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Billet de blog 19 juin 2025

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Le futur de New York dessinera-t-il un chemin pour un parti démocrate en perdition ?

Dans moins d'une semaine se jouera la primaire démocrate en vue de l'élection municipale de New York en novembre. Alors que le parti Démocrate se cherche encore après la victoire de Trump en 2024, le résultat de cette primaire pourrait être un marqueur pour la direction future du parti alors que les deux favoris, Andrew Cuomo et Zohran Mamdani incarnent des lignes diamétralement opposées.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le 10 février 2025, l’administration Trump annonçait abandonner les poursuites pour corruption et fraude visant le maire de New York, le démocrate Éric Adams. Des poursuites qui avaient été enclenchées par l’administration Biden en septembre 2024 et que l’intéressé avait alors dénoncées comme étant politiquement motivées du fait de ses critiques à l’écart de Biden au sujet de sa politique migratoire, Adams considérant que ce dernier était trop laxiste à ce sujet. Cet abandon des poursuites fut accompagné d’une inflexion de la part d’Éric Adams sur les questions migratoires, autorisant ICE, l’agence étasunienne en charge de la lutte contre l’immigration illégale, à utiliser Rykers Island, la prison de la ville, pour y détenir des migrants estimés illégaux.

Cet évènement vint achever le déclin de la popularité d’Éric Adams, relançant la course pour la mairie de la ville la plus riche et emblématique des États-Unis lors des élections à venir en novembre 2025. Or, si l’élection est en novembre, pour beaucoup, elle est considérée comme étant déjà jouée en juin, à la suite de la primaire démocrate, tant New York vote massivement démocrate. Les trois dernières élections municipales ont ainsi vu les candidats démocrates être élus avec plus de 66% des voix. Or, c’est de cette primaire démocrate que s’est retiré Adams début avril pour annoncer qu’il serait candidat en novembre sans étiquette partisane, le résultat de sa très forte impopularité chez les électeurices démocrates et de l’entrée en campagne d’Andrew Cuomo, ex-gouverneur de l’État de New York devenu le favori de la primaire dès l’annonce de sa candidature.

Mais si Cuomo est incontestablement le candidat le plus connu de cette primaire, à une semaine du vote, le résultat n’a jamais été aussi incertain. Une incertitude due en partie au système de vote de la primaire, qui s’effectue par ranked-choice voting, une méthode de vote par laquelle les électeurices classent jusqu’à 5 candidat·es, de 1 à 5, et où læ candidat·e avec le moins de votes se voit éliminé·e, les votes en sa faveur se retrouvant reportés sur læ candidat·e que les électeurices avaient classé en deuxième sur leur bulletin. Ce procédé se répétant jusqu’à ce qu’un·e candidat·e dépasse les 50% de votes en sa faveur ou que les deux dernier·es soient départagé·es. Un système similaire à celui que l’on peut retrouver par exemple dans les élections pour le parlement irlandais (le Daíl Éireann). Cette méthode favorisant la construction de coalition entre les candidat·es aux sensibilités idéologiques proches qui peuvent inciter les électeurices à voter aussi pour certain·es de leurs concurrent·es en deuxième ou troisième position par exemple.

C’est donc aujourd’hui pas moins de 11 candidat·es qui seront présent·es sur le bulletin le 24 juin pour la primaire, mais seulement 5 d’entre elleux sont donnés à plus de 5% dans les intentions de votes au “premier tour” : Adrienne Adams, la présidente du conseil municipal de New York (aucun lien avec l’actuel maire, Éric Adams) ; Andrew Cuomo, ex-gouverneur de l’État de New York (2011-2021) ; Brad Lander, Comptroller de la ville de New York (sorte de ministre des comptes publics de la ville) ; Zohran Mamdani, membre de l’Assemblée de l’État de New York ; et enfin Scott Stinger, ancien Comptroller de la ville de New York. Et parmi ces cinq candidat·es, ils sont deux à être donnés au coude à coude pour cette élection, Zohran Mamdani et Andrew Cuomo. Deux candidats qui représentent des visions diamétralement opposées en termes de valeur et de vision de ce que devrait être le parti démocrate face à la seconde administration Trump.

