"La fragmentation financière se définit comme le paiement de primes de risque de crédit plus élevées par des émetteurs d’obligations aux caractéristiques similaires lorsqu’ils sont situés dans les pays dits de la périphérie de la zone euro".
En 2008, la crise économique mondiale trouve la Grèce handicapée par un fort endettement et un fort déficit budgétaire. L'agence Fitch dégradait la note de la dette souveraine grecque, donnant le coup d'envoi d'une crise de financement de la zone euro. En 2011, la crise grecque s'est aggravée. Elle s'élargit à l'Espagne puis à l'Italie et dans une moindre mesure à la France. Ces tensions financières ont ravivé les craintes de voir certains états contraints de quitter l'union monétaire étant affaiblis par la fragilité de leurs finances publiques et l'intensité des attaques subies sur les marchés. Plus de 10 ans après la crise des dettes souveraines, la zone euro est toujours fragile et la situation a été aggravée par la pandémie et la guerre en Ukraine. C'est l'Italie qui se trouve aujourd'hui à la place de la Grèce, les rendements de la dette italienne grimpent et le taux dépasse les 4%. Un premier test pour la l'Europe et la BCE.
Les moyens de la Banque centrale européenne sont aujourd'hui limités. Avec un bilan à 8.700 milliards d'euros et sa décision de mettre fin à l'achat d'obligations, il paraît inimaginable à la BCE de recréer rapidement un nouveau programme d'actifs comme pendant la pandémie et faciliter les liquidités pour les pays de la zone euro en difficultés.
L'Europe pourra-t-elle lancer une nouvelle dette commune ? Le remboursement du premier plan "NextGenerationEU" va s'étaler jusqu'au 31 décembre 2058. L'Europe prévoit un nouvel endettement commun des Vingt Sept pour absorber les effets des sanctions contre la Russie. Elle doit prévoir un troisième endettement commun pour participer à la reconstruction de l'Ukraine. Peut-elle encore s'endetter pour distribuer ou prêter aux pays européens les plus "stressés" ? Engager l'Europe au-delà de 2058, oui mais avec quelles ressources ?
Les critères de convergences sont suspendus. En 2011, les pays européens membres de la zone euro devaient respecter les critères de convergences ou "critères de Maastricht". Ces critères imposaient la maîtrise de l'inflation, de la dette publique, du déficit public, de la stabilité du taux de change et de la convergence des taux d'intérêt. Avec la pandémie ces critères ont été suspendus. Le pacte de stabilité budgétaire sera de nouveau en vigueur en 2024 au lieu de mars 2023. Alors d’ici fin 2023, est-il possible d’éviter une "fragmentation" en absence de règles strictes ? Tous les pays de la zone euro présentent des taux d’endettement, d’inflation, de croissance, etc… tous différents. Ceci confirme que les niveaux de développement sont éloignés, les dynamiques économiques sont divergentes et la régulation des marchés du travail nationaux discordante.
Vers une seconde monnaie nationale. La Chine est le seul pays à avoir appliqué le principe de séparation des monnaies intérieure et extérieure. Elle en a tiré beaucoup d’avantages. Elle a utilisé le dollar américain pour son commerce extérieur et le yuan/renminbi pour ses affaires intérieures. Il y a eu une séparation stricte des deux monnaies pendant une large période. Après 1980, la Chine est devenue une grande exportatrice. Mais ses dollars restaient utilisés uniquement pour importer des biens et des services, faire des investissements à l'étranger et acheter des obligations du Trésor américain.
Quant à l'euro, il a été lancé en 1999 sous sa forme scripturale. Il a servi à des fins comptables et pour les paiements électroniques jusqu'en 2002. Depuis 1999, cette nouvelle monnaie s’échange avec les autres monnaies internationales. Pendant cette période, les monnaies nationales, et donc le franc, continuaient d'exister. Pendant trois ans la France a utilisé deux monnaies l'euro et le Franc. Il faut rappeler que "La valeur de l’euro est un taux de conversion et non un taux de change fixée au 1er janvier 1999 par 11 pays d’Europe. Cette valeur a été calculée avec un système de pondération en fonction de l’importance du poids des pays membres de l’Union Économique et Monétaire (UEM) multiplié par le taux de change international des différentes monnaies des pays concernées au 1er janvier 1999, avec une pondération des cours des monnaies en fonction du cours du dollar américain." Culture-générale.fr.
