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Billet de blog 3 octobre 2023

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Europe : faut-il aider les entreprises multinationales dans une économie libérale ?

On vit en Europe dans un système économique libéral. Une grande partie de l'économie est libéralisée et dominée par des grands groupes internationaux. Dans les prochaines années les Bourses émergentes devraient profiter d'une meilleure croissance que les Bourses européennes : les multinationales vont-elles quitter l'Europe ?

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Une grande partie de l'économie est libéralisée et dominée par des entreprises internationales. Les données représentatives sur les activités des grands groupes internationaux sont encore rares en Europe car les statistiques nationales ne distinguent que de manière limitée les entreprises nationales et multinationales. Pour les dernières données publiées par Eurostat : en 2021, 155 983 groupes d’entreprises multinationaux opéraient dans l’UE (Union Européenne) et AELE (l’Association européenne de libre-échange), employant plus de 45 millions de personnes. Environ une personne sur cinq, employée en Europe travaille pour un groupe d’entreprises multinational. Les trois pays en dehors de l’UE et de l’AELE qui contrôlaient les groupes d’entreprises les plus multinationaux de l’UE et de l’AELE sont le Royaume-Uni, les États-Unis et la Chine. Les plus grandes contributions fiscales des plus grandes multinationales sont au Luxembourg puis en l'Irlande. En revanche, elles participent plus dans les économies de l'Europe centrale et orientale (source OCDE 2021).

En Europe les régimes fiscaux appliqués sont des régimes territoriaux. En principe les bénéfices des entreprises multinationales devraient être imposés dans les pays de production. En pratique ces entreprises peuvent délocaliser leurs activités vers des pays à faible fiscalité pour réduire l'impôt ou organiser des transferts inter-groupe. Il est très difficile de déterminer où la création de valeur a eu lieu. Les entreprises multinationales déclarent la majorité de leurs bénéfices dans des paradis fiscaux.

Les grandes entreprises multinationales ont battu un nouveau record en 2022. Elles ont versé à leurs actionnaires 1 560 milliards de dollar, selon un rapport du gestionnaire d'actifs Janus Henderson qui recense les 1 200 plus grosses capitalisations boursières. Les versements d’entreprises européennes représentent environ un quart des dividendes mondiales soit 390 milliards de dollar. Cette distribution mondiale de dividende correspond à 58,65% du PIB annuel de tous les pays africains (2 660 milliards de dollar).

Comment la dette publique augmente la richesse des entreprises multinationales ? Avec toutes les crises : bulles internet en 2000, crise de subprimes en 2007-2008 et la crise de 2020 déclenchée par une pandémie mondiale, les pays européens, par leurs endettements extérieurs, ont injecté beaucoup d’argent dans les marchés. L’augmentation des Bourses est tout simplement l’évolution de la quantité d’argent et du volume de dépenses dans l’économie. Plus les pays européens empruntent sur les marchés financiers via des banques commerciales plus il y a création de monnaies. Plus il y a d'argent circulant dans l'économie plus il y a d'argent disponible pour investir dans des actions. Ce qui profite uniquement aux plus grosses capitalisations boursières : la croissance moyenne de la zone euro a été de 1,34% par an de 2000 à 2022 (données Banque mondiale). Concernant Euronext 100 (cet indice représente les 100 plus fortes capitalisations boursières d'Euronext) cette croissance était de 5,68% en moyenne par an de 2003 à fin 2022 (données Abcbource).

Comment la Banque centrale européenne facilite les résultats des entreprises multinationales ? La Banque centrale européenne (BCE) aide aussi les multinationales à s'enrichir. Tout cela est rendu possible à cause de l’argent gratuit qui coule à flots en raison de la politique monétaire très accommodante de la BCE. Comme en 2008, pendant la pandémie de 2020, la BCE a ouvert le robinet de liquidité pour éviter son assèchement et aider les entreprises et les ménages à surmonter les conséquences de la crise sanitaire. Ce flux de liquidité est sans précédent dans l’histoire moderne. En bout de chaîne, la liquidité de la Banque centrale se transforme en quasi-monnaie, concentrée entre très peu de multinationales. En plus, la BCE rachète les obligations des grandes entreprises cotées et fait croître leurs valeurs boursières. Au vu de la situation économique de leurs marchés, ces entreprises, au lieu d'investir, utilisent ce financement pour acquérir leurs propres actions.

Comment les aides des États favorisent les entreprises multinationales. Subventions, prêts, aides fiscales, etc. Les aides des États est un concept spécifiquement européen, la réglementation est gérée par les articles 107 et 108 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Les aides prennent la forme de faveurs consenties à une ou à un ensemble de multinationales, généralement sous forme de subventions mais pas uniquement. Ces aides faussent la concurrence sur le marché de référence et affectent le commerce entre les États membres. On trouve ainsi : les aides dans le cadre du PIIEC (projet important d’intérêt européen commun), les aides du projet Chips Act, la distribution du fonds européen de garantie, les aides délivrées par la Banque européenne d’investissement, la défiscalisation des investissements, la réduction des impôts sur la production, les aides directes ou indirectes des États et des collectivités, etc.

A quoi les aides aux entreprises multinationales servent-elles ? Les réponses qui reviennent régulièrement : pour limiter les délocalisations, soutenir l’emploi, la compétitivité et l’innovation. Pour l'emploi en 2008 où le chômage était le plus bas dans la zone euro, le taux de chômage était de 7,69% de la population active. En 2021 ce taux est sensiblement le même à 7,79%, d'après les données de l'OCDE. Quant à la productivité, le niveau du PIB par tête de productivité a progressé annuellement en moyenne de 0,84% entre les années 2000 et 2022. Qu'on juge les aides nécessaires ou non, elles ont eu un impact très faible sur les créations d'emplois et elles n'ont pas réussi à accroitre la compétitivité. Elles se sont empilées et font partie d'un fonctionnement normal de profitabilité.

Dans les prochaines années les Bourses émergentes devraient profiter d'une meilleure croissance que les Bourses européennes. D'après Goldman Sachs, dans les prochaines années, les Bourses des pays émergents seront plus performantes au détriment des pays Occidentaux. Les multinationales qui cherchent les opportunités vont peut-être déserter l'Europe pour investir dans l’ancien bloc communiste, dans des pays non alignés, ou d’anciens régimes autoritaires ou dictatoriaux. Ces entreprises n'ont d'ancrages ni sociaux ni écologiques. Elles prospèrent avec un modèle gourmand en matières premières ou en énergie fossiles la moins chère qui maximise les profits en rejetant les déchets toxiques et les gaz à effet de serre dans la nature. Ceci génère de vives inquiétudes pour le climat au niveau mondial et pour l'Europe une nouvelle délocalisation de la production vers des pays à bas salaires.

Alors pour nos emplois, notre compétitivité et l'innovation, faut-il aider les entreprises multinationales ou miser sur les groupes stratégiques détenus majoritairement par des États ou des investisseurs européens ?

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