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Billet de blog 6 juillet 2025

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Une semaine dans l'abîme étasunien

Elles sont loin derrière nous les décennies où rien ne passe. Retour sur une semaine où des décennies se sont produites, comme tant d'autres depuis le retour au pouvoir de Donald Trump aux États-Unis. Passage en revue de cinq évènements d'une longue semaine dans un pays où le gouvernement mène une blitzkrieg autoritaire et haineuse contre son opposition, ses « ennemis » et l'État.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Entre janvier 2021 et janvier 2025, Joe Biden, alors 46è Président des États-Unis, a émis 162 executive orders. Ces derniers sont l’équivalent des ordonnances gouvernementales en France et permettent au Président de légiférer rapidement sans passer par le Congrès et ce, théoriquement, en respectant les limites constitutionnelles relatives à l’usages de ces executive orders. Depuis son entrée en fonction le 20 janvier 2025, il y a 167 jours, Donald Trump a, lui, émis 165 executive orders, faisant donc un usage frénétique de cet outil dans la blitzkrieg (guerre éclair en allemand) que son administration mène contre l’État de droit aux États-Unis.

Cette blitzkrieg qu’il est si difficile de suivre et de comprendre. D’une part, car cela demande une certaine connaissance des institutions étasuniennes, du système politique du pays mais aussi de son histoire politique. Et d’une autre, parce qu’à peine avons-nous eu le temps de recevoir, analyser et digérer un évènement, que trois autres se sont déjà produits. Le tout s’inscrivant dans une stratégie volontaire de l’administration Trump d’occupation de l’espace qui, en multipliant aussi bien les initiatives politiques que les apparitions médiatiques, noie l’opposition dans un océan de propositions, controverses et actions toutes plus anti-démocratiques, violentes et irrationnelles les unes que les autres.

L’objet est donc ici de s’arrêter sur une (grosse) semaine dans les États-Unis de Trump et sur cinq évènements qui l’ont marqué, à la fois pour informer sur ces derniers, mais aussi pour voir à travers eux comment s’exprime les velléités anti-démocratiques de Trump et les impacts qu’elles ont aujourd’hui sur les États-Unis, mais aussi sur ceux qu’elles auront demain.

Cour Suprême : quand la justice met fin à la justice

Rien que le premier jour de sa deuxième présidence, Donald Trump a donc signé 21 executive orders (EO), et plusieurs de ces derniers ont été suspendus par des universal injunction. Ces dernières étant des mécanismes légaux par lesquels des juges peuvent suspendre l’application d’un EO le temps qu’il soit validé, ou non, par la Cour Suprême, arguant du fait que l’EO en question serait soit particulièrement dangereux pour certains individus, soit qu’il serait manifestement anticonstitutionnel.

Et parmi ces 21 EO se trouvait l’EO 14160, qui cherche à remettre en cause le droit du sol aux États-Unis. Sur ce sujet, la constitution étasunienne est pourtant particulièrement claire. Le 14è amendement stipule que toute personne née ou naturalisée aux États-Unis est de fait citoyenne du pays, et ce sans que la nationalité de ses parents ne rentre en considération. L’objectif de l’EO de Trump étant donc de faire jouer la citoyenneté des parents, demandant ainsi à ce que les personnes nées aux États-Unis, dont aucun des parents n’a la citoyenneté étasunienne, ne se voient plus accordé la citoyenneté à leur naissance. L’argument juridique pour justifier que demander qu’un des parents ait la citoyenneté étasunienne ne va pas à l’encontre du 14è amendement ? Le fait que cette version du 14è amendement a été adoptée en 1868, 3 après la guerre de Sécession, pour passer outre une décision prise par la Cour Suprême en 1857 qui avait estimé qu’aucune personne Afro-américaine ne pouvait être citoyenne des États-Unis du fait de raisons racistes et suprémacistes dans un contexte où l’esclavage avait encore cours aux États-Unis.

