LIQUIDATION
Julie Brochen, directrice du Théâtre national de Strasbourg , tire avec un certain panache sa révérence avec l’adaptation du roman Liquidation du Hongrois Imre Kertesz, prix Nobel de littérature en 2002. Ce spectacle a été chaleureusement applaudi par un public attentif à une histoire qui sous les apparence d'un roman policier se révèle être un fable politique et philosophique menée avec intelligence et sensibilité par Julie Brochen dans une mise en scène qui colle bien au texte d'un auteur que nous découvrons avec intérêt. La scénographie de Julie Brochen et de Lorenzo Albani d'une belle sobriété souligne avec justesse les différents moments de ce texte où les trivialités de la vie quotidienne dans la grande ville de Budapest sont sobrement et efficacement évoquées Les lumières d'Olivier Oudiou traduisent bien l'ambiance de morosité et d'intimité incertaine assez dominante dans cette pièce. Les costumes de Lorenzo Albani ont la discrète élégance des tenues portées par les intellectuels hongrois des années quatre -vingt .
Devant un grand rideau sur lequel sont peints des graffitis et à l'avant d'un plateau qui jouxte les premiers rangs des spectateurs , un homme, en costume cravate se présente, Il décline son identité, il est éditeur et ami d'un grand écrivain nommé Monsieur 'B et il nous informe de l'objet de sa présence.Lui ,l' éditeur, Keserü, veut à tout prix, en prenant le temps qu'il faudra, mener enquête pour trouver le dernier manuscrit qu'en toute logique cet auteur célèbre a dû écrire avant de mettre fin à ses jours puisqu'on apprend qu'il vient de se suicider . Ce personnage de l'éditeur , ici interprété par Pascal Bongard tient une place importante dans l'histoire ,c'est un homme qui est devenu éditeur pour publier son ami, dont les écrits sont, pense-t-il, essentiels à l'humanité , à la nécessaire prise de conscience des horreurs nazies symbolisées par Auschwitz.
.Pendant toute une première partie, assez longue, s'entremêlent les affirmations parfois quelque peu péremptoires sur l'importance fondamentale des écrivains qui comme Monsieur B" disent la vérité, et des allusions faites par différentes personnes aux convocations qu'elles ont reçues de la police à propos de la mort de B.On assiste à plusieurs reprises aux réunions qui se tiennent chez l'éditeur dont le commerce va être mis en liquidation .C'est là qu'ont lieu entre les étagères chargées de livres quelques discussions plus ou moins passionnées sur Auschwitz et sur ce que l'on sait ou devine des origines de B,liées à ce camp de la mort .A d'autres moments le décor change quelque peu , les étagères paraissent vides et c'est B qui apparaît et fait part de ses idées sur le monde . Le comédien Fred Cacheux en fait un personnage tourmenté et sensible aux tourments de l'histoire qui ont marqué ses origines .
Keserü ne trouvera pas le manuscrit pour la bonne raison que Judit l' ex épouse de l'écrivain a brûlé ce manuscrit à la demande de ce dernier. Dans la dernière scène,où l'on voit un grand lit ouvert sur un immense espace sombre Judit explique à son mari qui est le fils de Keserü ce quelle a fait en toute connaissance de cause. Ce dernier moment est d'une intensité dramatique poignante Les réflexions portées par Fanny Mentré dans le rôle de Judit nous touchent au plus profond de nous, ses répliques au fils de Keserü indigné par son acte méritent qu'on s'y attardent et donnent envie de lire le roman d'Imre Kertész car Judit pose au fils de l'éditeur des interrogations troublantes comme cette remarque que "rien n'est moins sûr que l'influence, le rôle joué par les écrivains sur les comportements des hommes, il faut oublier Auschwitz pour s'attacher à de ce qu'il en est du monde d'aujourd'hui.
La pièce se termine par un chant bien enlevé intrerprété par l'ensemb
le de la troupe du TNS , des acteurs qui tous ont donné le meilleur d'eux-mêmes . Tous ,car c'était la volonté de Julie Brochen qu'ils aient tous un rôle dans ce spectacle où elle-même apparaissait en commissaire - et où nous avons eu le plaisir de retrouver André Pomarat qui s'acquitte de ses "petits rôles" avec la verve et le talent qui donnent de la saveur aux représentations qu'il honore de sa présence .
Francis Grislin
Liquidation est publié aux Editions Actes Sud;2004