La fin du timbre rouge révèle peu à peu ses conséquences, 10% des volumes (700 millions d'envois prioritaires en 2021) en moins avec les pertes financières qui vont avec, des tournées en alternance que la direction de La Poste continue à nier malgré les documents qu’elle a elle-même fournis, une saignée sans précédent dans les effectifs, et des avions qui continuent à voler quotidiennement pour les colis express du groupe La Poste, bref un sans-faute en matière d’injustice sociale et écologique.
Ajoutons à cela un véritable fiasco de communication de la direction de La Poste qui a bien du mal à dérouler son « narratif » depuis quelques jours.
Mais la fin du courrier prioritaire est un coup qui vient de loin. Annoncée en plein été 2022 à des syndicats assez stupéfiés de la chose, sa mise au point remonte en effet un an avant et a été délibérément cachée au Conseil d’administration de La Poste où siègent 7 représentants du personnel.
En effet la lecture du compte-rendu de la commission de surveillance (p.391) de la Caisse des Dépôts de septembre 2021 a de quoi laisser planer un doute sérieux sur la probité de Mr Lombard concernant le service public postal, son avenir et les conséquences sur les personnels de La Poste.
Rappelons que La Caisse des Dépôts détient 65% du capital de La Poste et entend bien placer un de ses dirigeants à la tête du groupe.
La commission de surveillance de la Caisse des Dépôts est composée de 3 députés et 2 sénateurs nommés par les présidents de chambre pour « surveiller » les opérations de la plus grande institution financière publique du pays.
Le 22 septembre 2021, Eric Lombard, directeur général de la Caisse des Dépôts s’y exprime ainsi :
« …Derrière la compensation qui a été négociée avec l’État au cours des derniers mois, il y a une évolution du modèle de distribution du courrier qui est extrêmement profonde, avec une modification de l’organisation du courrier que l’on va garder six jours sur sept, mais pas tous les jours dans les mêmes rues. En effet, il y aura une organisation, grâce à l’intelligence artificielle, permettant d’aller là où il y a des lettres à remettre ou à prendre dans les boîtes, puisque désormais on prend les lettres dans les boîtes. Il y aura une revue du J+1 dont le cadre est posé, mais qui n’est pas finalisé et qui le sera dans les mois qui viennent.
Je vais redire ce qu’a dit Philippe Wahl. Derrière cette évolution, il y a implicitement une évolution des effectifs à la baisse, qui est d’ailleurs dans le plan d’affaires qui vous est présenté. Tout cela va être profondément modifié. Simplement, il y a un accord implicite qui fait que l’on n’en parle pas au Conseil d’administration de La Poste. Il n’y a pas d’élément chiffré mais cela se fait sans licenciement et sans plan social. »
- Gilles Carrez (député) : Excusez-moi, mais parle-t-on, au Conseil d’administration de La Poste, du J+1, sans parler des effectifs ?
- Lombard, Directeur général du groupe Caisse des Dépôts : Oui, bien sûr, et nous en parlerons de façon de plus en plus précise. De toute façon, les postières et les postiers savent très bien que le courrier diminue, parce qu’ils le voient tous les jours dans leurs mallettes. Ils souhaitent légitimement que cela se fasse dans le respect des personnes, et en ayant un modèle économique qui puisse perdurer. »
Eric Lombard rappelle tout d'abord que l’État a décidé de compenser depuis l'été 2021 une partie du déficit du service universel du courrier à hauteur de 520 millions d'Euros par an pendant 5 ans, ce qui a été validé dans le projet de loi de finance 2023.
Le Directeur de La Caisse des Dépôts explique ensuite très bien ce que la direction de La Poste a eu tant de mal à démentir depuis quelques jours « une modification de l’organisation du courrier que l’on va garder six jours sur sept, mais pas tous les jours dans les mêmes rues ». Ce qu’on avait démontré avec les présentations du projet aux syndicats.
Il expose aussi une « évolution des effectifs à la baisse » que le syndicat SUD PTT a évaluée à au moins 20 000 personnes en appliquant une simple règle de trois sur les tournées « pas tous les jours dans les mêmes rues » comme le dit si bien Mr Lombard. Le député Gilles Carrez à qui on ne la fait pas pose d’ailleurs une question très intéressante dans la foulée.
Ces informations, vitales pour l’avenir de La Poste, de ses missions et de son personnel ont donc été volontairement cachées à l’organe dirigeant de La Poste, ou plutôt aux 7 représentants du personnel (2CFDT, 2CGT, 2 SUD, 1 FO, 1CGC) qui y siègent puisque 13 administrateurs représentent l’État et la Caisse des Dépôts, donc dans la confidence.
Nous ne sommes hélas pas vraiment surpris, Philippe Wahl membre du comité directeur de l’Institut Montaigne et Eric Lombard plus préoccupé par la croissance internationale que par la satisfaction des besoins sociaux ne sont pas des amis du service public. Malgré des discours pétris d’éthique et de responsabilité sociale, ils entendent gérer le patrimoine public et ses instruments comme s’il s’agissait d’une multinationale.
Mais la dissimulation d’une information stratégique vitale remet cependant en cause cette belle chorégraphie et pose la question de la pérennité de ces dirigeants à la tête de groupes publics. Ils ont en effet une responsabilité première devant la collectivité et les quelques 240 000 agents du groupe La Poste, premier employeur après l’État. Nous posons clairement la question de leur permanence dans leurs fauteuils de dirigeants.
À l’heure où le Directeur Général de la Caisse des Dépôts est auditionné par les commissions des finances de l’Assemblée Nationale et du Sénat ce mardi 10 janvier 2023, il serait bon de savoir s’il est digne d’un poste normalement dédié à l’intérêt général. S’il prend de telles libertés avec le premier service public de proximité, comment gère-t-il la plus grande institution bancaire du pays et ses 834 Milliards de produits d’épargne règlementée ?
Concernant le groupe La Poste, les deux contrats, l’un avec l’État sur les missions de service public et l’autre avec l’État et l’Association des Maires de France en cours d’élaboration devront être revus à la loupe et au cutter.
Il ne fait aucun doute que La Poste, la Caisse des Dépôts et le gouvernement veulent la peau du courrier. Promis à une décroissance progressive sur une dizaine d’années, ils lui ont préféré une bonne dose d’arsenic avec la fin du timbre rouge.
La présence postale, humaine avec ses factrices et facteurs ou dans les quelques 6000 bureaux de poste restants n’a jamais été aussi menacée. Nous appelons à un large débat public sur le sujet, les affaires du service public ne doivent pas être laissées au monde des affaires.