Pour l’administration Trump, cela veut donc dire que la clause sur la citoyenneté du 14è amendement ne concernerait donc que les enfants des ancien·nes esclaves. Une logique qui, non seulement remettrait en cause la citoyenneté de millions de personnes nées aux États-Unis ces 150 dernières années, mais en plus supposerait donc que le 14è amendement avait en réalité une date de péremption qui n’était pas indiquée dans la constitution.

L’administration Trump s’était plainte de cette injunction et a donc cherché à la faire sauter, ce qui lui a été accordée le 27 juin par la Cour Suprême qui s’en est prise à la possibilité pour des juges d’émettre des universal injunction, sans pour autant statuer sur la validité ou non de l’EO 14160. Cette décision stipule donc que les injunction des juges ne peuvent désormais plus que s’appliquer aux personnes ayant porté plainte contre un EO, créant de fait des systèmes judiciaires parallèles. Car si demain, Trump émet un EO visiblement anticonstitutionnel, alors, toute personne n’ayant pas porté plainte contre cet EO serait soumise à cette anti-constitutionnalité, jusqu’à ce que la Cour Suprême fasse, peut-être, sauter l’EO, sans que cela ne répare les dégâts fait dans la période séparant l’émission de l’EO de son annulation.

Face à cela, les personnes s’opposant aux abus de pouvoir exprimés par les EO de Trump se retrouveraient à devoir utiliser deux nouvelles méthodes pour maximiser les protections de futures injunction, les class-action lawsuits et les state-lawsuits. Les premières désignent un type de plainte groupée où un nombre potentiellement très élevé de personnes portent plainte ensemble contre quelque chose qui les affecteraient, supposément, toutes. Ainsi, en cas d’injunction, toutes les personnes groupées dans la class-action seraient protégées par cette injunction. De la même manière, une state-lawsuit voit un État porter plainte, ce qui pourrait alors protéger l’ensemble des personnes résidants dans l’État en question. Il y a donc fort à parier que nous risquons de voir ce genre de poursuites judiciaire se multiplier contre les EO de l’administration Trump dans le but de protéger un maximum de personnes contre les effets néfastes, et très souvent illégaux, de ces derniers.

Il n’empêche que cette décision vient mettre un coup important à l’État de droit aux États-Unis en limitant la capacité de l’appareil judiciaire à agir comme contre-pouvoir face à un pouvoir exécutif en roue libre qui n’a que peu de considération pour la constitution et le droit. Et ce en plus de créer une justice différenciée où seules certaines personnes pourront être protégées face à l’arbitraire de l’exécutif. Peut-être que demain, une personne née dans le Vermont deviendrait citoyenne étasunienne alors que si elle était née au Texas, elle n’aurait pas eu la citoyenneté.

Si dire qu’il y a deux États-Unis aujourd’hui, les pros et les antis-Trump, est devenu un poncif, il semblerait qu’il va bientôt y avoir, au niveau judiciaire, bel et bien deux États-Unis distincts. Et croire que la Cour Suprême pourra être d’une quelconque aide serait d’une naïveté confondante étant donné que c’est elle qui crée cette situation en arguant que les juges utilisaient trop les universal injunction contre Trump. Une chose que les juges feraient peut-être moins si ce dernier ne pondait un EO illégal ou anticonstitutionnel tous les deux jours.

One Big Beautiful Bill : l’ultime sacrifice sur les autels du capital et du racisme

Illustration 1
Donald Trump lors de la signature de la One Big Beautiful Bill. © Washington Post

Il y a 3 jours, par 218 voix contre 214, la loi budgétaire phare de Donald a été adoptée par la chambre des représentants. La One Big Beautiful Bill (BBB), dont la traduction est variable selon les médias mais que je choisis de traduire par « LA belle grosse loi », pour mettre en avant le côté enfantin et stupide de cette dénomination, est censée servir de marqueur majeur de cette deuxième présidence Trump en traçant la direction économique sur laquelle il compte mettre le pays.

