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Arabo-nautes : les Arabes dans l’espace, entre nostalgie et puissance stratégique
Par Gamal Abina
Longtemps marginalisée, l’aventure spatiale arabe connaît un nouvel élan. De la pionnière société de fusées libanaises dans les années 1960 au programme martien des Émirats arabes unis, en passant par les satellites algériens et égyptiens, l’espace devient un terrain d’innovation, de souveraineté et d’influence.
« Hier, on regardait les étoiles. Aujourd’hui, ce sont elles qui regardent vers nous. »
Cette formule d’un ingénieur de l’Agence spatiale algérienne résume une transformation silencieuse mais profonde : le basculement des ambitions arabes vers les hautes sphères de la technologie orbitale. Loin des clichés d’une région figée dans ses conflits terrestres, plusieurs pays arabes investissent désormais l’espace. Avec des trajectoires distinctes, mais un objectif commun : être présents dans un monde où l’accès à l’espace conditionne le pouvoir sur Terre.
Liban, 1960 : le rêve oublié du Cèdre
C’est au Liban que l’histoire commence. En 1960, dans le calme relatif d’un pays encore épargné par les guerres civiles à venir, Manoug Manougian, jeune professeur de physique à l’université Haigazian, fonde avec ses étudiants la Lebanese Rocket Society. En quelques années, plus de dix fusées expérimentales sont lancées, dont la plus ambitieuse, Cèdre IV, atteint 145 km d’altitude.
Ce fut un exploit scientifique dans un pays sans ministère de la Défense ni ambition stratégique spatiale. Mais ce rêve scientifique est vite rattrapé par la géopolitique : les pressions diplomatiques, la guerre de 1967, puis la guerre civile font taire les ambitions orbitales du Cèdre. Ce projet restera dans la mémoire comme une utopie sacrifiée.
Égypte : de Nasser à Tiba-1, la lente affirmation orbitale
L’Égypte fut l’un des premiers pays du Sud à annoncer une ambition spatiale, dès 1958, dans le sillage du nationalisme de Gamal Abdel Nasser. Mais ce n’est qu’en 1998 que Nilesat 101 concrétise réellement cette ambition. En 2019, l’Égypte lance Tiba-1, satellite de télécommunications stratégiques.
Le pays dispose aujourd’hui d’une agence spatiale nationale dotée d’un budget estimé à plus de 20 millions USD, et prévoit de construire un centre de lancement à Assouan. L’Égypte ne vise pas Mars, mais affirme sa souveraineté numérique dans une région marquée par l’externalisation technologique.
Algérie : souveraineté numérique et ambitions régionales
L’Algérie a opté pour une approche progressive mais structurée. Depuis 2002, l’Agence spatiale algérienne (ASAL) a conçu plusieurs satellites : AlSat-1, AlSat-2A/B, Alcomsat-1 – ce dernier réalisé en coopération avec la Chine. Elle ne dispose pas encore de lanceurs, mais elle fabrique ses propres satellites, dans un objectif clair : indépendance technologique et sécurité stratégique.
Le pays a aussi misé sur la formation : un centre de développement satellitaire fonctionne à Oran, et les ingénieurs algériens participent à l’élaboration de charges utiles de plus en plus complexes.
Émirats arabes unis : de l’ISS à Mars
Avec plus de 6 milliards USD investis depuis 2014, les Émirats sont de loin les plus ambitieux. Leur UAE Space Agency a envoyé un premier astronaute, Hazzaa al-Mansoori, à bord de la Station spatiale internationale en 2019, et surtout, placé une sonde en orbite martienne (Hope) en 2021. Ils deviennent ainsi la cinquième puissance spatiale martienne au monde.
Le programme émirati repose sur deux piliers : prestige géopolitique et transition économique post-pétrole. Mais il ne s’agit pas d’un simple projet de communication : les Émirats forment des ingénieurs, investissent dans des start-up et s’inscrivent dans l’économie mondiale de la connaissance.
Une absence dans les imaginaires du futur
Une chose étrange persiste : malgré ces efforts réels, malgré les satellites, les agences, les astronautes… les Arabes restent absents de la science-fiction occidentale. Dans les films américains, l’univers du futur est peuplé d’intelligences artificielles, de robots chinois, de pilotes russes ou de magnats indiens, mais jamais d’ingénieurs algériens ou de commandants tunisiens.
Certes, Star Wars fut tourné en Tunisie, et quelques noms évoquent des consonances arabo-musulmanes. Mais dans l’ensemble, les Arabes n’existent pas dans l’espace du futur. Ni dans les blockbusters, ni dans les séries Netflix. Cette absence dans l’imaginaire global est une forme subtile d’exclusion : celle de la science, du progrès, de l’héritage universel.
Il y a bien eu une exception, à peine visible. Un second rôle, une silhouette. Et c’est justement parce qu’elle est une exception qu’elle confirme la règle.
Conclusion : vers un futur plus inclusif ?
Avec toutes ces tentatives concrètes – du Liban à l’Algérie, de l’Égypte aux Émirats – les pays arabo-musulmans montrent que l’espace leur est accessible. Qu’ils ont le droit, les capacités, et désormais les moyens d’y entrer. Certes, le chemin est encore long : il n’existe pas d’agence spatiale panarabe, peu de coopérations, des moyens parfois limités.
Mais le futur n’est pas interdit. Il reste à le réinventer – non seulement sur le plan technique, mais aussi culturel et symbolique. Réhabiliter les arabo-nautes, non comme des curiosités, mais comme des figures légitimes du progrès mondial. C’est peut-être là que se joue aussi une forme de décolonisation de l’imaginaire.
L’espace, en fin de compte, n’est pas une fuite. C’est une projection. Et il est temps que les Arabes y aient leur reflet.