L’establishment démocrate contre l’aile progressiste, la revanche

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À gauche, Andrew Cuomo. Au centre, l'hôtel de ville de New York. À droite, Zohran Mamdani

Car si Andrew Cuomo est un nom bien connu de la politique institutionnelle étasunienne, en tant qu’ancien gouverneur mais aussi ancien ministre du logement et du développement urbain sous Bill Clinton, son nom est surtout dans la mémoire récente pour sa démission du poste de gouverneur en 2021. Une démission qui avait eu lieu suite à de nombreuses accusations d’agressions et de harcèlement sexuel dont il avait fait l’objet, qui lui avait valu d’être dénoncé à l’époque par une grande partie des pontes du parti démocrate. Cette candidature est donc pour lui une tentative de revenir sur la scène politique maintenant que les différentes poursuites judiciaires contre lui ont toutes été abandonnées pour des raisons allant de l’absence de preuves suffisantes à la prescription de certains faits, établis ou non.

Et cette popularité de son nom est bel et bien l’atout principal de Cuomo dans cette élection. Car là où les autres candidat·es majeur·es sont très présent·es sur le terrain, ce dernier se fait discret, organisant surtout des levées de fonds pour sa campagne. Sur l’un des sujets majeurs de cette campagne, le logement, il a même été accusé d’avoir fait écrire ses propositions par ChatGPT, une accusation motivée par le fait que le texte de sa campagne sur le sujet, qui fait 29 pages, contient plusieurs passages incompréhensibles, à la grammaire indéchiffrable, et contient un lien au format de ceux que crée ChatGPT dans ses réponses. La défense de son équipe de campagne consistant à dire que le texte avait été écrit par reconnaissance vocale et que les passages incompréhensibles était une preuve de la non-utilisation de ChatGPT, car si ce dernier avait été utilisé, « il n’y aurait pas eu ces erreurs ».

Et si les accusations, nombreuses, avaient eu raison de son poste de gouverneur en 2021, elles semblent bien loin aujourd’hui. Celleux, parmi les officiel·les les plus influent·es du parti qui l’avaient dénoncé en 2021 se font aujourd’hui remarqué·es par leur mutisme assourdissant. Voire, pour certain·es, iels le soutiennent aujourd’hui, à l’image de Jessica Ramos, sénatrice de l’État de New York, et par ailleurs elle-même candidate à la primaire démocrate pour la mairie de New York, qui lui a apporté son soutien il y a une dizaine de jours. Cette même Jessica Ramos qui, il y a quelques mois à peine, comparait Cuomo à Trump, le traitait de « corrompu » aux « capacités mentales en déclin » en rappelant régulièrement les nombreuses accusations d’agressions sexuelles portées contre lui. Symptôme du revirement d’un parti démocrate en perte de repères, incapable de trouver une stratégie face à la boule de démolition trumpiste qui tente de mettre à bas les fondations de l’État de droit étasunien. Symbole parmi les symboles, Cuomo fut le seul candidat à la primaire à ne pas dénoncer l’arrestation et la détention pendant quelques heures, le 17 juin, de Brand Lander, autre candidat à la primaire, par ICE qui l’accusait d’avoir agressé des agents de l’agence lors d’une opération anti-migrant. Une “agression” filmée de bout en bout, où l’on voit Lander demander à voir le mandat des agents d’ICE venus arrêter un migrant à la sortie d’une salle de tribunal avant d’être arrêté lui-même, manu militari, et menotté par des agents n’ayant aucun signe d’appartenance aux forces de l’ordre et n’ayant aucune autorité légale pour arrêter des citoyen·es étasunien·nes.

Cette détention entrainant une mobilisation citoyenne devant le lieu de détention de Lander où vinrent la gouverneure de l’État de New York, Kathy Hochul, successeuse de Cuomo à ce poste, et plusieurs candidat·es de la primaire dont Zohran Mamdani, l’outsider de la primaire, donné au coude à coude avec Cuomo dans tous les sondages depuis plusieurs semaines. Ce même Zohran Mamdani avec lequel s’était affiché quelques jours plus tôt Lander lorsqu’ils annoncèrent tout deux soutenir l’autre, invitant leurs électeurices à mettre le nom de l’autre en deuxième position sur leurs bulletins.

Inconnu du grand public étasunien il y a encore 6 mois, Mamdani représente aujourd’hui un espoir majeur pour l’aile dite « progressiste », ou « de gauche », du parti démocrate. Membre des DSA (les Socialistes Démocrates d’Amérique), ce dernier est aujourd’hui soutenu par les deux figures progressistes majeures des États-Unis, la députée à la chambre des Représentants pour le 14è district de New York, Alexandria Ocasio-Cortez, dite « AOC » et le sénateur du Vermont et ex-candidat aux primaires démocrates pour la présidence, Bernie Sanders.

