« On est français, Théo est français, il n’est pas africain. Il sait qu’il est noir oui, mais il est français. Ils sont français. Ceux qui sont nés ici, qui ont grandi ici, ont appris l’histoire française, ils sont français. On pourrait carrément dire pour qu’on comprenne bien les choses, ils sont Blancs. » A dit Éléonore Luhaka. Merci Madame.
A regarder absolument. Même en vacances, même si on croit qu’on n ‘a pas le temps, tellement c’est important. Et faites circuler...
Les mots sont importants. Très importants. Tous les mots.
avec
Seydi Ba, avocat ;
Héléna Berkaoui, rédactrice en chef du Bondy Blog ;
Samia El Khalfaoui, tante de Souheil El Khalfaoui tué par la police à Marseille (Bouches-du-Rhône) en 2021 ;
Éléonore Luhaka, sœur de Théo Luhaka, victime d’un crime policier en 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
13’48 « Souvent, quand j’interviens, c’est spontané. C’est toujours dur et de « replonger dedans ». mais c’est notre réalité, c’est notre quotidien. Samia et moi ne nous connaissions pas, on s’est connu au Tribunal. Elle est venue au procès de mon frère. Samia et moi on est des sœurs. Pourtant on n’a pas le même père ni la même mère. On ne se connaissait pas mais on est des sœurs. Sur un point. On se comprend très bien. On a les mêmes cicatrices. Harry Potter on le reconnaît par rapport à sa cicatrice, nous vous nous reconnaissez, par rapport à ce qui a été fait. Et qui nous a blessées, c’est l’Etat. On peut en parler pendant des heures et des heures. Malheureusement tant qu’on n’est pas sous les projecteurs, tant qu’on n’est pas là, on peut compatir, on peut avoir de l’empathie, mais qu’est-ce qu’on fait pour stopper ?
14’ 43 Moi j’ai grandi vite. Alice au Pays des merveilles et finalement, je vais à l’école, j’apprends des choses. Il y a des trucs qui se disent qui me dépasse.
On est français, Théo est français, il n’est pas africain. Il sait qu’il est noir oui, mais il est français. Quand on lui parle de nourriture, -qu’est-ce que vous mangez des trucs bizarres-… Ils sont français. Ceux qui sont nés ici, qui ont grandi ici, ont appris l’histoire française, ils sont français. On pourrait carrément dire pour qu’on comprenne bien les choses, ils sont blancs. Puisque les Français sont souvent assimilés à Blancs. Les petits qui ont grandi ici, comme disent nos parents. « Vous les Blancs », quand on va en Afrique on est des Blancs. On n’est pas blancs. Quand on est ici on est des Noirs. Ce qui veut dire qu’il y a une identification qui est faite, « jeunes des quartiers ». Je suis désolée, ils sont Français. Être français c’est quoi ? C’est consommer français, parler français, penser comme un Français. Donc on a des privilèges qu’on s’octroie quand on va ailleurs, on se comporte comme des Français. On veut et on cherche des choses.
Au final, Liberté, Egalité, Fraternité on l‘intègre. Tant qu’on n’a pas de souci, on peut y croire. Mais une fois qu’on est touché, on n ‘y croit plus pareil. Et à un moment la Justice elle met un bandeau et ce bandeau a un sens. C’est pour ça que je dis que moi, au travers de mon frère, j’ai une grosse désillusion. J’ai eu beaucoup de confiance dans le système -à mon insu- beaucoup d’attente du système. Après ce qui s’est passé et comment ça s’est passé, je pense que même si j’en parle, vous ne pouvez pas le comprendre. Parce que c’est une réalité qui met à vif. C’est pour ça que je dis, OK j’ai compris. »
(…)
40 » Moi j’aimerais juste dire que les mots ont un sens. Je rejoins complètement ce qu’a dit Samia. Quand on parle de « violences policières » il y a un gros problème. On n’est pas dans le même tribunal. Ce sont des crimes policiers. Quand il y a un mort, c’est un crime. Dire « violence » c’est déjà atténuer quelque chose de très grave. Quand on porte l’uniforme on a une responsabilité. Donc, bien mettre les mots, au bon endroit. Ce sont des crimes policiers, et pas des violences policières. Quand un professeur tabasse un élève, il est hors cadre. Il a le costume et il doit avoir les épaules et la tête qui va avec. Donc, remettre les termes au bon endroit. De revenir à chaque fois, j’ai un sentiment d’ippuissance, par rapport à l’affaire de mon frère. Moi j’ai besoin d’être dans l’action, de mettre des choses en place. Donc je forme les jeunes à répondre. Comment désamorcer quelque chose. Comment rester sur une zone pacifique. Comment ne pas déborder. Entre ce qu’on projette de faire et ce qu’on veut faire parfois on n’a pas le temps d’agir. Il y a plein de gens qui sont morts ou qui sont blessés ou oubliés. Donc ma réponse face à ce vide, face à ce blanc, face à cette injustice, c’est de mettre des mots. De quelle manière : je forme, j’accompagne. Tu veux répondre et tu n‘as pas le costume adéquat, tu te tais. Tu vas voir une personne qui a le costume. Tu dois prendre sur toi, et apprendre à gérer tes émotions. Ensuite, c’est aussi créer des parcours. Tu ne trouves pas ta voie dans ce quiest proposé, viens on va créer ton menu. Accompagner, former. Ce que je fais vraiment, c’est écouter, j’utilise mes oreilles, mes compétences, pour les mettre à la disposition des parents, des familles, auprès des enfants. Au-delà du constat, il y a la proposition. On construit ensemble des parcours pour pouvoir entre guillemets, être armé au moment de ça. Éléonore Luhaka, sœur de Théo Luhaka, victime d’un crime policier en 2017 à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis).
42’ « Je pense que si on a tous collectivement une responsabilité, c’est de veiller à stopper cette violence atmosphérique. On est dans un monde où il y a une radicalisation des gouvernements ; il y a un racisme décomplexé qui s’immisce dans tout, dans toutes les discussions qu’on peut avoir, et il ne faut pas qu’on se dise « bon ben c’est comme ça ». En fait je pense qu’il faut à chaque fois qu’on est face à un mot qui est employé de manière inadéquate le rappeler. C’est essentiel. Je pense que c’est collectivement qu’on stoppera les choses. Et c’est par ces petites actions du quotidien -militer sert à quelque chose et c’est pour ça que je milite-. Après la mort de Nahel, on a beaucoup milité. On est allé sur les plateaux, on est allé dans la rue, on n’a pas lâché. L’année qui a suivi, il n’y a eu aucun mort pour refus d’obtempérer. Parce que malgré tout, en fait, on leur fait peur. Et ça il faut se rappeler que le peuple a cette puissance-là. Ça ne viendra pas d’en haut, puisqu’en haut, ce n’est pas possible en ce moment, comme vous le savez tous, ni à l’Assemblée, mais ça peut monter d’en bas. Et j’espère qu’on sera beaucoup ensemble par le bas. » Samia El Khalfaoui, tante de Souheil El Khalfaoui tué par la police à Marseille (Bouches-du-Rhône) en 2021
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