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Billet de blog 24 juin 2013

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Festival "Premières" à Karlsruhe

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BADISHES STAATSTHEATER   FESTIVAL  PREMIERES  A KARLSRUHE

C'est une innovation, le Festival Premières qui est à sa huitième édition et qui s'était jusqu'alors déroulé  à Strasbourg a eu lieu pour la première fois à Karlsruhe. Il en sera ainsi désormais une année sur deux selon une convention signée entre le T.N.S, le Maillon et le Badisches Staatstheater. Pour permettre au public strasbourgeois de suivre dans les meilleurs conditions possibles les représentations un bus était mis à sa disposition. Bien sûr il était aussi possible de se rendre à Karlsruhe par ses propres moyens, voiture ou train ou de rester sur place, mais le bus était de loin la formule la plus pratique et la moins onéreuse. Pour cette première édition à Karlsruhe les bus n'étaient pas pleins, car la formule n'était pas encore familière aux gens d'ici. Cela se fera sans doute au cours des prochaines            années. En 2014, le Festival comme convenu aura lieu à Strasbourg

Cette huitième édition nous offre la possibilité de découvrir de jeunes metteurs en scène venus de neuf pays différents. Pour ce qui concerne les spectacles ils sont donnés dans la langue  du pays de comédiens, surtitrés en allemand et en français.

Nous avons découvert les salles de spectacle de Karlsruhe celles du Staatstheater, du Z.K. M et d'Insel. Un balisage judicieux proposé sur les trottoirs permettait de se rendre d'un lieu à l'autre sans s'égarer.

La première représentation qui  a ouvert le Festival s'intitulait: Merlin 'ou Dieu, Famille Patrie de l'auteur allemand Tankred Dorst ,ce fut sans doute la représentation à la fois la plus originale et la mieux réussie de ce Festival et mérite une mention spéciale

Dans le  grand texte de Tankred Dorst sur l’histoire de l’humanité  Merlin, fils du diable, devient metteur en scène d’un monde où s’interpénètrent mythe et présent, histoire et avenir. Dans  ce conte universel, Dorst réunit la société du roi Arthur afin d’éclairer les relations à la lumière d’aujourd’hui, en toute lucidité. C'est avec une remarquable intelligence  que le jeune Hongrois Csaba Polgár, accompagné d’un formidable ensemble musical, explore le déclin d’une société dans laquelle les visions d’Arthur d’un monde plus juste s’effondrent devant les luttes de pouvoir et les querelles d’ordre privé.  Les intentions, le parti pris du metteur en scène nous les trouvons déjà dans l'intitulé de la pièce: Merlin ou Dieu, Famille Patrie qui  sont présentés comme des valeurs fondamentales dans nos démocraties et qui vont être joliment épinglées dans les choix que va faire le metteur en scène parmi la centaine de saynètes que contient la pièce de Tankred Dorst. Pour la première fois, il s’est entouré de l’ensemble du théâtre Örkény István de Budapest, dont il fait lui-même partie. Sur scène l'obscurité est complète, deux personnes s'éclairant avec une lampe frontale s'interpelle pendant qu'une voix off se lance dans des considérations sur l'état déplorable du monde. La lumière s'allume et nous nous trouvons en face d'une immense caravane , les deux  battants  de la porte sont ouverts, sur son toit se dresse une grande croix lumineuse , Merlin nous présente  les acteurs de cette tragédie , les principaux personnages à savoir les chevaliers de la table ronde .Ils vont nous faire revivre leur épopée dans le contexte d'une actualité  troublée par des querelles, des guerres, des amours, des trahisons, et même la mort sous le regard bienveillant du diable, et en présence de cette croix toujours vénérée malgré la flagrante absence de Dieu qu'un des personnages recherche en vain Les épisodes choisis par le metteur en scène sont proposé d'une façon souvent ludiques Les chevaliers habillés en costumes clairs et chemise blanche se promènent en bavardant entre eux, s'interrompant, pour  se mettre à  interpréter  des chants  d'une grande beauté. Autour d'une table ronde, qui a des allures d'une grande table de camping , en buvant une cannette de bière, ils échangent leurs impressions sur la situation des uns ou des autres, sur des faits divers, comme le déroulement des batailles remportées  alors que la situation semblait désespérée Comme pour nous rappeler qu'il s'agit bien d'une épopée chrétienne, ils se  prêtent à des  célébrations diverses comme ce sang qui coule d'une croix en bois  que le roi Arthur offre à ses compagnons et  qu'on boit avec cérémonie.  pendant  que le diable circule au milieu de ce beau monde célébrant la gloire du Christ