Si bien des choses y passe, il convient de revenir sur les sujets des réductions d’impôts et de la défiscalisation. Car la campagne de 2024 a été marquée par les promesses de Trump sur l’imposition et la défiscalisation, en particulier des pourboires. Cette seconde mesure était présentée comme sa mesure phare en faveur des travailleureuses les plus précaires qui, dans l’hôtellerie et la restauration, dépendent très largement de leurs pourboires pour survivre. Et si la mesure est bien présente dans la BBB, elle est limitée dans le temps et, comme la défiscalisation des heures supplémentaires, elle prendra fin à la fin du mandat de Trump afin que les personnes concernées assignent bien à Trump la paternité de leur gain de pouvoir d’achat (comme quand ce dernier avait mis sa signature sur l’allocation de 1200$ donnée à presque toustes les étasunien·nes adultes au début de la pandémie de Covid).

Mais si la défiscalisation pour les plus pauvres est à durée déterminée, les crédits d’impôts gargantuesques accordés aux plus riches sont eux, évidemment, à durée indéterminée. Si ces crédits d’impôts concernent toutes les personnes payant des impôts sur le revenu, le haut du panier, les foyers gagnant plus de 217 000$ par an (soit les 20% les plus riches), devraient capter près de 60% de ces crédits d’impôts. Car si les plus pauvres, gagnant moins de 50 000$ par an, devraient voir leurs impôts baisser de 630$ en moyenne, celleux qui gagnent entre 217 000 et 318 000$ par exemple verront leurs impôts baisser de 5 400$ en moyenne.

Des réductions aussi massives d’impôts vont bien sûr engendrer une chute drastique des recettes de l’État fédéral. Mais heureusement, pour partiellement contrebalancer cela, l’administration Trump a eu une idée splendide et originale : s’en prendre toujours plus aux pauvres en portant un violent coup à l’État social. C’est ainsi que, sur 10 ans, Medicaid (une sécurité sociale au rabais qui profite surtout aux plus démunis) va perdre 1 000 milliards de dollars, ce qui engendrera la perte d’assurance pour plus d’une dizaine de millions de personnes en plus de la fermeture d’un certain nombre d’établissements de santé à travers le pays. Et si cela ne suffisait pas, la loi ajoute aussi des conditions d’emplois pour pouvoir prétendre à Medicaid et aux chèques alimentaires, ce qui devrait conduire des millions de personnes à perdre l’accès à ces deux programmes sociaux. Dès lors, il y a fort à douter que 630$ d’impôts en moins suffisent à contenter les millions de personnes qui vont perdre leur assurance maladie et une partie de leur sécurité alimentaire.

Et, en plus de toutes ses réductions d’impôts, cette loi implique de nouvelles dépenses. Un des gagnants de ces nouvelles dépenses est le Pentagone dont le budget va augmenter de 150 milliards de dollars. Une augmentation de budget qui servira à payer pour toujours plus d’équipement (qui n’ira pas à l’Ukraine visiblement) mais aussi le Golden Dome, nouvelle lubie de Trump et adaptation de l’Iron Dome israélien (un nom choisit par læ pie-tre attiré·e par l’or qu’il est), soit un système de défense anti-missiles censé protéger les États-Unis contre des attaques balistiques. Une menace réelle, majeure et urgente, au moins autant que celle que posait le programme nucléaire iranien ou les armes de destructions massives de Saddam Hussein.

Mais le vrai gagnant de cette loi en termes de dépenses, c’est bien le Department of Homeland Security (DHS, département de la sécurité intérieure), avec près de 170 milliards alloués à la lutte contre l’immigration dite « illégale ». Un montant astronomique qui comprend des constructions d’infrastructures répressives : 45 milliards pour la construction de nouveaux centres de détention et 46,5 milliards pour l’extension du mur à la frontière mexicaine, notamment. Mais aussi près de 30 milliards pour ICE, la Gestapo au rabais de Trump, dont les agent·es, presque toujours masqué·es, armé·es et sans signes distinctifs (impossible donc, souvent, de les distinguer d’une milice paramilitaire) effectuent des rafles quotidiennement sur le territoire étasunien en dehors de toute forme de contrôle de leur action. Ces employé·es de ICE devraient donc voir leur salaire augmenter, tout comme leurs effectifs, puisque l’objectif est d’en recruter toujours plus, en créant une incitation pour les candidat·es : un chèque de 10 000 dollars à la signature du contrat d’embauche. Tout cet argent étant nécessaire pour que Trump puisse accomplir son objectif : déporter plus de personnes migrantes hors des États-Unis que tout autre président avant lui.

