FILATURE MULHOUSE
CALACAS
La ville de Mulhouse et la Filature ont fait le pari audacieux de faire venir le théâtre équestre de Zingaro, un évènement considérable quand on sait la réputation extraordinaire dont il jouit, .Quatorze représentations prévues sous un chapiteau de 1300 places installé au Parc des Expositions. Enfin une occasion pour un large public de découvrir une compagnie unique au monde dirigé par le grand maître du théâtre équestre Bartabas. Placée au carrefour de trois pays: la Suisse, l'Allemagne et la France, la ville de Mulhouse pouvait prétendre à un public nombreux pour un spectacle d'exception. Ce qui fut bien le cas
Découvrir Zingaro est à coup sûr un moment intense, inoubliable; le revoir est un bonheur d'une aussi vive intensité. Bartabas aime travailler sur de grands thèmes, s'appuyer sur les cultures du monde. Depuis qu'il a fondé sa compagnie en 1984. Cette dernière création qui a eu lieu en 2011 au Fort d'Aubervilliers est son 9ième spectacle. Elle nous entraîne au Mexique, un pays où l'on a coutume de célébrer, de fêter la mort. Attitude paradoxale. Fêter la mort qui ose ainsi se le permettre? Toute une civilisation, une culture, celle ancienne des Indiens d'Amérique revisitée par les Mexicains. Qui ose s'en inspirer, la reprendre à son compte, et nous la proposer pour en jouir? Quelqu'un d'unique dans le monde, Bartabas et son extraordinaire équipe d'interprètes. Ils le font avec doigté, finesse audace, proposant un spectacle, prenant, bouleversant, un grand souffle, une épopée et une superbe dérision de la mort
Cavaliers chevaux, marionnettes et musiciens mènent un bal mortuaire à la fois simple et sophistiqué, et nous font vivre avec un étonnement de tous les instants nous conduisant vers les rivages d'un autre monde. Le propre, l''originalité de Bartabas est de mettre en scène le cheval, animal dont la noblesse, la dextérité et surtout la complicité avec l'homme sont toujours subtilement et efficacement mis en perspective. Ici, ils sont au nombre de vingt- neuf à entrer en scène parcourant avec élégance , les deux pistes qui leurs sont offertes, l'une en bas des gradins, l'autre à mi hauteur du chapiteau sur une coursive joliment décorée qui fait le tour du chapiteau. Leurs cavaliers sont parfois des squelettes, des parfois des "morts vivants" avec leurs justaucorps sur lesquels sont dessinés leur squelette et leur masque de tête de morts '( Masques: Cécile Kretschmar, costumes: Yannick Laisné et Ornella Voltolini, fabrication squelettes : Caroline Kurtz et Sébastien Puech) Bien sûr c'est impressionnant, mais leur cavalcade endiablée n'a rien à voir avec un cortège funèbre cérémonieux. Ils surgissent, tournent, exécutent des prestations d'une époustouflante virtuosité. La voltigeuse sur son cheval nous bouleverse, les acrobaties des uns et des autres nous font retenir notre souffle, les dangers auxquels ils s'exposent nous font frémir, nous émerveillent
Des scènes restent gravées dans nos yeux, dans nos mémoires, drôles comme celle des dindons qui font la roue lorsque de petits squelettes entreprennent au-dessus d'eux une danse malicieuse,- émouvantes quand la jeune femme en tenue de mariée est emportée par son cheval, étourdissantes quand les cavaliers courent à côté de leurs montures, bien lancés les rattrapent et sautent pour les chevaucher,- comiques quand le mexicain dort près de son cheval lui-même couché, et que tous les deux se lèvent prestement sur les injonctions de leur maîtresse,- magiques, bien sûr, ces surgissements du petit cheval blanc crinière au vent parcourant la coursive au galop avant de disparaître soudainemen, Tant de scènes qui se succèdent à une cadence rapide, comme cette course de plus en plus effrénée de carrioles bariolées parcourant à vive allure la coursive bannières déployées, conduites et habitées par des squelettes ricanant.
Le spectacle dans son ensemble est comme un magnifique carnaval où le grotesque se marie à la finesse, à la beauté absolue, conduit par des musiciens étonnants, ces deux chinchineros d'origine chilienne: Pepa Toledo et Luis Toledo, hommes orchestres capables de tourbillonner sur eux-mêmes tout en frappant leur tambour et mettant en route les cymbales accrochées à leurs talons par de fils , d'une précision remarquable, ils sont relayés dans leurs prestation par deux autres musiciens percussionnistes Sébastien Clément et François Marillier et par la diffusion d'enregistrements de musique chamaniques indiennes et de fanfares du début du XXième siècle.
Un spectacle qui fait danser la mort, se joue d'elle sans nous faire oublier qu'elle est inéluctable. Un spectacle qu'on peut qualifier.de parfait, d'éblouissant mené tambour battant, un voyage au pays de la mort apprivoisée!.
Marie-Françoise Grislin