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Billet de blog 16 septembre 2022

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Entretien de jardins Le conseil d’État s’autorise à réécrire la loi

En 2018, ne comprenant pas un texte de loi, le Conseil d’État en détourne le sens.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

L’entretien des terrains laissés en friches en milieu urbain pose de nombreux problèmes aux communes qui sont souvent soumises aux réclamations de voisins mécontents.

Normalement, les simples querelles de voisinages se règlent au civil et les communes devraient éviter de s’en mêler.

Mais, en 1995, le législateur a décidé de doter les communes d’un nouveau pouvoir de police spéciale, codifié à l’article L 2213-25 du Code général des Collectivités Territoriales :

« Faute pour le propriétaire ou ses ayants droit d'entretenir un terrain non bâti situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines lui appartenant, le maire peut, pour des motifs d'environnement, lui notifier par arrêté l'obligation d'exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état de ce terrain après mise en demeure.

Si, au jour indiqué par l'arrêté de mise en demeure, les travaux de remise en état du terrain prescrits n'ont pas été effectués, le maire peut faire procéder d'office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit.

Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d'application du présent article. »

En l’absence de décret d’application, cet article a été longtemps inutilisé, d’autant que, en 2001, en réponse à une question parlementaire de Monsieur Jacques DENIS, le ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement indiquait : « l'application de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales doit rester compatible avec l'usage de la propriété privée, telle que consacrée par le droit positif, et en conséquence les prérogatives du maire doivent être insérées dans un cadre procédural permettant d'assurer cette compatibilité. »

Mais en 2007, le Conseil d’État a considéré que l'application de l'article L. 2213-25 du code général des collectivités territoriales n'est pas rendue impossible par l'absence du décret prévu en son dernier alinéa.

Toujours sans que le gouvernement ait été capable de s’entendre sur un décret d’application, le Conseil d’État, est à nouveau saisi en 2018 : un propriétaire refuse de payer les travaux exécutés d’office.

Alors que le législateur a bien pris soin de ne pas impliquer la commune dans des conflits de voisinage, en lui donnant compétence pour des motifs d’environnement, d’intérêt général, les rapporteurs au Conseil d’État, qui ont peut-être toujours vécu en milieu urbain, ne comprennent pas ce que représente pour un propriétaire le fait de disposer sur place de locaux lui permettant d’entreposer des outils et matériels d’entretien. Pour eux, si ces locaux sont mentionnés, ce n’est que dans la mesure où ils seraient menacés et on abandonne le motif d’intérêt général pour se limiter à un simple problème de voisinage ! Au passage, le texte de la loi est complètement détourné.

Le Conseil d’État se permet donc de réécrire la loi qu’il n’a pas comprise.

Annexe

399746
Commune de Perpignan  3e et 8e chambres réunies
Séance du 11 juillet 2018  Lecture du 26 juillet 2018
D. Int.
CONCLUSIONS
Emmanuelle Cortot-Boucher,
Rapporteur public

