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En 2004, invité à participer à la rencontre annuelle des Belles Latinas à Lyon, je programmai un "intertexte collectif" autour de la légende de Faust avec les élèves du prestigieux lycée Édouard Herriot. Gérard Wormser, docteur en philosophie et professeur à l'École Normale Supérieure de Lyon, fondateur de l'association Sens Public (revue électronique plurilingue et maison d'édition créées à Lyon en 2003), m'aida à guider les élèves dans l'écriture électronique de cet Intertexte collectif expérimental. Toutefois, ce ne fut que l'année suivante, dans le Manifeste pour une nouvelle littérature? présenté dans le stand de Sens Public au Salon du Livre (Paris 2005), parallèlement à l’édition SP de La Société des Hommes Célestes, qu'il a été question d'une formalisation conceptuelle de l'Intertexte en tant que genre post-romanesque.
La Société des Hommes Célestes (Un Faust latino-américain) est un ouvrage tissé avec des centaines de citations de Faust classiques, publié sous la rubrique "Intertexte". La langue de base est le français, mais par le biais des citations des textes faustiens originaux le texte s'ouvre constamment au plurilinguisme. Le livre fut édité sur papier et imprimé en Espagne sous la supervision de Chantal Waszilewska et d’Émilie Tardivel, alors secrétaire de Sens Public. La beauté de la couverture et la configuration du livre, conçues par le peintre péruvien Herman Braun-Vega, retinrent l’attention du Salon du Livre et il fut placé dans la salle réservée aux plus beaux ouvrages. Simultanément, grâce aux nouvelles technologies, le texte commença à émerger dans une "version électronique" où les citations devinrent "actives". Le lecteur n'est plus obligé d’aller les chercher en bas de page ou à la fin du livre, mais il peut accéder immédiatement, pendant sa lecture sur support numérique, aussi bien au texte original de la citation qu'à son hypertexte (ouvrage, langue et édition d'origine). La version électronique, à la charge de Chantal Waszilewska, n'a été complètement achevée que pour Le Château de Méphistophélès ou L'Examen de Faustologie, farce qui clôt l'œuvre. "Clore" n'est pas le verbe à utiliser dans le cas de La Société des Hommes Célestes car, en tant qu'Intertexte, le livre a pour vocation d'être toujours ouvert au lecteur-écrivain. Celui-ci peut, en s'appuyant sur les facilités offertes par le support numérique et par l'ajout de nouvelles citations faustiennes, participer à l’évolution d'une œuvre qui s'inscrit dans la longue tradition faustienne, initiée en 1583 par le Volksbuch von Doktor Johannes Faustus, première transcription littéraire de la légende du Docteur Faust, légende à la fois périodiquement enrichie et perpétuellement inachevée. La version en espagnol du livre -La Sociedad de los Hombres Celestes (Un Fausto Latinoamericano)- n’existe pour le moment que sur papier. Il ne s’agit pas d’une simple traduction du texte français, mais d'une "traduction intertextuelle", laquelle implique des modifications parfois très significatives du texte original. Toutefois, l’axe du livre, dans ses deux versions, est le même : une fresque de l’éducation occidentale au XXe siècle, depuis le kindergarten jusqu’au doctorat… en faustologie, bien sûr.
En mars 2006, la présentation de La Société des Hommes Célestes eut lieu à la Maison de l'Amérique Latine à Paris, puis dans les salons de l'ambassade du Chili en France (mai 2006, Hernán Sandoval, ambassadeur; Raúl Fernández, responsable culturel), avec la participation de Herman Braun-Vega, du journaliste de Radio France Internationale, Fernando Carvallo, de Gérard Wormser et de Sophie Rabau, professeure de littérature comparée qui m'avait préalablement invité à donner une conférence à la Sorbonne Nouvelle sur La Guérison et écrit un article sur le sujet, publié par l'Université Stendhal de Grenoble. Dans le public invité à l'ambassade se trouvaient aussi Julia Peslier, docteure en littérature, spécialiste de faustologie (Université Paris VIII, Vincennes Saint-Denis), et Alejandro Canseco-Jerez, professeur de littérature latino-américaine à l'université Paul Verlaine de Metz et à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris. Deux mois plus tard le livre fut présenté en Espagne (château de Valderrobres, Aragón, juillet 2006), conjointement à la rétrospective de Herman Braun-Vega, que je définis dans l'un de mes essais comme "maître de l’interpicturalité", terme -l'interpicturalité- dérivé de celui de l'intertextualité littéraire. En effet, ce que je tentais au niveau de la littérature, d'autres artistes le tentaient aussi dans leurs propres disciplines. Ainsi, Braun-Vega "cite" souvent dans ses tableaux les grands classiques de la peinture : Velázquez, Rembrandt, Rubens, Ingres, Goya, Gauguin, Cézanne, Picasso, etc. Des œuvres comme Double éclairage sur Occident avec des emprunts à Velázquez et à Picasso, La leçon à la campagne où Rembrandt est cité, ou bien le triptyque ¿La realidad es así?, conçu autour de Goya et Picasso, montrent que d'autres artistes d'avant-garde cherchent à renouer avec le courant central du classicisme et à sortir des formes stéréotypées et dévitalisées de l'art et de la littérature de notre époque.
Plusieurs membres de Sens Public et des spécialistes présents au château de Valderrobres donnèrent des conférences sur la signification de l'intertextualité (Ingeburg Lachaussée, germaniste, professeur en classes préparatoires, maître de conférences de philosophie politique à Sciences Po), de l'interpicturalité (Madeleine Vallette-Fondo, Maître de conférences à l'Université de Paris-Est, Marne-la-Vallée), et de l'intermusicalité (Margarita Celma, musicologue, Directrice Coral Matarranya), le cinéaste Yann Kilborne (Maître de conférences à l’Université Bordeaux-Montaigne) prolongeant ces réflexions vers le cinéma. De toute évidence, l'apparition de l'Intertexte comme nouvelle forme narrative post-romanesque n'est donc pas un phénomène isolé des autres pratiques artistiques mais, bien au contraire, elle fait partie d'un mouvement de renouveau de la culture contemporaine au sein duquel le multiculturalisme, le plurilinguisme et l’échange de principes esthétiques et de techniques est déterminant...
(Le lecteur trouvera l'intégralité du texte sur roberto-gac.com et sur sens-public.org )