« Alligator Alcatraz » : la cruauté comme boussole

Symbole de cette volonté de construire toujours plus de centres de détention, la visite le 1er juillet par Donald Trump d’un nouveau centre en Floride : « Alligator Alcatraz ». Un nom original, dû au fait que cette nouvelle prison a été construite sur un aérodrome abandonné situé au beau milieu des Everglades, une zone humide réputée, dont les eaux sont remplies d’alligators (et de pythons, mais c’est moins visuel pour faire peur). Un nom dont est tellement fier le parti Républicain, que sa branche de Floride propose sur son site des produits dérivés flanqués du nom « Alligator Alcatraz » : T-shirts, casquettes ou même gourde.

Une fierté dans la cruauté dont le parti ne se cache pas. Pire, il s’en vante. Car si les alligators et les pythons sont des dangers bien réels, le risque principal pour les futur·es détenu·es est que cette prison, construite en 8 jours et donc bien peu résistante aux risques environnementaux, est située en pleine zone inondable, dans une région réputée pour ses violentes tempêtes et inondations. Il ne faudrait donc pas grand-chose pour que la vie des détenu·es soient mises en danger, ce qui aurait été pris en compte. Ainsi, selon le gouverneur républicain de l’état, Ron Desantis, « Alligator Alcatraz » serait adapté aux ouragans, une affirmation mise à mal par le fait qu’il y a trois jours, lors de pluies intenses (mais bien plus faibles que pendant des ouragans), de l’eau s’est infiltrée dans les bâtiments du centre de détention.

Et tous ces dangers font même l’attrait de ce lieu. Pour Kristi Noem, la patronne du DHS, ils pourraient inciter les migrants « illégaux » à « s’auto-déporter » de peur de finir à « Alligator Alcatraz » où, disait Trump en plaisantant, on pourrait leur apprendre à « courir pour fuir les alligators ». C’est d’ailleurs lors de sa visite dans le centre que Trump a annoncé sa volonté de moins s’en prendre aux migrants « illégaux » qui travaillent dans les fermes étasuniennes. Il est connu depuis des décennies que l’agriculture étasunienne est dépendante du travail agricole de millions de migrant·es sans papiers qui s’occupent notamment des récoltes, en étant très peu payé·es et dans des conditions extrêmement difficiles. Il convient néanmoins de bien prêter attention au vocabulaire qu’il a utilisé à cette occasion. Son idée : mettre les travailleureuses agricoles immigré·es sans statut légal sous la responsabilité des fermier·es qui les emploient en leur offrant une sorte de visa de travail restreint. Or, en évoquant cette idée, il a parlé successivement de « farmer responsibility » (responsabilité du fermier) puis d’« owner responsibility », soit « responsabilité du propriétaire », comme synonyme du premier terme. Une expression renvoyant directement à l’esclavage, puisqu’il parle directement de l’exploitant agricole comme étant le propriétaire de ses travailleureuses, mettant en lumière de manière particulièrement sordide la centralité d’un racisme extrême au cœur de toutes ces politiques anti-immigration.

La promesse pour les personnes migrantes ? Auto-déportez vous, sinon… Au mieux, vous deviendrez la propriété « temporaire » d’exploitant·e agricole. Au pire, vous serez arrêtées hors de tout cadre légal par des agent·es de l’État, cagoulé·es et armé·es, avant de finir dans un camp de concentration aux conditions de détention volontairement violentes dans l’attente de votre déportation.

Mamdani : l’après 11-septembre

Par ailleurs, la déportation qui est une question que l’administration Trump se pose pour Zohran Mamdani, vainqueur de la primaire démocrate pour la mairie de New York. Au terme des comptabilisations de voix, le 1er juillet, ce dernier l’a définitivement emporté face à Andrew Cuomo, avec 56% des voix, même si cela faisait déjà une semaine que Cuomo avait admis sa défaite au terme du premier décompte.