Pour renforcer les pouvoirs de police du maire en matière de protection de l’environnement, l’article 94 de la loi1 du 2 février 1995 relative au renforcement de la protection de l’environnement a introduit dans le code des communes un nouvel article L. 131-8-1, désormais repris à l’article L. 2213-25 du CGCT.
En vertu de celui-ci : « Faute pour le propriétaire ou ses ayants droit d'entretenir un terrain non bâti situé à l'intérieur d'une zone d'habitation ou à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines lui appartenant, le maire peut, pour des motifs d'environnement, lui notifier par arrêté l'obligation d'exécuter, à ses frais, les travaux de remise en état de ce terrain après mise en demeure ». L’article ajoute que : « Si, au jour indiqué par l'arrêté de mise en demeure, les travaux de remise en état du terrain prescrits n'ont pas été effectués, le maire peut faire procéder d'office à leur exécution aux frais du propriétaire ou de ses ayants droit ». Enfin, il précise qu’un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application de l’article.
Ce décret en Conseil d’État n’est jamais intervenu. Mais par une décision du 11 mai 2007, Pierres (n° 284681, Rec., T. p. 669, 960 et 1042) aux conclusions du Président Chauvaux, vous avez jugé que, en dépit de cette absence, l’application des dispositions de l’article L. 2213-25 n’était pas rendue impossible, et que celles-ci étaient donc entrées en vigueur immédiatement.
Sur le fondement de ces dispositions, le maire de la commune de Perpignan a demandé à Mme Madeleine Lacassagne d’effectuer des travaux de nettoyage sur une parcelle cadastrée HL n° 95, située sur le territoire de la commune, dont elle est copropriétaire : il sollicitait ainsi l’enlèvement de broussailles et de déchets qui faisaient selon lui courir un risque d’incendie menaçant les habitations situées sur une zone de lotissement jouxtant la limite nord de la parcelle. Cette demande n’ayant pas eu de suite, le maire a fait intervenir le service départemental d’incendie et de secours, ainsi que les services municipaux, qui ont réalisé une bande pare-feu le long de la limite nord de la parcelle. A la suite de ces travaux réalisés d’office, il a adressé à Mme Lacassagne un titre exécutoire de 1 100 euros correspondant aux dépenses exposées pour les besoins de ceux-ci.
Mme Lacassagne a demandé au tribunal administratif de Montpellier d’annuler ce titre exécutoire, en vain. Mais elle a obtenu gain de cause devant la cour administrative d’appel de Marseille, qui a annulé le jugement du tribunal et a accordé à Mme Lacassagne la décharge de l’obligation de payer la somme mise à sa charge.
Pour statuer en ce sens, la cour a relevé, d’une part, que la parcelle détenue par Mme Lacassagne était dépourvue de toute construction, et d’autre part, que, si elle jouxtait dans sa partie nord une zone de lotissement, il n’y avait, d’après le plan cadastral et les photographies versées au dossier, aucune habitation située à moins de 500 mètres des autres limites de la parcelle. Elle en a déduit que la parcelle litigieuse ne pouvait pas être regardée comme étant située à l’intérieur d’une zone d’habitation au sens de l’article L. 2213-35 du CGCT et que le titre exécutoire litigieux était, dès lors, dépourvu de fondement légal.
A l’encontre de cette motivation, la commune de Perpignan soulève deux moyens qui nous paraissent fondés.
(1) Le premier, d’intérêt modeste, est tiré de ce que la cour a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que, s’agissant des limites autres que nord de la parcelle, aucune habitation n’existait à moins de 500 mètres.
Devant les juges d’appel, la commune avait produit une photographie aérienne tirée du site Google Maps, ainsi qu’un plan cadastral, dont il ressortait que des habitations isolées étaient situées à moins de 500 mètres des limites est, sud et ouest de la parcelle litigieuse. Ces données étaient confirmées par une photographie de l’institut géographique national qui avait été versé au dossier par Mme Lacassagne elle-même. En affirmant le contraire, la cour a pris sur les faits de l’espèce un parti qui n’est pas défendable.
(2) Le second moyen que vous pourrez accueillir est tiré de ce que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que le maire ne pouvait faire usage des pouvoirs qu’il tient de l’article L. 2213-25 du CGCT qu’à l’égard de parcelles entourées, en tous points et de manière immédiate, d’habitations.
La cour, en effet, nous semble avoir perdu de vue que l’article L. 2213-25 permet au maire d’agir dans deux hypothèses : soit lorsque le terrain non bâti est situé à l'intérieur d'une zone d'habitation, soit lorsqu’il est situé à une distance maximum de 50 mètres des habitations, dépendances, chantiers, ateliers ou usines. Il nous paraît acquis, en effet, que les termes « lui appartenant » qui suivent cette énumération se rapportent au « terrain non bâti » qui apparaît en tête de phrase et non aux « habitations, dépendances, chantiers, ateliers et usines » qui sont mentionnées à la fin de celle-ci. Car d’une part, un tel rattachement nous paraît syntaxiquement possible compte tenu de la construction du début de la première phrase de l’article L. 2213-25 qui viserait sinon « un terrain » de manière indéterminée, sans qu’il soit expressément dit qu’il s’agit d’un terrain appartenant au propriétaire à la charge duquel une obligation est mise.
D’autre part, la logique du texte est de permettre au maire d’agir dans un but de police lorsqu’un danger existe qui menace l’environnement : on ne voit pas, dans cette perspective, quel motif justifierait que de tels pouvoirs ne puissent être exercés qu’en cas de danger menaçant les « habitations, dépendances, chantiers, ateliers et usines » appartenant au propriétaire du terrain, à l’exclusion de ceux détenus par d’autres. Pour le dire autrement, l’objet de la loi n’est pas de protéger le propriétaire défaillant contre lui-même, mais la collectivité contre les risques que celui-ci fait peser sur elle. C’est d’ailleurs ainsi que le ministre de l’intérieur interprète le texte, ainsi que l’illustre une réponse ministérielle à une question à M. Masson, sénateur, du 20 juin 2013 (n° 05038, JO Sénat, p. 1872).
Enfin, les travaux préparatoires confirment cette lecture : dans son rapport devant la commission de la production et des échanges de l’Assemblée nationale (n° 1908), M. Jacques Vernier, député, indiquait ainsi que le dispositif, issu d’un amendement parlementaire, était « destiné à obliger les propriétaires de terrains non bâtis situés à l’intérieur ou à proximité d’une zone d’habitation à entretenir ces terrains pour éviter qu’ils ne constituent une atteinte à l’environnement ». Au cours des débats, il a été indiqué à nouveau que l’objectif était de « renforcer la législation actuelle (…) en encourageant les maires à lutter contre les friches et à nettoyer les abords des hameaux ».
En l’espèce, la cour n’a statué que sur la première des deux branches de l’alternative ouverte par la loi : elle a considéré que la parcelle litigieuse n’était pas située à l’intérieur d’une zone d’habitation. Mais elle n’a rien dit de la seconde branche : celle qui permet au maire d’agir lorsque la parcelle est située à une distance maximale de 50 mètres d’habitations.
Il ne fait aucun doute à nos yeux que la cour ne pouvait pas se dispenser de cette recherche, alors que la commune faisait valoir en défense que la parcelle de Mme Lacassagne jouxtait directement une zone de lotissement comportant de nombreuses habitations et qu’elle avait produit plusieurs photographies montrant que celles-ci se situaient en limite immédiate des broussailles laissées libres de croître sur la parcelle non entretenue.
Nous vous invitons donc à accueillir le moyen d’erreur de droit dont vous êtes saisis. Par ces motifs, nous concluons à l’annulation des articles 1 et 2 de l’arrêt attaqué, ainsi que de l’article 3 de cet arrêt en tant qu’il vise Mme Lacassagne, au renvoi de l’affaire, dans cette mesure, devant la cour administrative d’appel de Marseille, à ce que Mme Lacassagne verse à la commune de Perpignan une somme de 3 000 euros au titre de l’article L. 761-1 du CJA et au rejet des conclusions présentées par Mme Lacassagne au même titre.

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