Assassinats sous des airs de vertu
6 mars 2003
Nous n'avons pas de chambres à gaz, ni de fours crématoires,
mais il n'y a pas qu'une seule méthode établie
pour assassiner un peuple.
Le Dr Yaakov Lezovik (Ha'aretz, 4 mars) écrit que dans l'État d'Israël, il ne se peut pas que le gouvernement et le peuple planifient et exécutent un génocide. Il est difficile de déterminer s'il s'agit de naïveté ou de vertu. Comme on sait, il n'y a pas qu'une seule méthode établie pour assassiner, pas même pour assassiner un peuple. L'écrivain Y. L. Peretz a écrit à propos de la «chatte vertueuse» qu'elle ne verse pas de sang mais qu'elle étouffe seulement sa victime.
Quant au gouvernement d'Israël, avec l'armée et ses moyens de destruction, non seulement il verse le sang mais en outre il étrangle. Quel nom donner au fait de lancer une bombe d'une tonne sur une zone urbaine très dense, quand la justification avancée est que nous voulions tuer un terroriste dangereux et son épouse? Les autres civils, dont des enfants et des femmes, qui ont été tués ou blessés, ne sont évidemment pas pris en considération.
Comment expliquer qu'on expulse des civils hors de leurs maisons à trois heures du matin, par une nuit pluvieuse, pour les rassembler dans un verger éloigné, qu'on introduise des bombes dans leurs maisons puis qu'on disparaisse sans faire de mise en garde? Quand les habitants sont retournés chez eux, la charge explosive s'est déclenchée: voilà comment ont été exécutés un crime brutal et la destruction des biens d'un grand nombre de personnes. Et quelle vertu y a-t-il dans ce qui s'est passé à Jénine? Nous n'avons pas détruit tout le quartier, seulement 85 maisons; il n'y a pas eu de massacre, nous avons seulement tué cinquante et quelques civils. Combien faut-il tuer en une fois, et détruire en une fois, pour qu'il y ait crime? Crime contre l'humanité, comme l'établit aussi la législation israélienne, et pas seulement la législation belge.
Et aussi: le couvre-feu et le bouclage imposés à une ville entière afin que quelques célébrants de la bande raciste de Hébron puissent aller jusqu'au Tombeau des Patriarches, et les chars qui écrasent les étals de légumes et de fruits, et les bulldozers qui détruisent des maisons, et des généraux qui, avec arrogance, sont prêts à détruire un quartier entier et des maisons anciennes pour la commodité d'une bande déréglée de colons. Couvre-feu, bouclage, mauvais traitements, assassinats et destruction de maisons de suspects, cela alors que chez nous on proclame qu'un homme est innocent jusqu'à preuve du contraire (en témoignent les affaires de certains de nos ministres, du chef de notre gouvernement et de ses fils).
On se souvient de l'ordre donné par Ariel Sharon aux hommes partis en représailles à Kibya: «Faites un maximum de pertes humaines et matérielles». Aujourd'hui, Sharon, Mofaz et Ya'alon, les trois généraux qui dirigent la politique du gouvernement, se comportent comme ce fameux chat vertueux: ils étranglent, tout le temps. Couvre-feu sur couvre-feu, bouclage après bouclage, destructions de routes, harcèlement des habitants aux barrages. Benny Alon, aujourd'hui ministre, l'a déjà dit: «Rendez-leur la vie amère jusqu'à ce qu'ils se transfèrent eux-mêmes volontairement».
Cela, nous le réalisons chaque jour, en plus des destructions. Le chef d'état-major Moshe Ya'alon a déjà déclaré qu'il «détruit pour construire». À voir ses démarches, on comprend qu'en fait de construction, il s'agit de construire toujours plus de colonies. Pour ne pas être obligés, dans le cadre d'une administration militaire, de se soucier du bien-être de la population, ils ne font faire à l'armée que des sorties. On pénètre dans une localité, on tue, on détruit, on capture, puis on se retire. Ceux qui restent sur les cendres et les ruines pourront bien prendre soin d'eux-mêmes.
Dans beaucoup d'institutions religieuses, on apprend aux enfants que les Arabes sont Amalech [1], et qu'Amalech doit être anéanti. Il s'est déjà trouvé un rabbin (rav Israël Hess) pour écrire dans le journal de l'Université de Bar-Ilan que nous avions tous l'obligation d'exécuter un génocide, et cela parce que ses recherches lui aurait fait découvrir que les Palestiniens étaient Amalech.Le peuple ne projette pas de perpétrer un génocide, le peuple en général ne veut pas savoir ce qui se passe dans les Territoires. Le peuple exécute des ordres donnés par les représentants légitimes du gouvernement. Depuis qu'a été assassiné le chef légitime du gouvernement qui voulait amener la paix, le doigt a toute liberté sur la détente du fusil, l'avidité est énorme et il y a toujours une raison pour harceler la communauté d'une ville de dizaines de milliers, si pas de centaines de milliers d'habitants, parce qu'il s'y trouve des personnes recherchées. Il suffit d'une personne recherchée pour bombarder et tuer aussi, évidemment par erreur, des femmes, des enfants, des ouvriers et d'autres êtres humains - si à vrai dire ils sont considérés chez nous comme des êtres humains.
Il est évident qu'avec notre vertu, notre manière de nous parer de la «morale juive», nous prenons bien soin de publier combien est belle l'action des médecins qui offrent leur assistance aux blessés palestiniens dans les hôpitaux. On ne publie pas combien d'autres ont été abattus chez eux, de sang froid.
Alors ce n'est pas encore un génocide sous la forme terrible et unique dont nous avons été les victimes. Et comme me l'a dit un des sages généraux: «Chez nous, il n'y a pas de fours crématoires et pas de chambres à gaz.» Tout ce qui est en deçà de ça s'accorde-t-il avec la morale juive? Cet auteur n'a-t-il jamais entendu comment un peuple entier a pu dire qu'il n'avait rien su de ce qui se faisait en son nom?
Shulamit Aloni
Traduit de l'hébreu par Michel Ghys