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Billet de blog 13 septembre 2025

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Assassinat de Charlie Kirk : la sinistre schadenfreude trumpiste

Charlie Kirk, agitateur d’extrême droite, instigateur de haine et républicain influent a été assassiné le 10 septembre lors d’un évènement dans l’Utah. Si l’extrême droite étasunienne pleure un de ses hérauts, elle ne peut s’empêcher de laisser paraître son bonheur de voir enfin son impatience récompensée : le Reichstag a brûlé, il est temps d’ouvrir les vannes de la violence contre l’opposition.

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« En comptant la violence des gangs ou sans ? » furent les derniers mots de Charlie Kirk avant qu’il ne soit frappé par une balle dans le cou qui allait mener à sa mort dans les heures qui suivirent. Il répondait ainsi à une personne dans le public de son évènement, à l’université d’Utah Valley, qui essayait de lui faire admettre que les tueries de masse n’étaient que très rarement causées par des personnes trans. C’était là un type d’évènement dont Kirk était plus que familier. Comme d’autres figures de l’extrême-droite étasunienne, tels Ben Shapiro ou Steven Crowder, il était un adepte de ces « joutes verbales » l’opposant à des étudiant·es opposé·es à ses idées. Et ce, avec toujours le même dispositif, lui et ses équipes contrôlent qui parle, s’occupent du montage après coup, et tout cela n’est jamais qu’une immense mascarade visant à le faire paraître supérieur à des opposant·es ridiculisé·es par son génie rhétorique. Un débat sans arguments, une usine à vidéos visant à prouver la supériorité de ses idées en exploitant des étudiant·es qui, naïvement peut-être, se sont persuadé·es qu’iels auraient le droit à un vrai débat.

Illustration 1
Photos de Charlie Kirk lors d'évènements à gauche et à droite. Au centre, capture d'écran tirée de la vidéo publiée par DOnald Trump sur Truth Social suite à la mort de Charlie Kirk.

Mais voilà, cette fois-ci, c’est l’épée qui fut plus forte que la plume, coupant court à la mascarade. Et si la raison de ce meurtre n’est pas encore connue, il est certain qu’un tel acte, en public qui plus est, ne saurait être que condamné. Et c’est quelque chose que bien des figures politiques étasuniennes n’ont pas manqué de faire juste après le tir, et avant même l’annonce officielle de la mort de Kirk. Ainsi, le Président des États-Unis Donald Trump y est d’abord allé de son bon mot d’espoir sur Truth Social, suivi en ça par nombre de politicien·nes de son parti. De la même manière, les pontes du parti démocrate ont condamné dans la foulée un tel acte de violence politique, de Barack Obama à Chuck Schumer (actuel président de groupe des démocrates au Sénat) en passant par Zohran Mamdani, le candidat démocrate à la mairie de New-York. Et bien sûr, tous les acolytes de Kirk y sont aussi allés de leurs bons mots et prières, que ce soit sur Fox News ou dans la bouche d’autres agitateurices d’extrême-droite (comme Ben Shapiro ou Megyn Kelly) et autres conspirationnistes. Autant dire que là-dessus, le pays était uni, en tout cas pour ce qui est des personnalités publiques.

Désunion et désignation de l’ennemi intérieur

Mais cette apparente union ne fut que très provisoire, durant quelques heures à peine. Car peu après l’annonce officielle de la mort de Charlie Kirk, confirmée directement par Donald Trump sur Truth Social, ce dernier s’est fendu d’un message vidéo aux allures d’allocution présidentielle pour rendre hommage à Charlie Kirk et désigner la vraie coupable : la gauche radicale. Et rapidement, il fut rejoint par bien d’autres politicien·nes du parti républicain, par leurs relais médiatiques à Fox News ou par leurs soutiens en ligne dont Kirk faisait partie.

Pas plus tard qu’hier, deux jours après le meurtre de Kirk, Trump en remettait une couche sur le plateau de Fox News : l’extrême-droite est raisonnable, elle ne fait que s’inquiéter des crimes alors que l’extrême-gauche est monstrueuse et violente. Pas d’union nationale face à la violence politique. Interrogé sur comment il entendait unir la nation à nouveau, Trump était lapidaire : « I couldn’t care less » (« Je n’en ai rien à faire »).

Au moment où il parle, la motivation politique du meurtre n’est en rien confirmée. La seule information qui est passée dans les médias nationaux fut diffusée par le Wall Street Journal, le 11 septembre. Selon le journal, des balles de l’arme avaient été retrouvées et elles possédaient des inscriptions relevant de « l’idéologie transgenre ». Une information reprise par aucun autre média, si ce n’est la sphère d’extrême-droite étasunienne, d’où elle semble même provenir. Peut-être est-ce cette origine douteuse qui amena d’ailleurs le Wall Street Journal à retirer son affirmation, après avoir nourri un discours transphobe déjà extrêmement violent aux États-Unis. À l’heure où est publié ce billet, la certitude est que des douilles de balles avec inscriptions ont bien été retrouvées et elles reprennent des messages qui semblent provenir du jeu Helldivers 2, un jeu de tir qui reprend les codes de Starship Troopers et présente une satire d’une humanité unie et fasciste.