Sa campagne se démarque largement de celle de Cuomo, notamment au niveau de sa présence sur le terrain et les réseaux sociaux. La campagne de Mamdani revendique ainsi près de 30 000 volontaires qui participent à des opérations de militantisme par téléphone ou en allant toquer directement à la porte des Newyorkais·es. Depuis fin mai, la campagne revendique toquer à près de 100 000 portes par semaine alors qu’elle a dépassé les 27 000 donateurices uniques, soit 11 000 de plus que Brad Lander qui est pourtant deuxième en nombre de donateurices. Pour autant, si Cuomo a plus de 4 fois moins de donateurices que Mamdani, il a tout de même reçu plus du double de ce dernier en donation (4 millions contre 1,7 million) sans compter la Super PAC (sorte d’organisme de soutien souvent financé par les entreprises et les très riches car n’ayant pas de limite de financement) qui le soutient et qui a levé près de 15 millions de dollars pour sa campagne, démontrant ainsi la différence nette de l’origine du soutien de l’un et de l’autre. L’un soutenu par une armée de volontaires et par des donateurices principalement modestes (61.2$ de donation moyenne) et l’autre à la campagne fantôme, aux soutiens aisés, avec plus de 600$ de donation moyenne et un soutien de 5 millions de dollars de la part de l’ancien maire de la ville, républicain devenu indépendant, Michael Bloomberg.

En matière de politique défendue, le contraste est tout aussi net. Là où la campagne de Cuomo se concentre sur la sécurité et sur sa volonté de renforcer le NYPD (la police newyorkaise), celle de Mamdani se concentre sur le coût de la vie, promettant un gel des loyers, la gratuité des transports et la création d’un Department of Community Safety visant à prendre la place de la police pour gérer, à l’aide de professionnel·es de santé et de travailleureuses sociaux, les situations liées au désordre sur la voie publique, aux crises liés à la santé mentale ou aux problématiques liées aux personnes sans-abris. Mais bien que les différences programmatiques soient réelles et essentielles, les échanges et attaques entre candidat·es lors des deux débats de la primaire se sont concentrées sur d’autres sujets.

Deux camps se sont formés lors de ces débats, les anti-Mamdani d’un côté et les anti-Cuomo de l’autre. Les premiers accusant Mamdani d’inexpérience d’une part mais surtout d’antisémitisme. Cette accusation se basant sur le soutien à la Palestine et aux campagnes de boycott des entreprises israéliennes de la part de Mamdani et se concentrant sur son refus de défendre le « droit d’Israël d’être un État juif », Mamdani défendant à la place le « droit d’Israël d’être un État aux droits égaux ». Des attaques portées lors de ces débats par Andrew Cuomo, Whitney Tilson et Scott Stinger. De l’autre côté, toustes les autres candidat·es, à l’exception de Jessica Ramos, ont profité de ces débats pour s’en prendre, parfois très vertement à Andrew Cuomo, l’accusant d’être corrompu, d’être un danger pour les femmes, d’être soutenu par certains des millionnaires et milliardaires ayant financé les campagnes de Trump ou encore d’avoir causé la mort de seniors newyorkais·es lors de la pandémie de covid. Cette dernière accusation jouant un rôle clé dans la campagne du fait du déclenchement d’une enquête sur la question par l’administration Trump en mai 2025.

Des enjeux nationaux et pas que Newyorkais

En cause, la politique sur le covid de l’État de New York alors dirigé par Andrew Cuomo. Au début de la pandémie, en mars 2020, peu après avoir déclaré l’état d’urgence sanitaire dans l’état, ce dernier avait demandé à ce que les résident·es de maisons de retraites atteint·es du Covid, mais qui n’étaient pas en danger de mort, soient traité·es au sein de ces maisons de retraite, risquant de fait la contamination des autres résident·es et du personnel soignant. Son administration avait ensuite été accusée en 2021 par la procureure de l’État de New York, Letitia James, d’avoir volontairement très largement sous-évalué le nombre de décès du Covid dans les maisons de retraites de l’État pour éviter un scandale. C’est cette accusation qui vaut aujourd’hui à Andrew Cuomo d’être l’objet d’une enquête fédérale déclenchée par le ministère de la Justice des États-Unis.