Mamdani, né en Ouganda, est arrivé avec sa famille à New York alors qu’il avait 7 ans et il a obtenu la citoyenneté étasunienne, au terme d’un processus de naturalisation, en 2018, alors qu’il avait donc 27 ans. Il se définit comme socialiste démocrate et a mené une campagne à la gauche du parti démocrate, soutenu alors par Bernie Sanders et Alexandria Ocasio-Cortez (surnommée AOC). Et si cette affiliation idéologique, combiné au fait qu’il est né à l’étranger, est déjà plus que suffisante pour donner de l’urticaire aux Républicains, il reste un élément de sa personnalité qui achève de rendre ces derniers allergiques à lui : Mamdani est un musulman chiite.

Depuis sa victoire, c’est donc un tsunami de remarques islamophobes qui volent de la bouche et des claviers de politicien·nes républicain·es et de leurs soutiens médiatiques. À l’image de Charlie Kirk, leader de Turning Point USA, principale organisation « étudiante » pro-Trump, dont le premier reflexe suite à la victoire de Mamdani fut de tweeter : « Il y a 24 ans, un groupe de musulmans a tué 2753 personnes lors du 11 septembre. Et maintenant, un musulman socialiste est sur le point de devenir maire de New York. ». Quant au fils du président, Donald Trump Jr, il était occupé à retweeter un message disant « Je suis assez vieux pour me souvenir quand New York subissait le 11-septembre, au lieu de voter pour ».

Et dresser une liste exhaustive des réactions ouvertement islamophobes de membres éminent·es du parti Républicain serait un travail très long. Des remarques racistes sur une vidéo où Mamdani mange de la street food avec les mains, aux images faites par IA de New York dévastée ou de la Statue de la Liberté en burqa, en passant par les remarques sur le fait qu’il serait antisémite, et un jihadiste, et qu’il voudrait provoquer un nouveau 7-octobre, en plus d’un nouveau 11-septembre, tout y est passé. Si on a bien une réminiscence du 11-septembre, elle concerne moins l’attentat terroriste en lui-même que les réactions étasuniennes qui ont suivi, avec l’explosion d’islamophobie dans le pays à la suite de l’attaque.

Au-delà des insultes, et de la vague de racisme et d’islamophobie, ces attaques républicaines contre Mamdani ont aussi rapidement pris une tournure plus matérielle. Ainsi, Andy Ogles, élu républicain au Congrès, a été le premier, le 26 juin, à demander la dénaturalisation et la déportation de Zohran Mamdani. Depuis, Trump a attaqué plusieurs fois Mamdani directement. Autant pour ses idées, il serait « communiste », son élocution, il serait particulièrement peu charismatique, mais aussi son physique, il serait moche. Mais une fois passé le côté fondamentalement puéril de ces remarques, elles contiennent des éléments bien plus inquiétants. Ainsi, Trump a juré qu’il ne laisserait pas Mamdani être élu, qu’il diligenterait une enquête pour voir si la dénaturalisation était possible et, le cas échant, il serait ravi de le déporter rapidement. Oh et, si Mamdani ne laisse pas ICE faire leurs rafles en paix, Trump a juré de l’arrêter aussi. En somme, et comme toujours avec les Républicains, la liberté, et surtout celle d’expression et de conscience, ne vaut que si l’on dit des choses qui leur plaise et si l’on prie le bon Dieu, de la bonne manière.

Et malheureusement, si Mamdani a reçu un peu de soutien de la part des Démocrates, y compris parmi certain·es de celleux qui ne l’avaient pas soutenu pendant la primaire, dont l’ancien marie de New York Bill de Blasio, ce soutien reste timoré. Lors de la dernière primaire démocrate pour la mairie de New York, quelques jours à peine après sa victoire, Éric Adams était reçu à la Maison Blanche, au Sénat et à la Chambre des Représentants par les pontes du parti. Aujourd’hui, Mamdani est soutenu du bout des lèvres face aux attaques des Républicains par ces mêmes pontes, qui refusent encore de lui apporter explicitement leur soutien pour l’élection municipale de novembre.

