schick intitulé: Not my piece. Malgré la présence et les évolutions du danseur grec Kiriakas Hadjiioannou, nous étions plutôt invités à suivre les discours du comédien Martin Schick évoluant sur le plateau au milieu d'un fatras d'objets soigneusement rassemblés pour soutenir sa thèse sur l'anticapitalisme, d'où une tente, un arrosoir, des toilettes sèches, objets partenaires dont il nous conte les bienfaits pour la vie quotidienne de la civilisation pos-capitaliste. Martin quitte le plateau comme pour souligner qu'une personne dans un monde nouveau peut être relayée par une autre pourvu qu'elle ait la même vision du nouveau modèle de société. Vision utopique? Ou plutôt nécessité d'un changement qui se fait urgent? En tout cas un spectacle qui se voulait visionnaire et engagé, parfois tout de même un peu confus.
Le Maillon et Pôle Sud ont présenté toujours dans le cadre du ,Festival Nouvelles Twin Paradox de Mathilde Monnier, un spectacle pour dix danseurs, une réflexion sur le couple, sur la danse menée jusqu'à épuisement, l'exploration de sa capacité paroxystique, la démonstration d'une énergie qui s'épuise et se renouvelle sans cesse. Mathilde Monnier s'est poposée des marathons de danse que l'on pratiquait aux Etats-Unis dans les années vingt. Les tenues chamarrées de danseurs produisent des effets esthétisants qui captivent le regard, les enlacements, les balancements, les postures variées des danseurs que l'ont voit couchés, à genoux puis debout, parfois en perte d'équilibre, tout cela au son d'une musique d'un compositeur contemporain Luc Ferrari '(1929-2005) qui mêle bruitages, échos de la rue, chants italiens. voilà qui donne à ce spectacle l'allure d'un manifeste pour la danse, ce que Mathilde Monnier exprime en ces termes: "Danser malgré tout. Danser après tout.".
Spectacle qui signe aussi l'engagement du Festival, c'est celui qui le clôturait, initié par Michel Schweitzer pour la compagnie "La Coma", il s'intitulait Fauves et mettait en scène un groupe d'adolescents. Ils ont réussi à nous introduire dans leur monde et à nous interpeller fortement. Michel Schweitzer est un médiateur, et ce rôle il le joue sur la scène en déclinant quelques éléments de sa biographie. Tout se joue sur ce mode naturel où les jeunes vont prendre la parole, chanter, danser, provoquer des rencontres, donner leur opinion; une sincérité qui paraît spontanée, comme celle d'Elsa, la jeune fille pleine d'hésitation qui quitte la scène et que Michel Schweitzer invite à revenir. Exprimer la peur, se livrer à des questionnements existentiels, se regrouper autour du D.S, tant de propositions, de témoignages qui font de ce spectacle un morceau de bravoure à la gloire de la jeunesse, sous le regard amical, amusé, parfois bouleversé de Michel Schweitzer qui les a conduits là, sur ce plateau et à vivre intensément un mode d'expression authentique, à être des témoins de leur génération, parfois si mal comprise.
La grande richesse de cette édition Festival Nouvelles est de nous avoir permis de vivre des rencontres exceptionnelles avec des artistes engagés dans un questionnement sur le monde et qui nous offrent la possibilité de l'expérimenter avec eux.
Marie-Françoise Grislin