L’idée maîtresse du keynésianisme est que l’intervention de l’État peut pallier les défaillances des marchés. Cette pensée a durée jusqu'en 1990. Depuis, nous avons connu une nouvelle étape de l’histoire du monde que l’on a appelée "mondialisation". Une génération plus tard, le monde a-t-il complétement changé ?
L'économie de l'UE devrait échapper à la récession mais reste exposée à des turbulences. L'inflation dans certains pays européens est à deux chiffres. Après avoir été lente à réagir contre l'inflation, la Banque centrale européenne BCE augmente les taux d'intérêt à un rythme continu. Les introductions en Bourse sont à l'arrêt. Les actions chutent, les gouvernements prévoient des emprunts records alors que la BCE ne soutient plus les achats des États membres. Il faut sortir des pièges de la faible croissance et de l'inflation et s'attaquer à de grands problèmes tels que le vieillissement et le changement climatique.
L'Europe n'est pas encore sortie de la crise économique, loin de là. Après une forte récession en 2020 et une chute du PIB de 8,3%, elle devrait éviter de peu une récession cette année. La commission européenne a annoncé une croissance de la zone euro de 0,9% pour 2023. Ces prévisions reposent sur des hypothèses selon lesquelles la guerre en Ukraine ne s'intensifiera pas. Il n'y aura pas de fluctuation brutale sur les taux de change, les taux d'intérêts et les prix des matières premières. L'économie résiste un peu mieux mais reste dans une zone de turbulences mondiale et tous les euros-indicateurs sont au rouge.
Les perspectives économiques mondiales. D'après le FMI :"les risques de dégradation des perspectives économiques continuent de dominer … la guerre en Ukraine pourrait s’intensifier et le durcissement des conditions de financement à l’échelle mondiale pourrait accentuer le surendettement. Les marchés financiers pourraient également procéder à des ajustements soudains des prix en réaction à des annonces défavorables concernant l’inflation … Une coopération multilatérale plus étroite est primordiale pour préserver les acquis du système multilatéral fondé sur des règles et pour atténuer le changement climatique par la limitation des émissions et l’augmentation des investissements verts."
Des turbulences sur les marchés financiers. Après avoir été lente à réagir, la BCE continue d'augmenter les taux : "Le Conseil des gouverneurs continuera d’augmenter sensiblement les taux d’intérêt à un rythme régulier et de les maintenir à des niveaux suffisamment restrictifs pour assurer un retour au plus tôt de l’inflation vers son objectif de 2 % à moyen terme." Mais les banques centrales doivent-elles continuer à viser 2% d'inflation ? Avec un euro bas, les marchés financiers risques de connaître un désordre avec des gouvernements européens qui mettent sur le marché de grandes quantités de dettes, alors que la BCE confirme le resserrement de sa politique monétaire. Fin 2022, l'encours total des titres de créances durables dans la zone euro s'élevait à 1 034 milliards d'euros, le double du montant enregistré en 2020. Avec une mondialisation qui recule et un système énergétique ébréché, n'y a-t-il pas un sentiment que l'espace économique européen est en train de se diviser ?
Un épanouissement injustifié des Bourses européennes. Avec la crise du Covid tous les pays européens, par leur endettement extérieur, ont injecté beaucoup d'argent dans les marchés. Cette exubérance peut être expliquée par le fait que l’augmentation des Bourses est tout simplement l’évolution de la quantité d’argent et du volume de dépenses dans l’économie. Aujourd'hui avec une économie européenne en stagnation, une guerre en Ukraine et une forte inflation rien ne semble émouvoir les marchés financiers. Pourquoi ? La Bourse ne finance plus l'économie, elle finance les super-riches : les grandes compagnies pétrolières, les grands groupes de luxes, etc. Une autre explication vient du fait que les sociétés cotées disposent de beaucoup de liquidités qu'elles n'ont pas investis à long terme. Le surplus sera utilisé pour acheter leurs propres actions pour réévaluer leurs valeurs ou redistribuer les dividendes aux grands actionnaires.
Une ère d'anxiété. C'est peut-être la fin de la sérénité financière. En 2022, pour la première fois de l'histoire récente, les actifs risqués tels que les actions, les contrats ou les options ainsi que les obligations d'États baissent fortement. Les investissements privés ainsi que les investissements publics ont pâti considérablement de la hausse des coûts de financement ainsi que de la forte incertitude de la guerre en Ukraine et du niveau très élevé des prix de l'énergie. Les États deviennent de plus en plus endettés. Pour réduire leurs endettements, les gouvernements se lancent dans des réformes structurelles : réforme de l'assurance chômage, des retraites, etc. Toutes ses réformes seront faites pour améliorer les comptes de l'État aux dépens des avantages sociaux. La BCE contrôle de plus en plus les marchés avec les rachats d'énormes volumes d'obligations. Les titres détenus à des fins de politiques monétaires représentaient 65% du total des actifs à la fin de 2022.
Un système financier ébranlé. Habitué à des taux bas, les gouvernements et le système financier prennent conscience des coûts d'emprunt, des coûts du taux hypothécaire et du taux d'usure (taux "contraires aux bonnes mœurs"). Malgré les marges de sécurité importantes les banques paniquent et compriment les prêts immobiliers et les prêts d'entreprises. Les fonds de pensions avec des investissements illiquides subissent des dégâts. Pour la première fois depuis 2004, la Banque centrale européenne a affiché un profit nul et évite une perte potentielle. Derrière cette situation nous avons les profits du système financier. Dans un système super sensible aux pertes, ne faut-il pas changer pour un nouveau système qui reposera moins sur les banques et la Bourse et plus sur les investissements citoyens pour se financer ?
Un abandon d'investissements productifs à long terme pour un enrichissement à court terme. La zone euro s'est installée après la crise financière de 2009 dans un marasme prolongé. Avec une inflation faible et une croissance lente, la part de l'investissement au sens de la comptabilité nationale a reculé dans l'ensemble des pays européens. L'investissement public a connu une baisse importante jusqu'en 2016. De 2019 à 2021, rapporté au PIB, il a augmenté de 0,5 point en moyenne. Pour les investissements verts, l'Europe de demain vient juste de prendre la route.
Les actions climatiques et sociaux sont des enjeux macroéconomiques. On peut rester dans un marché libre et mondialisé avec une dose de keynésianisme ou le contraire. Si l'objectif des marchés financiers reste uniquement gagner de l'argent, en cas de difficultés, la BCE va-t-elle reprendre les achats des obligations d'États et des grandes entreprises et prêter aux banques ou son mandat sera élargi à l'écologie au-delà de la stabilité des prix ?