En 2025, l’Europe fait face à un recul relatif dans l’ordre économique mondial. Le « Brussels effect », qui permet à l’UE d’imposer ses normes à l’échelle mondiale, est fragilisé par une dépendance excessive à la régulation et une attractivité commerciale en déclin. Dans un contexte de rivalité croissante entre grandes puissances, l’UE doit maitriser sa coopération avec les États-Unis après que le Conseil du commerce et des technologies succomba à l’arrivé de Trump, tout en équilibrant ses relations avec la Chine. Pour renforcer sa position après l’accord-cadre Turnberry (Ecosse) avec les États-Unis, l’UE est appelée à bâtir un ordre commercial en dehors de l’OMC, avec un marché unique et intégré, à travers des traités internationaux égalitaires en droits de douanes et une intégration accrue de ses voisins dans son espace économique et réglementaire.
Le recul de l’UE face aux États-Unis et à la Chine.
De 2008 (crise des subprimes déclenchée par les États-Unis) à 2023, le PIB des États-Unis a augmenté de 84,83% celui de la Chine de 287,58%. En même temps, le PIB de l’UE a augmenté de 13,56% (mesuré en dollar courant source Banque mondiale). Ce contraste saisissant souligne le ralentissement relatif de la croissance économique de l’UE, mettant en lumière ses défis structurels, démographiques et géopolitiques face à des géants plus dynamiques.
La fin du Brussels effect.
L’arrivée de Trump 2.0 soulève de sérieuses interrogations sur la pérennité du Brussels effect, ce phénomène par lequel les normes réglementaires de l’Union européenne influencent les pratiques mondiales, même en dehors de son territoire. Selon Oxford Law Blog, Trump 2.0 marque un retour en force de la déréglementation américaine, avec des mesures qui affaiblissent les standards internationaux.
D’après le European Policy Centre, plusieurs facteurs convergent : déclin relatif du poids économique de l’UE, montée en puissance des géants technologiques américains, hostilité envers les institutions multilatérales, tarifs douaniers punitifs de 15% imposés par Trump sur les produits européens.
L’UE est poussée à bâtir un ordre commercial en dehors de l’OMC.
L’Union européenne ne doit pas renoncer à l’OMC, mais plutôt construire un ordre commercial parallèle : plus souple, plus normatif, plus stratégique. Elle doit réinventer ses modes de négociation et apprendre à fonctionner de manière autonome. Elle doit multiplier les partenariats ciblés selon ses ambitions, tout en protégeant ses intérêts dans un monde où le multilatéralisme ne peut plus être tenu pour acquis. Ainsi, elle doit imaginer une nouvelle manière de s’affirmer dans le commerce mondial, fidèle à ses valeurs mais armée pour les turbulences de ce siècle.
L’UE doit s’émanciper partiellement des règles traditionnelles et déployer une diplomatie économique plus agile. Elle doit utiliser ses normes environnementales, sociales, sanitaires, comme instruments d’influence et imposer leur respect dans ses accords commerciaux. Les États membres doivent se coordonner pour faire bloc.
Récapitulatif des échanges UE–États-Unis et UE–Chine (2024)
L'Union européenne (UE) entretient des échanges commerciaux importants avec les États-Unis et la Chine. En ce qui concerne les échanges de biens, l'UE exporte vers les États-Unis pour un montant de 584 milliards d’euros, tandis qu’elle en importe 357 milliards, générant ainsi un excédent commercial. Avec la Chine, la situation est inversée : l’UE exporte pour 213,2 milliards d’euros de biens, mais en importe pour 519 milliards, ce qui représente un déficit commercial important.
Pour les services, l’UE importe davantage des États-Unis (482,5 milliards d’euros) qu’elle n’en exporte (334,5 milliards), tandis qu’avec la Chine, elle exporte pour 67,3 milliards d’euros et importe pour 45,5 milliards.
En cumulant biens et services, les échanges totaux entre l’UE et les États-Unis s’élèvent à 918,5 milliards d’euros dans le sens UE vers USA, et à 839,5 milliards dans le sens inverse. Le solde commercial global de l’UE avec les États-Unis est donc positif, à hauteur de 79 milliards d’euros. En revanche, avec la Chine, les échanges totaux atteignent 280,5 milliards d’euros de l’UE vers la Chine, contre 564,5 milliards dans l’autre sens, ce qui se traduit par un déficit commercial de 284 milliards d’euros pour l’UE.
Sur les biens : excédent avec les États-Unis, déficit important avec la Chine ; sur les services : l’UE est nettement importatrice de services depuis les USA.
Accord de Turnberry 27 juillet 2025.
Les Européens obtiennent un plafonnement des droits de douane à 15% avec des exemptions ciblées (aéronautique, semi-conducteurs et équipements technologiques, etc.) en échange d’achats massifs d’énergie américaine (750 Md€) et d’investissements industriels (600 Md€). Washington affiche une victoire stratégique sans concession majeure. Le taux de 15% est à comparer au niveau effectif déjà appliqué en 2023 (ère Biden de 2,2% voitures à 14% produits agricoles).
Depuis l’arrivée de Trump le 20 janvier 2025, le dollar a perdu environ 10 % face à l’euro. Cela facilite l’achat d’énergie américaine, mais l’inflation aux États-Unis devrait s’accélérer et les exportations européennes risquent de ralentir.
Où l’Europe doit-elle aller après cet accord ?
Pour les 600 Md€ d’investissements, l’Europe fait un cadeau aux États-Unis et aux multinationales européennes, alors qu’elle doit investir d’après les pistes de Mario Draghi 800 Md€ pour sortir l’économie européenne de sa « lente agonie ». Comme aux États-Unis, l’Europe devrait imposer les sociétés européennes sur leurs bénéfices mondiaux, y compris ceux réalisés à l’étranger. Une imposition additionnelle aux bénéfices généralement établis par chacun des États membres.
L'Union européenne devrait disposer d'un instrument pour démanteler les transactions transfrontalières sur les plateformes numériques américaines dans le but de les taxer.
Concernant la Chine, l’Europe devrait surveiller de près les investissements chinois, surtout dans les secteurs sensibles (défense, etc.) ; imposer quasi systématiquement des joint-ventures (coentreprises) avec accès aux nouvelles technologies ; instaurer un droit de douane de 15% avec exemptions ciblées et exonération sur les matières premières.
Pour se financer, l’Europe devrait mobiliser l’épargne privée européenne à travers des instruments financiers innovants comme des fonds souverains ou des Livrets réglementés. Il est nécessaire de créer des mécanismes de financement hors dette publique, en s’appuyant sur des garanties communes ou des structures de marché. Une réforme du Pacte de stabilité et de croissance est nécessaire afin de permettre des investissements productifs sans pénaliser les États. Enfin, la Banque centrale européenne doit agir directement dans le soutien à l’investissement, sans pour autant créer de dette directe pour les États, via des Caisses de crédit public pour aider la création de 15 millions de nouvelles petites entreprises sur 4 ans sur les 26 millions existantes.