De la politique monétaire à la politique budgétaire. Dans un discours à Washington le 15 février, Mario Draghi, l'ex-patron de la Banque centrale européenne, a affirmé que le modèle de la mondialisation économique s'est totalement transformé et que la politique économique libérale devra compter plus sur des mesures budgétaires par l'investissement que sur des mesures monétaires.
La démocratie libérale est-elle menacée ? Selon Freedom House, la liberté recule dans le monde pour la 17e année. En Europe, certaines forces politiques remettent en cause les principes clés de la démocrate libérale tels que la protection de l'État de droit, la séparation des pouvoirs, les droits des femmes et des minorités, etc. Plusieurs récits occupent aujourd'hui une place importante dans le discours public et influencent les opinions. La rhétorique populiste cristallise les débats sur l'immigration et les frontières. Une fraction de la population aspire à moins de misère et suit aveuglement les populistes assurant lutter contre les élites corrompues pour faire entendre la véritable voix du peuple. Cette division va dans le temps saper la stabilité de cette démocratie libérale. Les menaces internes sont aussi l'infiltration des organisations terroristes dans une partie de la population. De même, le modèle démocratique européen est remis en question par des acteurs mondiaux totalitaires brossant une mauvaise image de la capacité des démocraties à résoudre les problèmes collectifs et se défendre contre une mondialisation qu'elles ont voulues et qui mine leurs économies.
Il faut maitriser la mondialisation. Une étude fondamentale sur la mondialisation de Dani Rodrick démontre que la mondialisation, la démocratie et la souveraineté d'un État sont trois concepts incompatibles. Seules deux de ces trois notions peuvent être associées.
Les gouvernements des pays européens expliquaient que la mondialisation augmenterait la croissance et la prospérité grâce à une gestion durable de la planète et que les valeurs économiques occidentales se répandraient dans le monde. En réaction à la crise de la mondialisation, le mouvement des Gilets jaunes et la dernière révolte des agriculteurs viennent de freiner cette certitude. Les citoyens européens perçoivent que cette mondialisation a restreint l'espace des décisions collectives, les assurances sociales, la redistribution et les services publics. Ils ne veulent plus sacrifier la démocratie et la souveraineté. Il est donc nécessaire de contrôler la mondialisation.
"La mondialisation a entraîné d’importants déséquilibres commerciaux et les décideurs politiques ont été lents à en reconnaître les conséquences… la politique budgétaire aura tendance à augmenter les investissements publics pour répondre aux nouveaux besoins d’investissement. Les gouvernements devront s’attaquer aux inégalités de richesse et de revenu" Mario Draghi.
La très faible croissance en Europe est due en partie à la politique monétaire de la BCE. Une partie des pays européens ne maitrise plus son endettement. Pour une autre majorité de ces pays, le déficit public n'est pas contrôlé. L'Europe peut-elle en même temps lutter contre les inégalités de richesse et de revenu et se réarmer pour aider l'Ukraine à gagner la guerre ?
Pouvons-nous encore financer les investissements collectifs au niveau de l'Union ? En juillet 2020, l’Union européenne a mis sur pied un plan de relance de 750Md€ (Next Generation EU). Ce plan octroie des subventions (385Md€) et des prêts pour soutenir les réformes et les investissements (338Md€) dans les États membres de l’UE. Ils ont décidé de s'endetter en commun et de rembourser cet emprunt de 2028 à 2058 (30 ans). L'UE doit augmenter ses recettes de 36Md€ par an. L'Allemagne, un des pays les plus libéraux en Europe et d'autres pays de l'UE refusent d'autres emprunts communs européens pour répondre par exemple au programme des États-Unis l'Inflation Reduction Act (IRA). Il est nécessaire de ne plus emprunter et de "regrouper les instruments existants". Pour aider l'Ukraine, les chefs d’État et de gouvernement de l'UE ont approuvé à l’unanimité une aide de 50Md€. Cette aide passera dans le budget pluriannuel européen 2021-2027. La seule réponse du commissaire européen au Marché intérieur pour stimuler la production de l’industrie de la défense de l’UE est la collaboration entre les États membres.
Les citoyens et les entreprises de l’UE ne peuvent prospérer que si l’économie européenne est à leur service. L'Europe ne peut prospérer que si l’économie des citoyens est affectée à des investissements communs.
Pour des fonds citoyens européens réglementés. Tous les citoyens doivent décider de la destination de leur argent. Il faut entraîner les plus riches à placer 2% de leurs revenus par an sur 5 ans. Les autres citoyens pourront décider de la somme à épargner. Ces économies seraient donc affectées à des investissements dans la santé, l’énergie, la défense, etc. ou aux besoins des citoyens de l'UE. Elles seraient réparties en fonctions des pays et des projets, dans un cadre plus résilient et vers une réelle transition économique et sociale : ce serait la création de nouveaux livrets européens d'épargne réglementés. Avec des plafonds de versement, ces livrets seraient garantis et rémunérés. Les nouveaux contrats devraient présenter plusieurs atouts pour les consommateurs : flexibilité, frais de gestion nuls, pas de frais de transfert, avantages fiscaux etc. et une portabilité au sein de l’UE.
Grâce au multiplicateur budgétaire en temps de crise, notons enfin que les investissements publics signifient une rentrée fiscale complémentaire dans chacune des caisses des pays leur permettant de payer les intérêts des livrets et augmenter les aides aux plus modestes. Il faut rappeler que le populisme "est lié à la montée en puissance des inégalités et à la montée d’un désenchantement démocratique" Pierre Rosanvallon.