Marché des capitaux : une intégration toujours inachevée.
Depuis 1957, l’UE ambitionne un marché unique des capitaux, mais l’objectif reste hors de portée. Les marchés européens demeurent fragmentés et plus dérégulés qu’avant la crise de 2008, limitant les options pour les épargnants et nuisant à l’attractivité du continent.
Contrairement aux États-Unis, où les marchés financent 61 % des entreprises, la zone euro reste fortement dépendante du crédit bancaire (79 %). En l’absence d’un budget central stabilisateur, l’UE devra, entre 2025 et 2029, activer trois leviers : régulation plus compétitive, meilleur accès au financement et plus d’opportunités pour les citoyens. L’enjeu : bâtir enfin un marché des capitaux solide et résilient.
Un marché financier européen intégré est un levier pour l’investissement à long terme.
La Commission européenne accélère son chantier d’union des marchés des capitaux. L’objectif ? Compléter l’union du marché unique des biens en renforçant l’intégration financière à l’échelle européenne. Cette démarche vise à rééquilibrer les modes de financement, encore largement dominés par les banques, au profit d’un recours accru aux marchés des capitaux.
Un système financier plus intégré permettrait aux entreprises, notamment les PME, d’accéder plus facilement à des financements à long terme via les marchés. Cela contribuerait à orienter l’épargne européenne vers l’économie réelle et à stimuler les investissements dans des secteurs stratégiques comme la transition énergétique ou le numérique.
Alors que d'autres grandes économies, comme les États-Unis, bénéficient d’un marché des capitaux profond et intégré, l’Europe reste divisée. Pour les responsables européens, combler ce retard est crucial pour renforcer la souveraineté économique du continent et attirer les investisseurs internationaux.
Relance politique autour de l’union des capitaux.
L’union des marchés des capitaux retrouve un nouvel élan, portée par les rapports 2024 de Mario Draghi et Enrico Letta, et la stratégie SIU dévoilée par l’UE en mars 2025.
Pour stimuler l’investissement privé, davantage d’épargne doit circuler dans l’UE. Le rapport Draghi rappelle que 80 % des investissements productifs proviennent historiquement du privé - une tendance clé, d’autant plus avec les fortes contraintes budgétaires des grands États membres, Allemagne exceptée.
L’épargne européenne reste cloisonnée par pays. En Europe, l’épargne demeure majoritairement nationale (Allemagne : 20,2%, France 18%, Espagne : 13,4%, Italie : 11,2%) : 80 % sont détenus sous forme de dépôts bancaires, rarement prêtés au-delà des frontières. Ce “biais national” persistant, plus marqué qu’aux États-Unis, freine l’intégration financière, aggravé par des barrières réglementaires qui limitent les flux transfrontaliers.
En Europe, un marché avec une profondeur moindre, une fragmentation entre pays.
La profondeur d’un marché, c’est sa capacité à absorber de gros volumes de transactions sans faire bouger les prix. Plus une Bourse est liquide, plus les échanges y sont rapides, simples et peu coûteux.
Sur les 133 centres financiers mondiaux, New York reste en tête, suivie de Londres. Hong Kong et Singapour complétant le quatuor de tête. Côté européen, cinq places figurent dans le top 20 du classement GFCI 37, avec Francfort en 11e position. Mais l’Europe reste morcelée.
Cette fragmentation freine le développement des marchés de capitaux. Elle pénalise surtout les PME et les startups, notamment dans la Deep tech. Enrico Letta propose de créer une Bourse européenne dédiée à ces jeunes pousses. Une première étape vers un marché unifié.
La fragmentation financière se traduit par des écarts de coûts d’emprunt entre pays, même pour des profils similaires. Elle a explosé lors de la crise des dettes souveraines, avant de reculer grâce à l’intervention de la BCE (programme OMT). Mais ses effets restent visibles : les ménages et PME paient des taux très variables selon leur pays.
Le secteur bancaire européen souffre aussi de cette division. Les grandes banques américaines comptent plus de 60 millions de clients chacune. Aucune banque européenne ne rivalise. Il faut encourager les fusions entre établissements, petits comme grands, pour bâtir des champions européens.