Mais au fond, peu importe les faits. Car même s’il y a à l’heure actuelle un suspect derrière les barreaux, il faudra encore un certain temps pour que nous ayons des hypothèses étayées sur les motivations du coupable. Pour l’heure, l’essentiel pour l’extrême-droite est que l’un des leurs est mort et iels espèrent faire cet évènement leur incendie du Reichstag, leur justification pour enfin pouvoir réprimer plus franchement leur opposition. C’est là toute leur schadenfreude (terme allemand qui désigne un sentiment d’inconfort lorsque que l’on ressent de la joie du fait d’un évènement qui devrait nous rendre triste) tordue, iels se réjouissent déjà d’avoir un martyr et de pouvoir s’en servir pour réprimer celleux qu’iels méprisent. L’étincelle de vie de Charlie Kirk qui s’éteint leur servira au moins à allumer le feu du Reichstag.

La violence en politique, mère des hypocrisies républicaines

Car la violence en politique, qu’elle soit physique ou verbale, ce n’est pas franchement quelque chose qui dérange outre mesure le parti républicain d’aujourd’hui. Ou en tout cas, pas de manière équivalente selon qui est visé.

Ainsi, quand en juin de cette année, deux élu·es démocrates du Minnesota ont été attaqué·es (l’une d’entre elleux, Mellissa Hortman, fut tuée par balles avec son mari), Trump condamna rapidement le crime, disant qu’il allait appeler le gouverneur de l’État pour apporter son soutien, Tim Walz. Il n’en fut rien, et trois jours après, Trump se remettait à insulter Walz en ignorant l’attaque. Et alors que l’assaillant avait été arrêté, et qu’il était avéré qu’il était républicain et un soutien de Trump, le camp trumpiste continuait à dire de lui qu’il était un gauchiste ultra-violent.

Il n’y a, pour Trump et ses soutiens, qu’un seul type de violence politique, celle qui est dirigée contre elleux, par la gauche radicale, le reste n’existe pas. Ils en rigolent même. J’en veux pour exemple l’agression au marteau, en 2022, qu’a subi Paul Pelosi, le mari de Nancy Pelosi, une ponte du parti démocrate et ex-présidente de la Chambre des Représentants, qui est devenue un sujet de blague dans les hautes sphères républicaines. Dès 2022, certain·es en riait déjà, louant les louanges de l’agresseur, Charlie Kirk était de celleux-là. Et s’il faut mentir, iels mentent. L’auteur de la tentative d’assassinat contre Trump en 2024 ? Un type de 20 ans et un farouche démocrate et dangereux gauchiste, enfin selon Trump. Dans les faits, il avait fait un don de 15 dollars à un groupe affilié au parti démocrate quand il avait 17 ans avant de se faire enregistrer comme électeur du parti républicain quelques mois après.

Si les vœux présidentiels n’incluent pas encore d’incitation à la violence explicite contre les démocrates, l’intensité de la dénonciation gronde de plus en plus. L’extrême-droite accusent toujours plus un « ils » nébuleux de tous les maux des États-Unis et menace de plus en plus ce « ils » de vengeance. Et ce « ils » est large : les démocrates, les gauchistes, les migrant·es, les personnes trans, et d’autres encore. Toute excuse est bonne pour les haïr et ces ténors de l’extrême-droite veulent que leurs soutiens les haïssent, viscéralement. Car après tout, ces ennemi·es de l’intérieur haïssent les États-Unis et il serait temps que les « vrais » patriotes rendent coup pour coup. L’explicite n’est pas là, mais l’appel à la violence est clair.

Et peut-être est-ce finalement là le véritable hommage que l’extrême-droite rend à Charlie Kirk. Lui qui a construit sa carrière sur l’incitation à la haine, lui qui jouait avec les codes de la civilité pour se faire bien voir, tout en exprimant les positions les plus haineuses qui soit. Il accusait les juifs de financer la gauche qu’il haïssait tant, considérait que les personnes noires auraient peut-être dû rester esclaves, que la place des femmes était dans la cuisine et que les personnes LGBTI+ devaient se faire lapider. Il n’était ni modéré, ni de bonne foi, ni sincère, ni respectueux. Et vu comment le trumpisme utilise son meurtre, il semblerait bien que sa mémoire sera respectée et qu’il aura l’occasion de laisser au monde exactement ce qu’il lui a continuellement offert au cours de sa vie : la désignation d’un ennemi à abattre et une haine inépuisable.

Lutter contre cette violence en politique ne saurait se faire en mentant sur celleux qui la répandent et/ou la subissent. Charlie Kirk n’était pas un modéré, il était un extrémiste qui prônait la violence et la haine contre bien des groupes. Il ne recherchait pas le dialogue, il ne pratiquait pas la politique « the right way », comme l’a écrit Ezra Klein dans le New York Times. Il a accueilli la violence avec un sourire et des rires plus qu’avec gravité et condamnation durant toute sa carrière. Et si cela ne rend pas sa mort plus acceptable, cela ne doit pas être oublié. Dire qui il était n’est pas lui manquer de respect dans la mort. Charlie Kirk était détestable et son assassinat l’est tout autant. Et il ne faudra pas oublier ce que ses allié·es en ont fait : une occasion de s’en prendre à celleux qu’iels haïssent, particulièrement la gauche et les personnes trans. L’extrême-droite ne rejette que la violence qui lui est adressée et pour le reste, elle l’appelle de ses vœux et la célèbre quand elle touche ses ennemi·es. Ignorer son hypocrisie et mentir sur qui sont, ou étaient, ses portevoix n’aidera pas à lutter contre cette violence.

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