Le Maillon
Gohst Road
Spectacle iconoclaste qui casse la belle image, certes stéréotypée d'une Amérique riche , prospère et démocratique, telle que la légende l'a construite, et qui demeure malgré les nouvelles catastrophiques qui nous en parviennent, comme l'image d'Epinal secrètement cajolée dans notre imaginaire collectif.
Le metteur en scène Fabrice Murgia la déchire et sans concession nous offre un parcours hallucinant à travers une Amérique désolée, aux prises avec l'abandon, la désertification, et nous mène à la rencontre d'êtres fantomatiques accrochés à ce qui leur reste d'histoire et de territoire.
Seule en scène Viviane de Muynck fume cigarettes sur cigarettes, les coudes appuyés sur la petite table où l'album photo de sa jeunesse, elle campe de façon saisissante le personnage emblématique de tous ces déshérités du bonheur promis et finalement raté, et dont elle nous raconte le parcours. Evocation que des vidéos complètent, illustrent, enrichissent, assénant cette vérité de la déperdition qui nous a été cachée jusqu'à l'affaire des subprimes pour nous la jeter au visage. Les vues de ces routes désertes, de ces villages où ne demeurent que quelques habitants, vivant là comme des réfugiés, pour ne pas dire des zombies. Ces images défilent sur l'écran. Ce sont des villages situés en Californie, en Arizona , au Nevada que Fabrice Murgia a découverts en effectuant en août 2010 un voyage le long de la route 66 qui relie Chicago à Los Angeles, route également laissée à l'abandon. Des témoignages, certains qui évoquent leur passé, d'autres pour se justifier d'être là dans ces endroits reculés où ils se disent à l'abri des malfaiteurs 'évidemment des Noirs et des Mexicains. Ce spectacle témoigne du déclin d'un pays qui se croit se croit toujours la plus grande puissance du monde.
La musique puissante de Dominique Pauwells s'inscrit dans ce parcours proche de la science fiction, et les chants interprétés par la chanteuse lyrique Jacqueline Van Quaille expriment sur un autre mode le même désarroi que celui qui surgit des paroles de la femme seule réinventant ses souvenirs. C'est poignant, hallucinant ce face à face que nous propose Fabrice Murgia bien décidé à ce que ses spectacles soient l'occasion pour le public de débattre des problèmes cruciaux de notre temps, de nous interroger sur les situations que l'on nous cache, qu'on nous laisse ignorer, car elles sont vraiment politiques, en l'occurrence pour ce spectacle, une dénonciation des dérives du système capitaliste
Marie-Françoise Grislin