 Scène d'amour  discrète entre Lancelot et la  Guenièvre avant que ce dernier décide de se lancer dans la bataille, scènes d'amours passionnées à côté de la croix sur le toit de la caravane, scènes dérisoires de celui qui passe à la recherche de Dieu alors que le diable est bien présent, scène émouvante que cette  recherche de  l'infini qui aveugle la personne qui a plongé son visage dans le gâteau à la crème proposé par Merlin . La dérision, le burlesque sont partout présents , mais leur pertinence à dénoncer l'état du monde sans utopie et qui s'accroche formellement à des valeurs n'en est pas moins d'une extrême efficacité Les 2H 30 sont passées d'une manière tellement fluide que nous ne les avons pas senti pesantes , bien au contraire nous étions subjugués, enchantés,  amusés par les propositions qui émaillent un jeu qui ne se relâche jamais.

Nous avons aussi beaucoup aimé le spectacle Amado mio inspiré de deux textes posthumes de Pasolini mis en scène par Ivan Peternelj, un comédien du théâtre Mladinsko de Ljubljana en Slovénie. Le texte exprimé en slovène était surtitré en allemand et en français. Deux comédiens interprètent deux personnages que sont l'auteur à l'époque instituteur dans  le village frioulan de Casarsa et un jeune garçon dont il tombe amoureux. A partir d'éléments très simples: un plancher en bois rustique, quelques morceaux de tissu, un petit autel, le metteur en scène réussit à recréer l'atmosphère d'intériorité recherchée, de plaisir refoulé, d'interdit parfois pesant, de moments d'étreintes amoureuses à peine satisfaisantes, en quelque sorte volées, en raison d'une morale chrétienne omniprésente et culpabilisante. Les comédiens s'expriment avec retenue, pudeur mais aussi grande sensibilité, et leur relation nous touche par leur authenticité. C'est un bel hommage rendu à cet auteur controversé, ils ont su nous faire partager la profondeur du  questionnement de Pasolini sur  ses relations pédophiles

D'une toute  autre veine le spectacle: I would prefer not to présenté par Selma Alaoui, comédienne belge formée à l'Institut National des arts et spectacles à Bruxelles. Sa première mise en scène: Anticlimax de Werner Schwab avait reçu en 2007 le prix de la critique du meilleur jeune talent. Elle présente ici sa deuxième mise en scène qui, reconnaissons- le, a eu du mal à susciter notre adhésion, notre intérêt.. Décors  réalistes de panneaux peints représentant les limites entre un intérieur bourgeois et le parc de la demeure où les protagonistes vont pendant près de deux heures jouer à grand renfort de gesticulations les affres de leur âme tourmenté. Le côté grotesque de la mère possessive, le thème des amoureux transis, la mélancolie chronique de  Byron, le héros de la pièce nous ont paru si convenus que la pièce loin de nous émouvoir nous a tout simplement ennuyés. Quant à la dernière partie où il est fait allusion au monde de l'entreprise, ses séductions et ses perfidies, elle apparaît comme une volonté maladroite d'actualiser la pièce et de la rendre drôle. Mais un excès de propositions et la manière de surjouer des acteurs loin de nous faire rire nous ont agacés.

Nous avons vécu de la même façon, c'est à dire plutôt mal: La loi d'interaction, spectacle proposé par deux artistes suisses francophones, la danseuse Katy Hernan et le comédien Adrien Rupp. Comme le groupe précédent, ils ont aussi obtenu une récompenses en 2010, le Prix suisse Premio. Le spectacle se veut une interrogation sur les modes de communication. Leurs interpellations, leurs agitations, leurs projections  de  transparents à partir d'un rétroprojecteur semblent bien amuser quelques- uns, pendant que d'autres spectateurs ont vite renoncé à chercher du  sens à  cette  performance prétentieuse et pas vraiment maîtrisée .