Affaire « 60 minutes » : quand le procès-pognon s’allie avec le procès-bâillon

Et s’il y a bien une ponte du parti Démocrate qui est particulièrement silencieuse depuis des mois, c’est bien l’ancienne vice-présidente et candidate malheureuse à la présidentielle de 2024, Kamala Harris. Et c’est lors de cette campagne de 2024 que, parmi de nombreuses autres apparitions médiatiques, Harris s’est fait interviewer dans le cadre de l’émission de CBS, 60 Minutes.

Or, depuis cette interview, Trump a choisi de s’en prendre à l’émission, l’accusant d’avoir montée une réponse de Harris portant sur la guerre à Gaza de manière à l’avantager pendant la campagne. Une accusation qui a motivé CBS à publier la version sans montage de l’interview. La différence principale entre les deux versions ? Dans la version sans montage, la réponse de Harris est plus longue, et elle cherche un peu plus ses mots que dans la version montée où ont été gardées des parties de sa réponse, exprimées d’une traite. La raison de ce montage selon CBS ? La clarté et la durée. En effet, l’interview dure un peu moins d’une heure mais l’interview montée pour 60 Minutes dure environ 20 minutes (l’émission globale contenant plus que juste l’interview).

Des raisons qui n’ont pas suffi à Trump, qui a donc fait le choix de poursuivre en justice CBS, leur réclamant la somme, aussi coquette que ridicule, de 20 milliards de dollars pour le préjudice que ce montage d’une question lui aurait fait subir. CBS, et sa compagnie-mère, Paramount, ont d’abord jugés cette plainte comme n’ayant pas la moindre base légale. Mais depuis, le discours a bien changé.

Chez Trump, pas de changement, il a même continué à attaquer 60 Minutes, estimant que CBS devrait être sanctionné pour une émission sur le Groenland et une sur l’Ukraine dans lesquelles il était critiqué. Une habitude chez ce chantre de la liberté d’expression qui exprime souvent sa volonté de voir disparaître des chaînes comme CBS, MSNBC ou CNN, au prétexte qu’elles seraient trop négatives envers lui et qu’elles mentiraient toujours à son sujet.

Mais chez CBS, on a fini par plier. En interne déjà, la relation entre l’émission et CBS s’est tendue. Le producteur exécutif de 60 Minutes a ainsi quitté le navire en avril, estimant qu’il avait perdu son indépendance journalistique. Un sentiment attribué au fait que Paramount avait, depuis quelques mois, accru sa supervision des contenus de l’émission, sans pour autant chercher à les altérer directement. La raison ? Paramount est sensé fusionner avec Skydance Media, une opération qui devrait coûter 8 milliards à Skydance et qui nécessite un accord de la Federal Communications Commission (FCC), une agence gouvernementale fédérale, sorte d’ARCOM étasunienne. Or, le patron de la FCC, un proche de Trump, a annoncé en début d’année sa volonté d’utiliser la FCC pour s’en prendre aux médias qui seraient, selon lui, biaisés contre Trump.

Dans ce contexte, CBS a donc, logiquement, pu se sentir un peu forcée d’accepter de négocier avec Trump l’abandon des poursuites, une négociation qui a vu CBS accepter de verser 16 millions de dollars à Trump, ou plus précisément au fond servant à construire la future bibliothèque présidentielle Trump. Une somme minime comparée à ce qui était demandé à la base, mais colossale si on prend en compte le fait que la plainte était jugée comme étant sans fondement. D’ailleurs, pour nombre d’expert·es juridiques, interrogé·es par la BBC, le New York Times, CNN et d’autres, CBS l’aurait très aisément remporté au tribunal.

