1996. J’ai 16 ans.
On écoute la radio, ma mère et moi, les informations. Affaire Dutroux.
Nous parlons sur le son de la radio.
Arrêt sur image au milieu d’une phrase que je dis… Un long silence.
Des images viennent de passer furtivement dans ma tête.
Je regarde ma mère droit dans les yeux : « il s’est passé quelque chose quand j’étais en maternelle, avec François (l’instit) ? »
Ma mère « oui je ne sais pas trop, Sandrine (la mère d’une copine) m’a dit qu’il avait un comportement bizarre avec toi, d’ailleurs c’est pour ça que t’es passé directement en primaire avec Evelyne (autre instit, autre école) »
Je ne suis jamais vraiment aller plus loin. Mais j’ai ces images très bizarres, très furtives avec une envie très forte de vomir et un dégoût profond de moi-même : je devais montrer ma petite culotte devant toute l’école et tous les jours elle devait être différente, sauf qu’un jour je n’ai pas de petite culotte. Je sais que tout à l’heure je devrai soulever ma jupe pour montrer la culotte que je n’ai pas et je suis très mal avec ça.
1997-98-99... J’ai 17 ans, 20 ans.
Je fais mes études, je travaille.
Je me crois cultivée, moderne, jeune.
Je me sais moche, vaguement intelligente. Je n’ai que mon esprit pour briller alors je me contente de peu question relation « amoureuse ». Les hommes qui me plaisent ou m’attirent ne sont pas pour moi.
Je crois alors qu’être in, à la page, ultra moderne c’est avoir une sexualité débridée, d’accepter les jeux tordus en me faisant croire que j’en fait partie activement, que j’en suis créatrice, que je ne subis rien. Je pense que c’est le comble du féminisme, de la liberté sexuelle. Je ne vois pas que je suis le dindon de la farce.
Alors j’accepte toute sorte de situations tordues.
Un grand con de 20 ans mon aîné quand je n’en n’ai que 18, qui m’a fait croire qu’il m’initiait au plaisir tantrique quand il ne faisait qu’ajouter à son tableau de chasse une proie bien jeune. Limite de la pédophilie.
De plaisir il n’est pas vraiment question. De douleur physique oui, mais c’est la face cachée du modernise, le prix à payer pour être de son temps : avoir mal au ventre des coups de butoir dans le vagin.
Quelle naïve !
J’ai sucé des queues aux goût et aux odeurs intenables parce que je n’ai pas su dire non.
J’ai été baisée sur un rebord de cuisine parce que je n’ai pas pu dire non.
J’ai dû prendre la pilule du lendemain parce que je n’ai pas su dire non.
Je crois même que je ne savais pas que je pouvais dire non.
Premier mariage. A l’étranger. Macho latino.
Première pénétration anale plutôt violente. Douleur. Aucune excuse.
Je ne sais pas dire non.
Enceinte.
Violences.
Je pars.
Deuxième mariage. Encore un plus vieux de 22 ans.
10 ans de mariage. 13 ans ensemble.
Sordide mais je n’en sors qu’aujourd’hui.
13 ans de manipulation à être dressée comme un petit animal.
Au début une sexualité très attentive, très délicate, attentionnée. Je découvre des plaisirs inconnus. Puis rapidement au bout de 4-5 ans, il a tellement soif de sexe que je fais semblant pour avoir la paix. Sexe Bonobo pour solutionner toutes les tensions. Il a des besoins lui, il doit se vider. Je deviens un deversoir à foutre, une outre à sperme.
J’en viens à jouer : combien de semaines je peux tenir sans orgasme à raison d’un rapport presque par jour ? Mais surtout sans qu’il s’en aperçoive.
Je déteste les fellations. Il adore ça. Je cède. C’est toujours trop long, j’en ai mal dans la mâchoire. J’ai horreur du goût du sperme.
Et je suis toujours incapable de dire non.
L’angoisse d’aller au lit quand vient l’heure de se coucher. C’est ça le viol conjugal ?
Il me tient dans son filet de violences et manipulations psychologiques.
Il faudra un énorme burn-out, deux tentatives de divorce et qu’il s’en prenne férocement à ma fille pour que le rideau tombe et que je m’aperçoive de tout.
Grande claque !
Divorce en cours et cette fois sans appel.
Je suis pourtant une femme élevée dans un milieu intellectuel, fille d’artistes qui ont fait le choix de quitter la capitale pour élever des chèvres. La parole est ouverte, possible. J’ai fait des études. J’ai vécu sous d’autres cieux.
Je suis même surdouée ! HPI.
Je n’ai jamais appris à me respecter. A compter pour moi-même. A dire non quand c’est non.
La peur. La crainte. La trouille.
Le jugement. Le regard des autres. Le qu’en dira-t-on ?
Malgré moi, malgré ma mère, je poursuis le modèle de la femme sacrificielle qui n’existe qu’à travers la réussite du couple, de l’Homme. Celle qui bosse 8h par jour au boulot, 8h par jour pour sa famille et qui doit encore bosser 1h par nuit pour assouvir les désirs sexuels de Monsieur.
Et putain, j’ai pas su transmettre un autre modèle à ma fille !!!
Me too ?
Me nous toutes.
Je ne crois pas connaître une femme qui se soit toujours respectée, qui n’ai pas lâché une fois pour avoir la paix, un petit temps de répit.
Messieurs vous avez quelques millénaires d’existence où vous ne vous êtes pas beaucoup interrogés sur la possibilité de faire les choses. Vous les avez faites quand vous en aviez envie.
Je vais moi aussi dorénavant faire quand et comme j’ai envie. Il est fort possible que ce soit sans vous.
Pourquoi mon identité de fillette, de fille, de jeune fille, de femme vous a fait croire que vous pouviez faire de moi le jouet de vos désirs ?
Pourquoi cette société m’a fait croire que j’étais un jouet ?
Pourquoi suis-je construite sur l’idée qu’un mec a toujours plus raison que moi ?
Pourquoi les mecs se comportent-ils très souvent comme si j’étais inférieure à eux, moins intelligente, moins capable ? Et pourquoi parfois je crois qu'ils ont raison ?
Un jour une amie m’a gentiment dit « tu sais pour qu’il y ait un bourreau il faut que quelqu’un accepte de jouer le rôle de la victime ».
Y-a-t-il une place pour être ni victime ni bourreau ? Je ne veux pas être aussi abrutie que ces messieurs mais j’en ai assez d’être la victime.
Le féminisme c’est pas leur en vouloir. Je veux juste exister sans être mieux, pire ou moins qu’eux. Exister pour moi. Être humain.