Nous attendions beaucoup de Radfahrer puisque Korbinian Schmidt et Franz-Xavier Mayr qui ont fréquenté de prestigieuses institutions allemandes nous promettaient une mise en scène d'un texte de Thomas Bernhard , auteur dont nous savourons les écrits , en particulier ceux qui évoquent son enfance justement ceux qui avaient été choisis pour ce spectacle .Déception  cette fois en raison d'une présentation qui nous a paru plus folkloriser le texte que nous le rendre sensible , alors que nous savons combien l'auteur fait montre de finesse dans ses évocations concernant aussi bien les rapports avec sa famille que l'environnement dans lequel il est plongé  , sans oublier ses escapades à vélo . Costumes à l'ancienne , chants folkloriques , présence fugitive de l'objet emblématique , la bicyclette une sorte de retenue dans une atmosphère confinée et sombre  tout cela nous a laissés à distance du monde ambigu et plein de ferveur de Thomas Bernhard .Certains parlaient à la sortie d'une nouvelle forme de théâtre mais d'autres comme nous restaient  frustrés  .Ce qui ne fut pas le cas pour "Kijken Naar Julie" pourtant une pièce que nous connaissons bien puisque "Mademoiselle Julie" d' August Strinberg fait partie du répertoire .Bram Jansen qui vient de Maastricht au Pays-Bas réinterprète la pièce et nous en propose une lecture comportementaliste d'une part surprenante , d'autre part fort pertinente .Interpréter n'est pas ici une simple formule  , le titre en dit long sur les intentions du metteur en scène "En observant Julie" .Sur le plateau a été dressée une petite maison en bois comme celle qu'on voit dans les jardins . Le jeu scénique va se dérouler dans la cuisine où les trois protagonistes sont un peu à l'étroit . S'y retrouvent Christine la cuisinière dont c'est le domaine , Jean le valet qui vient y astiquer les bottes de son maître et  Julie la fille du maître qui cherche à se distraire  en l'absence de son père et en cette nuit   très particulière de la Saint Jean . C'est là le lieu du drame qui se met en place lorsque la belle jeune fille bourgeoise  faisant fi de tous les interdits entreprend de séduire le valet qui résiste mais finit par céder . Tout cela sous le regard inquiet et réprobateur de la cuisinière officiellement fiancée au valet . Nous suivons cette histoire bien connue, mais cette fois ci nous l'observons. Les personnages enfermés dans ce huis clos qu'est la cuisine, vont et viennent, échangent des paroles que nous n'entendons pas, mais que leurs attitudes et nos souvenirs nous permettent de deviner. Une voix off commente, analyse ce que nous voyons. Les humains sont ainsi traités comme une espèce animale particulière, objet d'une étude clinique donnant lieu à des remarques d'ordre scientifique, anthropologique, sociologique. C'est à la fois drôle et troublant. Bram Jansen justifie son approche en se référant à la préface qu'August Strinberg a publié et dans laquelle il se dégage de toute fausse dramatisation et d'un quelconque romantisme mettant l'accent sur les différentes explications que l'on peut donner au comportement des personnages: "Je n'ai donc pas procédé uniquement  selon les lois de la physiologie ou de la psychologie" et plus loin il écrit " l'âme de mes personnages est un conglomérat de civilisation passée et actuelle" Les  trois comédiens interprètent avec justesse ces ambiguïtés, ces contradictions, et bien que nous soyons quelque peu frustrés de ne pas entendre leurs réparties, nous avons apprécié  à quel point la force et la conviction qu'ils mettaient dans leur jeu nous rendaient les trois personnages sensibles et émouvants

Un autre spectacle riche en propositions  originales et à l'accent politique bien ciblé fut celui du suisse Timo Kirstin: Le naufrage du sous-marin atomique par le lâche Steven Jobs, pièce avec laquelle il a obtenu son master de mise en scène.

