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Billet de blog 24 avril 2012

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La honte.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Comme beaucoup, je suis sonné par le score du Front National.

Comme beaucoup, suis révulsé, au-delà de l'entendement, par l'amoralité de la campagne de second tour commencée par Nicolas Sarkozy.

Alors j'ai décidé de livrer quelque chose de très personnel. Quelques extraits d'une très longue lettre écrite par ma mère, dans laquelle elle raconte son enfance, les années de guerre, l'arrestation de son père, mon grand-père, déporté et mort à Auschwitz. Je suis certain qu'elle ne m'en voudrait pas.

Les garçons allaient à l’Ecole de l’Alliance Israélite Universelle, et tous parlaient français. Leur vieux rêve était la France, pays des droits de l’homme. […]Pas un seul illettré à Salonique. C’est ainsi que les Turcs, indulgents, ont cédé la place aux Grecs, très antisémites, et qu’en 1916 ou 17 l’oncle Henri et Papa sont venus en bateau vers Paris.

Papa, excellent élève ("jamais de ème dans mon classement"), érudit en français, hébreu, religion, retourna à l’Ecole de l’Alliance à Paris, et reçut la formation d’instituteur pour enseigner au Maroc. Mais, entré à la Barclays puis connaissant maman, remboursa ses études et resta à Paris.

[…] Le pillage de la France commence. De Gaulle a lancé l’appel du 18 juin, Pétain ("je hais les mensonges, qui nous ont fait tant de mal"), le soi-disant héros de Verdun s’aplatit devant Hitler ; Laval apparaît, Darnand, Bousquet, Philippe Henriot. A Londres, Pierre Dac, juif, commence à dénoncer les collabos. [...] De Gaulle à Londres reçoit ceux qui lui offrent leurs services de résistants. [...] Mais les allemands refont marcher la SNCF, et tous les réfugiés de l’exode n’ont plus qu’à rallier Paris. Ayant manqué le Maroc, puis Londres, Papa comme tant d’autres sera rattrapé par son destin.

[…] Les Juifs n’ont plus le droit d’être fonctionnaires, enseignants, avocats, médecins, commerçants…

[...] Grandes affiches dans les rues: APPRENEZ A RECONNAITRE UN JUIF. En noir sur fond jaune ou blanc, un petit bonhomme voûté, l'air chafouin, orné d'un nez crochu comme il n'y en a jamais eu dans l'histoire du nez, bonnet sur la tête et bâton à la main.

[...] Madame W., gynécologue, se demandait encore, vers 1990, comment elle avait échappé aux rafles. Un médecin voisin de son lieu de travail vient la voir. "Puisque vous n'avez plus le droit d'exercer, envoyez-moi donc vos clientes". -"Confrère, c'est d'accord. Mais elles n'ont pas un sou, et je les soigne gratuitement. Je vous les envoie quand-même?"

[…] Des amis conseillaient à Papa de se cacher, mais comment se cacher quand on travaille, qu’on a femme et enfants ? Et Papa de citer la Bible : "Il en tombera mille à ta droite, et des myriades à ta gauche, et toi (l’homme juste) tu ne seras pas touché".

[…] La NUIT arrive. Nuit du 4 au 5 novembre 1942. Déjà le père tchèque de notre cousin Claude, Joseph S., a été déporté.

Vers deux heures du matin, des coups violents à la porte. POLICE, OUVREZ.

Papa est arrêté. La mère G., la concierge, montre en bas aux gendarmes que c’est facile de s’échapper du premier étage par le toit en pente. Papa essaie de me rassurer : "Vois, il y a tant de jeunes Français en camps de prisonniers, pense à Alex". Entre ses dents j’entends : "Que crève Hitler et toute sa séquelle".

Il part avec une petite valise de vêtements, et dit à Maman : "Fais pour le mieux, je te confie les enfants".

Le couvre-feu en vigueur cesse à 6h du matin. Maman est dehors, courant à la Kommandantur, et dit : "Je ne suis pas juive, rendez-moi mon mari". –"Montrez votre certificat d’aryanité". –"Qu’est-ce que c’est ?" -"Votre certificat de baptême".  –"J’ai été baptisée en Auvergne". –"Eh bien, demandez au curé".

Je vais au lycée. Papa est devant le commissariat. De l’œil il me fait signe de ne pas m’approcher. J’arrive au lycée, au cours d’allemand de Mme L., et j’éclate en sanglots. Elle essaie de me consoler.

 Ma mère est devenue médecin généraliste, dans le XVIIIème arrondissement de Paris. Elle en a soigné des gens... Souvent, gratuitement, faisant honneur au serment d'Hippocrate. J'étais enfant, je me souviens de Mme G..., indigente, elle repartait avec un repas. Ce 1er janvier, comme chaque année, elle envoyait une gentille carte de voeux à ma mère.

De toutes ses forces, malgré son histoire ou plutôt de par son histoire, ma mère nous a éduqués, mes frères et moi, dans le respect de l'autre, quel qu'il soit. Et je me souviens, dans la France de mon enfance, qu'être juif ou musulman ou catholique ou rien du tout, ça ne posait de problème à personne.

Ma mère est morte ce 3 janvier. L'une de ses plus anciennes patientes, Madame E., Algérienne, Musulmane, une Maman extraordinaire elle aussi qui a élevé seule ses deux enfants parce qu'elle voulait qu'ils étudient, contre la volonté de leur père, a été la première à honorer la mémoire de sa soeur, comme elle appelait ma mère. Elle a prié pour ma mère, une prière musulmane, et c'était bien; et moi malgré ma douleur mon coeur s'est gonflé d'émotion devant tant de fraternité.

Cette histoire, Monsieur Sarkozy, c'est au moins un peu la vôtre. Celle de votre mère, dont le père aussi venait de Salonique. Seulement, vous n'en avez pas retenu la leçon.

HONTE A VOUS Nicolas Sarkozy, et toute votre clique malfaisante de Buisson, Guéant, Hortefeux, Guaino. Honte à vos provocations calculées, au venin raciste et xénophobe que vous sécrétez. Votre "musulman d'apparence", et "apprenez à reconnaître un juif", il n'y a aucune différence. Et ce n'est pas l'Africain qui n'est pas entré dans l'histoire; c'est vous.

HONTE A VOUS Marine Le Pen, pour les mêmes raisons, et sous vos nouveaux et faux airs d'honorabilité.

HONTE A VOUS François Bayrou, qui après avoir -et c'était alors à votre honneur- critiqué la "droitisation" de Nicolas Sarkozy pendant toute cette campagne et même avant, annoncez encore que vous mettrez en balance les deux candidats. Comment osez-vous ?

HONTE A VOUS Français qui avez voté en masse pour l'extrême droite, c'est-à-dire, vous le savez maintenant, pour Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy. Vous avez oublié de réfléchir. Vous avez abdiqué notre histoire.

Je n'attends rien de ces politiciens-là.

J'attends des Français qu'ils lavent l'affront qu'ils se sont faits à eux-mêmes en le faisant à l'Autre.

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