Prenons le cas de l'Italie. Pour faciliter la production, l’échange et la consommation ou limiter une crise de l'endettement en cas de pénurie de moyens monétaires, ce pays peut tout simplement créer une seconde monnaie nationale "à partir de rien" ou réactiver son ancienne monnaie la lire ITL. Il peut aussi utiliser une cryptomonnaie privée comme le bitcoin à l'exemple du Salvador en 2021. La Centrafrique a aussi décidé que le bitcoin serait une monnaie officielle au côté du franc CFA et légalise l'usage des cryptomonnaies. Les cryptomonnaies sont adossées à des blockchains qu'il ne faut pas confondre avec les monnaies qui elles sont, comme leur nom l’indique, émises par des banques centrales.
Pour une période bien définie, l'Italie peut décider à tout moment la réactivation de sa monnaie la lire (1 euro = 1936,27 ITL taux de conversion fixé au 1 janvier 1999). Cette monnaie virtuelle bidirectionnelle sera gérée par la Banque centrale nationale italienne (BCI). C'est une monnaie que l'on pourra acquérir contre de l'euro et qui peut par la suite être retransformée en euro, mais à un taux de change changeant. Les dépôts bancaires en lire et les chèques émis par les italiens deviennent une monnaie locale qui n'est plus "convertible" en euro. Tout financement en lire accepté par une Banque commerciale italienne créera de la monnaie qui dans ce cas ne disparaît pas mais devient un papier-monnaie inconvertible. Les comptes en lire vont fonctionner normalement. Il n'est pas nécessaire qu'ils soient garantis pas des euros réels du côté des actifs des banques émettrices. Il s’agit d’une monnaie locale, formellement attachée à l'euro. Ils ne fonctionnent qu’à l’intérieur du pays concerné. A chaque moment l'euro peut remplacer la totalité de cette monnaie secondaire avec fixation autoritaire du taux de change.
Sortir de l'euro et y rentrer immédiatement en fonction des nouvelles valeurs monétaires nationales. Si rien n'est fait dans le cas d'une "fragmentation" dans la zone euro, certains pays devront sortir provisoirement de cette zone et dévaluer leurs monnaies centrales. Mais la dévaluation est-elle le bon outil pour résoudre les problèmes budgétaires ?
Tous les experts, qui ont analysé la sortie de la France de la zone euro, arrivent tous à une même conclusion : le franc se dévaluerait vis-à-vis de quatre devises (DEM Allemagne, IEP Irlande, NLG Pays Bas et LUF Luxembourg) mais s’apprécierait vis-à-vis des autres pays de la zone euro.
Les spécialistes peuvent calculer de manière équitable les nouvelles valeurs monétaires nationales pour les pays en tension de la zone euro pour obtenir un nouveau taux fixe de conversion comme en 1999. Pour cela il faut tenir compte au moment venu de plusieurs éléments tels que différence de productivité, poids dans les échanges ou l’importance économique des pays membres de l’Union économique et Monétaire (UEM) et la position euro/dollar.
Alors pour stabiliser la zone euro, sortir des crises de finance publique et rétablir l’équité entre les pays de cette zone, pourquoi ne pas sortir de l’euro et y rentrer immédiatement ? L'avantage de ce mécanisme, pour le pays qui a dévalué son euro, c’est de rendre les produits moins chers à l'exportation que les autres pays de la zone euro qui réévaluent leurs monnaies. Ainsi les euros rentrent et la balance importation/exportation est rééquilibrée comme l'endettement et la dépendance de l’extérieur. L’inconvénient est de rendre plus chers les produits indispensables importés hors zone euro comme les hydrocarbures, et tout ce qu'on ne produit pas soit même si in fine le taux de change de l’euro par rapport au dollar diminue encore.