Le 12 août 2000, le sous-marin Kursk K-141, le fleuron de la flotte nucléaire russe et le plus puissant sous-marin du monde, coula par 115 mètres de fond dans les eaux glacées de l'océan Arctique suite à l'explosion de sa proue, tuant ses 118 hommes d'équipage. Des mois durant cette catastrophe  déclencha des polémiques  accusatrices et haineuses contre la Russie qui avait récusé toute proposition d'aide, pour la raison toute simple qu'elle ne servirait à rien d'autre qu'à les espionner.  Cette pièce écrite par Timo Kirstin se présente comme un roman policier  bien ficelé qui nous entraîne dans  le décryptage de ces deux sociétés que sont la russe et l'américaine. La première apparaît sous les traits des gymnastes avec leurs exhibitions bien réglées avec en arrière-fond des personnages mystérieux et ambigus. De la seconde nous voyons des extraits de film avec leurs héros légendaires qui ont fait la réputation de l'Amérique  Au son d'une musique entraînante, sur  un grand plateau nu; les rencontres les plus inattendues  s'enchaînent, avec des confrontations  animées qui mettent en cause toutes les certitudes et vérités proclamées. Avec la journaliste qui s'est chargée de découvrir la vérité, nous entrons de plain pied dans des informations les plus farfelues comme l'existence d'un laboratoire dans le Kursk chargé de faire des prélèvements d'organes et nous apprenons que Steven Jobs, l'auteur supposé du naufrage qu'on croyait mort se prépare à une révolution mondiale, pour mettre en place un ordre nouveau. Au fond cette pièce  étrille avec vigueur et entrain le fonctionnement  de l'information lors de cet évènement qui suscita de part et d'autres des controverses auxquelles l'auteur ajoute malicieusement  son grain de sel. Le personnage, de Steven Jobs  représente en quelque sorte les soupçons du côté russe et l'existence  d'un laboratoire de prélèvements d'organes  serait la version occidentale du secret défense! Cette mise en perspective fut pour nous une bonne surprise, non seulement elle évite de revenir sur cette indignation face à la barbarie russe mais renvoie dos à dos les deux camps Le jeu des acteurs bien enlevé , accompagné d'extraits de films sur fond de musique appropriée à chaque épisode aura été un moment de réflexion politique jouissive  sur ce qu'il en est de cette prétention à la vérité dans nos  démocraties et souligne aussi les fantasmes paranoïdes du côté russe!

Autre pièce qui manifeste clairement son engagement politique: Telemachos. C'est l'œuvre de deux jeunes artistes grecs partagés entre l'Allemagne et la Grèce. Anestis  Azas a étudié l'art dramatique à Thessalonique puis à Berlin et  Prodomos Tsinikoris a grandi en Allemagne, a étudié à Thessalonique et travaille à Athènes. La question posée dans la pièce c'est: Partir ou Rester. Un spectacle authentique puisqu'il mêle les souvenirs, les interventions de leur famille, les discussions nouées au quotidien sur ce qui peut les pousser à repartir en Grèce malgré la crise ou à rester en Allemagne. Tous les acteurs présents sont grecs et donnent à entendre leur propre histoire, leur déchirement. Le fil conducteur  d'où le titre de la pièce Telemachosse réfère à l'histoire d'Ulysse, à son parcours aventureux et à son difficile retour à Ithaque. Cette mise en perspective de l'actualité rend plus poignant le destin de chacun et le marque de sceau de l'authenticité, nous rappelant aussi que le  texte d' Homère signe à jamais la grandeur de la civilisation grecque

Le Festival Premières grâce à la programmation proposée  par Barbara Engelhardt et à la collaboration des trois théâtres: le T.N.S, le Maillon, le Staatstheater de Karlsruhe nous a permis encore une fois de découvrir les nouvelles propositions théâtrale portées par les jeunes metteurs en scène européens inventifs et engagés. Cette première édition à Karlsruhe a été une heureuse initiative.

Marie-Françoise Grislin

                                            Francis  Grislin

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