T.J.P
Limen et Anubis
Deux petits spectacles d'Uta Geber marionnettiste et scénographe allemande: Limen et Anubis peuvent être considérés comme des perles rares dans le monde de la marionnette. Nous avions eu l'occasion de les apprécier au cours de la saison dernière. Ils nous avaient fortement impressionnés, les revoir n'a en rien diminué l'émotion qu'ils suscitent
Dans Limen surgit du noir profond qui règne sur le plateau, un petit personnage à moitié enfoui dans la neige, et qu'avec une grande délicatesse la marionnettiste dégage peu à peu pour impulser la vie à ce corps sans doute réfrigéré qui se redresse lentement, bouge la tête et avance lentement vers une porte fermée. Une petite musique l'accompagne. Au coup de cymbale, se dresse sur son chemin un homme, en pardessus, col remonté, l'air sévère. Il lui signifie d'un geste qu'il ne peut avancer. Interloqué il s'en retourne, puis revient l'homme qui se met à genoux, enlève son chapeau. On se rend compte alors qu'ils ont le même visage. La confrontation avec soi-même, tel semble être l'enjeu de cette rencontre. Surmonter l'inconnu, la peur qu'on a en soi, permet de pousser la porte, d'aller vers la lumière, de l'atteindre enfin.
Ce court spectacle est inspiré du texte Devant la loi de Franz Kafka écrit en 1915. "Tous les hommes sont attirés par la loi, dit l'homme, mais comment se fait-il que personne demande la permission d'entrer"
Anubis est encore plus impressionnant puisque son thème est la mort. Sur une tombe une femme voilée de noir se recroqueville déplorant la perte cruelle de son mari. Un être enveloppé dans une immense cape et tout encapuchonné fait son apparition. Peu à peu on découvre un crâne et une bouche au rictus saisissant. C'est Anubis, le dieu des morts dans l'ancienne Egypte. C'est vers la balance posée sur le devant du plateau qu'il s'avance jouant à faire osciller les plateaux. Puis il se dirige avec mille précautions vers la tombe pour exécuter au-dessus et à ses côtés une danse de la mort pleine de jubilation.. Bientôt il se jette sur le tertre avec frénésie, en gratte la terre pour en extraire un cœur qu'il viendra déposer sur le plateau de la balance. Le dieu des morts accomplit sa mission, lui le guide des êtres dans le monde souterrain fait ici une apparition dans le monde terrestre, une sorte d'incarnation dont il semble jouir en survolant le plateau en une étonnante dans aérienne qui nous laisse interloqués, en quelque sorte réconciliés avec la mort dont il minimise l'horreur.
L'univers d'Uta Gerbert est onirique, énigmatique, et met en jeu de façon minimaliste une approche suggestive, essentiellement visuelle des mystères de la vie et de la mort, tout en ouvrant en nous un véritable espace sérénité
Marie-Françoise Grislin