Or, l’administration Trump est aujourd’hui accusée d’utiliser ces procédures d’enquêtes fédérales pour faire pression sur des élu·es afin de leur forcer la main en échange de l’abandon des poursuites. Et les newyorkais·es connaissent bien le sujet étant donné que, comme on l’a dit plus tôt, le maire actuel a effectué un revirement majeur en faveur de l’administration Trump sur l’immigration au moment où cette dernière a annoncé l’abandon des poursuites contre lui. La crainte est donc que, en cas d’élection de Cuomo, Trump utilise la menace de cette poursuite judiciaire pour obtenir des faveurs de la part de Cuomo.

De la même manière, il y a fort à parier que Trump verrait d’un mauvais œil l’élection comme maire de New York, sa ville, de quelqu’un qui, à l’image de Zohran Mamdani, se définit comme étant un socialiste démocrate. Et c’est bien ces deux craintes que les deux favoris utilisent comme argument de campagne pour dissuader les électeurices de voter pour leur opposant car dans les États-Unis de 2025, Trump ne peut pas ne pas être au cœur des discussions lors des élections, quelles qu’elles soient. Ce dernier étant ouvertement en guerre contre les villes démocrates qu’ils jugent en décrépitude pour ne pas dire en ruines et ayant montré avec le déploiement de la garde nationale à Los Angeles, il fait craindre à New York, le centre économique du pays, les effets que pourraient avoir une guerre ouverte entre lui et læ futur·e maire·sse.

Mais si l’animosité de Trump à l’égard du, ou de la, futur·e maire·sse de la ville ne fait aucun doute, c’est bien l’attitude du parti démocrate à son encontre qui sera particulièrement importante à observer. Si Cuomo avait dû démissionner dans le déshonneur, il était tout de même un membre éminent de l’aile droite du parti et le silence complice qui accompagne son retour interroge sur l’attitude qu’aura le parti avec lui s’il est élu. Quant à Mamdani, s’il est élu, la question sera de savoir dans quelle mesure il sera défendu par le parti en cas d’attaque de Trump. Car pour l’heure, les dirigeant·es du parti démocrate semblent considérer que la défaite de Kamala Harris en 2024 était due au fait que cette dernière aurait été trop à gauche et ils parient plus sur un virage droitier pour contrer Trump. Et une victoire de Mamdani, socialiste auto-proclamé, pourrait désavouer cette position.

L’incarnation de cette position étant aujourd’hui Gavin Newsom, gouverneur de Californie, mis en lumière récemment par les actions de Trump en Californie et candidat plus que pressenti à l’investiture démocrate pour la présidentielle 2028. Ce dernier a rapidement renié plusieurs positions politiques démocrates à la suite de la défaite de Kamala Harris, notamment vis-à-vis des personnes trans dans le sport ou sur l’immigration, de véritables marronniers des Républicains. Et ce, en plus de s’être lancé dans le podcast, où il invite des personnalités pour discuter politique. Des podcasts qui lui ont valu les foudres de l’aile progressiste démocrate tant il a pu y avoir tendance à se montrer en accord avec certaines personnalités éminentes de l’extrême-droite étasunienne comme Charlie Kirk, dirigeant de TPUSA, une organisation étudiante pro-Trump, ou Steve Bannon, ex-directeur de campagne de Trump en 2016 et proche de Marine Le Pen qui s’est amusé à “envoyer son cœur” à la foule lors de la CPAC, la grande convention des Républicains, de 2025.

En somme, si c’est de fait une primaire pour l’investiture démocrate à la mairie de New York qui va se jouer le 24 juin, c’est aussi, et peut-être de manière encore plus importante, un marqueur politique majeur pour l’avenir du parti démocrate et donc de l’opposition à Donald Trump qui va se jouer. Les progressistes et l’establishment démocrate rejouent le match qui s’est déjà joué lors des primaires présidentielles en 2016 et 2020 mais, si à l’époque Bernie Sanders avait dû faire face à la coalition de l’entièreté des autres candidat·es contre lui, cette fois-ci Mamdani a des allié·es dans la campagne et a pour lui la désaffection qu’une part grandissante des sympathisant·es démocrates voue à l’encontre de la direction du parti.

New York fut aussi bien la ville de Franklin Delano Roosevelt, artisan du New Deal et figure tutélaire d’une partie de la gauche démocrate, que celle de Bill Clinton, artisan de la droitisation du parti et de son ancrage définitif dans le néolibéralisme. Il appartient désormais aux newyorkais et aux newyorkaises de décider de l’héritage qu’iels veulent honorer et il nous reste donc à voir si l’élan populaire du jeune socialiste réussira à faire vaciller l’éléphant politique, figure d’un vieux parti en manque de direction.

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