Mais la victoire de Trump est bien là, elle ne se joue pas aux yeux de toustes, dans la salle d’audience mais dans les petites salles d’à côté, la porte fermée. La stratégie est claire, menacer les géants des médias de poursuites, fussent-elles ridicules, pour les pousser à s’aligner sur la volonté présidentielle, en leur rappelant qu’ils ont besoin du gouvernement fédéral pour faire du business parfois et que c’est donc dans leur intérêt économique de s’incliner. Car si c’est Paramount qui s’incline aujourd’hui, d’autres, comme Disney, ont dès l’inauguration de Trump montrer leur volonté d’infléchir une partie de leurs politiques d’entreprise pour plaire au président. À voir si cela suffira, sans même parler de si cette lâcheté capitalistique en vaut la peine. Après tout, Disney est déjà sous enquête de la FCC depuis avril qui lui reproche ses pratiques passées en matière de diversité dans le recrutement. Entendez-là qu’il y avait, pour la FCC, bien trop de diversité, évidemment.

Les semaines où des décennies se produisent

Et si nous nous ici arrêté·es sur 5 évènements ayant eu lieu dans un laps de temps d’environ une semaine. Il faut bien se rendre compte que la blitzkrieg de Trump et de ses partisans ne s’arrête pas là. La Cour Suprême par exemple a, le 27 juin, estimée que les parents d’élèves avaient le droit d’exiger que leurs enfants n’assistent pas aux cours quand ceux-ci évoquaient des thèmes LGBTI+. La raison ? La liberté de conscience pardi. Si la foi (chrétienne) des parents s’oppose aux LGBTI+, alors leurs enfants ne devraient pas être soumis à l’existence même de ces personnes. Dans un pays où l’instruction publique et son contenu sont déjà des sujets bien compliqués, cela promet de toujours plus miner l’école public, sans parler de ce que ce genre de décision peut présager pour les prochaines qui concerneront à nouveau les personnes LGBTI+.

Mais bien qu’il soit difficile de suivre l’intensité de ce qui passe outre-Atlantique, et encore plus difficile de ne pas désespérer face à l’ampleur des dégâts et la violence de cette seconde administration Trump, il n’empêche qu’il faut garder l’esprit clair en observant tous ces évènements. Oui, Trump est violent, en plus d’être sénile et ridicule, mais il peut encore y avoir une vraie opposition face à lui qui fait usage de ce qu’elle a pour lui tenir tête. ICE est encore là et cette petite Gestapo continue ces rafles ? Les citoyen·nes peuvent encore venir, être là, et faire stopper ces rafles par leur présence, comme on l’a vu à Los Angeles le mois dernier. La BBB menace de détruire l’État social pour des millions d’étasunien·nes ? Raison de plus pour exiger une vraie sécurité sociale, universelle, qui protégera vraiment les individus en plus d’être bien plus efficace et moins cher que l’hydre qu’est l’assurance privée aujourd’hui. Et c’est ce genre de choses que défend quelqu’un comme Mamdani, et iels sont des millions d’autres à les vouloir. Aux Démocrates maintenant de changer de cap et de proposer une véritable alternative et pas la même soupe néolibérale qui ne fait plus effet depuis Obama.

Les Républicains ont passé des années à s’en prendre aux migrants à longueur de journée et, sous Biden, les Démocrates se sont tus. Résultat ? En 4 ans, les étasunien·nes sont passé·es de plutôt favorables à l’immigration à assez défavorables. Les Républicains ont passés des années à s’en prendre aux personnes transgenres, notamment dans le sport, pendant que les Démocrates se sont tus, voire ont tenus des discours proches. Résultat ? Les enquêtes sur le sujet montrent que l’acceptation des personnes transgenres baisse depuis plusieurs années.

Et le résultat dans les deux cas est que maintenant, les Républicains se permettent une rhétorique de plus en plus violente et discriminatoire contre ces deux groupes : camp de concentration puis déportation pour l’un, interdiction de transition (médicale et parfois même sociale) et menaces de criminalisation pour l’autre. Car si les Républicains ont bien compris une chose, c’est que lorsqu’on rabâche les mêmes sujets ad nauseam pendant des années, sur tous les médias, on finit par imprégner le discours et l’opinion publique durablement. Et il serait temps que les Démocrates le comprennent, car s’ils sont plutôt impuissants au niveau institutionnel aujourd’hui, surtout face à un parti qui se moque bien des institutions, c’est là que la bataille peut se jouer pour celleux qui, comme Mamdani, Sanders ou AOC, ont la possibilité d’investir les espaces médiatiques.

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