Un pas important a été franchi avec l’accord entre le Parlement européen et le Conseil de l’UE sur le paquet législatif CMDI (gestion des crises et assurance des dépôts). Il étend les règles de résolution aux petites et moyennes banques, jusqu’ici soumises à des procédures nationales, souvent chaotiques.
Pour contrer la fragmentation, les banques centrales peuvent injecter des fonds publics pour attirer les capitaux privés (effet de "crowding in"). Deux scénarios se dessinent :
- avec un soutien budgétaire fort, la fragmentation disparaît et l’union se stabilise ;
- sans ce soutien, les outils anti-fragmentation limitent les dégâts, mais nécessitent une coopération internationale étroite.
Recommandations : il faut une Bourse unifiée, des banques plus intégrées, des outils monétaires coordonnés… et une régulation centralisée.
En Europe, un financement bancaire prédominant, moins d’investissement direct, épargne plus prudente.
L’Union européenne dispose d’un trésor sous-exploité : l’épargne de ses citoyens. Fin 2023, les ménages européens détenaient environ 35 500 milliards d’euros, soit plus de 79 000 € par habitant. Pourtant, une part importante de cette épargne est investie hors de la zone euro, tandis que les entreprises européennes, notamment les PME, peinent à lever des fonds localement. Résultat : un paradoxe où l’argent est là, mais ne circule pas efficacement vers l’économie productive.
À titre de comparaison, les ménages américains ont épargné environ 825 milliards d’euros en 2023, soit 2 500 € par personne. Mais cette moyenne masque une réalité plus dure : 65% des Américains de la classe moyenne rencontrent des difficultés financières, 46% n’ont pas 500 $ d’épargne d’urgence, et 28% n’ont aucune épargne. En Europe, la situation est plus favorable, mais le potentiel reste mal exploité.
Pour mobiliser cette épargne, il est recommandé de développer des produits d’épargne européens à long terme, avec des incitations fiscales harmonisées. L’objectif : offrir aux citoyens des solutions sûres, transparentes et utiles à l’économie.
Le précédent du PEPP (Plan d’épargne retraite paneuropéen), lancé en 2019, montre les limites d’un produit mal coordonné. Chaque pays a appliqué ses propres règles, les frais variaient selon les banques, et les fonds étaient bloqués jusqu’à la retraite. Résultat : très peu d’adhésions.
Une alternative plus efficace serait de lancer plusieurs livrets d’épargne européens thématiques - climat, numérique, défense, santé, etc. - gérés par des établissements publics spécialisés. Ces livrets offriraient :
- une structure identique dans toute l’UE (taux, plafonds, fiscalité, retraits) ;
- une garantie publique ;
- zéro frais de gestion ou de transfert entre pays ;
- une grande flexibilité pour les épargnants.
Ce système permettrait aux citoyens de choisir librement où placer leur argent, tout en finançant des priorités stratégiques européennes.
L’autre levier essentiel est la réindustrialisation. L’objectif : créer 15 millions de petites entreprises locales, financées par des caisses de crédit public. Ces caisses, présentes dans chaque pays, emprunteraient directement à la BCE pour soutenir l’économie réelle.
L’Allemagne offre un modèle inspirant. Son tissu économique repose sur le « Mittelstand » : 3,5 millions de PME familiales innovantes, souvent financées par un réseau de 500 caisses d’épargne publiques (Sparkassen) et banques régionales (Landesbanken), qui détiennent ensemble près de 2 500 milliards d’euros d’actifs.
En France, la Caisse des Dépôts et la BPI jouent un rôle similaire, mais à une échelle plus réduite. La BPI, par exemple, gère 44 milliards d’euros d’actifs, contre des centaines de milliards pour ses équivalents allemands. Il est temps d’élargir ce modèle à toute l’Europe.
La titrisation. Transformer des prêts en titres négociables : la titrisation fait son retour dans les discussions comme un moyen de doper la capacité de prêt des banques. En transférant une partie du risque à d’autres investisseurs, les établissements financiers peuvent libérer du capital et ainsi accorder davantage de crédits à l’économie réelle.
