T.J.P
Dégage petit
Décidément nous avançons en beauté dans cette saison du T.J.P. Si aucun spectacle ne nous a déçu, ou plutôt si tous jusqu'à ce jour nous ont enchantés, le dégage petit s'inscrit bien dans la lignée de bonheurs qu'ici nous avons éprouvés.
Inspiré du conte bien connu "Le vilain petit canard" d'Andersen, cette version ne manque ni d'originalité, et d'humour. Tenue de bout en bout par la comédienne et manipulatrice Agnès Limbos de la Compagnie belge "Gare centrale, ce spectacle enchaîne les saynètes sur un mode tendre et burlesque où la richesse de la langue est soutenue par les mimiques très expressives de l'actrice qui s'implique dans son récit jusqu'à incarner le personnage du petit "rejeté" dont elle nous conte les mésaventures. Celles-ci peuvent selon les moments prendre une tournure pathétique ou drolatique.
Elle est sur scène comme une conteuse, mais aussi comme une ballerine avec sa robe à crinoline , elle n'est pas mince et fine comme elles le sont en général, et déjà c'est drôle et elle en tire parti improvisant des intermèdes de danse classique entre chacun des épisodes narratifs qui nous met au fait de ce que devient ce petit apparu pas comme les autres dans une couvée tout à fait ordinaire et qui du coup a été mis au ban de la société et n'a attiré que des ennuis, jusqu'à déclencher cette parole "meurtrière" de sa mère "Va voir ailleurs".
Il est parti, et c'est ce périple que la conteuse met en scène avec des moyens déconcertants de simplicité et d'efficacité. En soulevant le rideau qui masque le fond de scène, elle va chercher de petits castelets sur roulettes, ce sont les lieux où notre "petit héros" va se retrouver au fil de ses pérégrinations, et pour nous les décrire, elle s'approche du tableau noir et y place un point de craie qui le situe dans ce vaste monde où il est à la fois perdu mais en chemin.
C'est magique, poétique, dérisoire mais plein de sens. Un point de craie, un trait qui va de l'avant à l'arrière du tableau, parfois une spirale, des dessins enfantins pour dire la vie de celui qui est en errance. C'est à la fois amusant et bouleversant.. Sur un des castelet il suffit d'une cuvette plein d'eau pour faire le lac, sur un autre un petit monticule et une toute petite maison, et c'est le lieu des gentils habitants qui viendront sauver le petit de la glace qui l'emprisonne. Tout est ici affaire d'imagination, et le récit ainsi joliment illustré se poursuit. Les saisons passent, le printemps vient, le jeune cygne va prendre son envol et rejoindre les siens en plein ciell. Le livre d'images se ferme, mais juste posé au bord du plateau, la lettre qu'il laisse pour sa mère "Chère maman, suis-je allé assez loin? Signée par le simple dessin d'un oiseau
Pathétique, cynique, beau, émouvant, tel est le spectacle que nous a offert Agnès Limbos, une actrice manipulatrice douée pour faire vibrer notre imaginaire par l'inattendu de ses réflexions et les petits détails précieux et suggestifs qui donnent à son récit une incontestable dimension poétique et amusante.
Marie-Françoise Grislin