Présentée dans de nombreux rapports comme un terrain de réforme à la fois technique, consensuel et accessible, la titrisation semblait cocher toutes les cases pour relancer l’ambition d’un grand marché européen des capitaux. Pourtant, sur le terrain, le marché reste embryonnaire. Les intentions sont là, mais la dynamique peine à suivre :
- les actifs titrisés sont majoritairement nationaux (prêts immobiliers résidentiels) ;
- les réglementations varient trop d’un pays à l’autre ;
- les investisseurs institutionnels (fonds de pension, assureurs) sont freinés par des exigences de capital élevées ;
- la prédominance du financement bancaire est augmentée.
Le marché secondaire reste peu liquide, surtout pour les produits complexes, ce qui limite leur revente. Et les pensions non transférables entre États membres freinent la circulation du capital.
Des risques à surveiller :
- risque de crédit : défauts de paiement sur les prêts sous-jacents ;
- risque de remboursement anticipé : baisse des rendements si les prêts sont remboursés trop tôt ;
- risque de liquidité : difficulté à revendre les titres en période de crise.
La Commission privilégie donc une approche prudente, avec des ajustements progressifs. La titrisation ne sera pas une solution miracle, mais un outil parmi d’autres pour construire une véritable union des marchés de capitaux.
Recommandations : il faut canaliser l’épargne européenne vers l’économie réelle, créer des produits d’épargne européens simples et attractifs et réindustrialiser l’Europe grâce au crédit public.
En résumé. L’Europe est loin d’un marché unique des capitaux et de la libre circulation des capitaux.
Aux côtés de la libre circulation des biens, des personnes, de l’établissement et des services, la libre circulation des capitaux figure parmi les piliers fondateurs de l’Union européenne, inscrite noir sur blanc dans les traités. Pourtant, sur le terrain, cette liberté reste largement théorique. Le chemin vers une véritable union des capitaux reste semé d’embûches :
- Financement et capital-risque en Europe :
- fonds propres plus chers en Europe qu’aux États-Unis, en raison d’un marché plus fragmenté ;
- système bancaire inadapté pour financer les start-ups innovantes, surtout celles basées sur des actifs incorporels ;
- manque de capital-risque : les fonds américains lèvent 7 fois plus que ceux de l’UE ;
- moins de licornes : l’UE abrite moins de 15% des start-ups valorisées à plus d’un milliard d’euros ;
- levées de fonds plus faibles : les entreprises européennes lèvent en moyenne 50% de moins que leurs homologues américaines sur 10 ans ;
- marchés boursiers fragmentés : les IPO moins attractives en Europe, poussant les entreprises à chercher des financements à l’étranger.
- Réglementation et intégration des marchés :
- absence de cadre commun d’insolvabilité et de "safe asset" européen freinant l’intégration ;
- réglementation encore nationale : l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) avec un pouvoir limité ;
- progrès lents vers une régulation unifiée, malgré des initiatives récentes.
- Investissement et compétitivité
- SIU (Union des marchés de capitaux) insuffisant pour combler le déficit d’investissement (≈5% du PIB) ;
- disponibilité du capital ≠ principal obstacle : les écarts de taux d’intérêt ne sont pas significativement plus élevés qu’aux États-Unis ;
- faibles rendements attendus : les entreprises n’investissant que si elles anticipent des retours suffisants.
- Limites et recommandations
- SIU utile mais pas une panacée : les obstacles politiques et législatifs restant importants ;
- actions nécessaires au niveau national : harmonisation des régimes fiscaux, bancaires et d’insolvabilité ;
- priorité à la compétitivité en créant une boucle vertueuse entre moins de barrières, plus de rendement et une meilleure régulation.
De 2008 à 2023, le PIB des États-Unis a augmenté de 84,83% celui de la Chine de 287,58%. En même temps, le PIB de l’UE a augmenté de 13,56% (mesuré en dollar courant source Banque mondiale). Ce contraste saisissant souligne le ralentissement relatif de la croissance économique de l’Union européenne, mettant en lumière ses défis structurels, démographiques et géopolitiques face à des géants plus dynamiques.