Par Alain Lipietz | 24 octobre 2018
Cher Bernard,
Dans un échange public sur Facebook, tu t’étonnes de ma naïveté sur « l’affaire Mélenchon » et tu as la charité de l’attribuer à mon grand âge. Je serais devenu gâteux, hypothèse qu’on ne saurait écarter. La vérité serait ailleurs : la perquisition est une manoeuvre politique, il y a deux poids, deux mesures, Mediapart est un torchon, Plenel un pourri et Arfi un pantin misogyne etc.
Tu m’avais fait l’honneur il y a quelques années de me demander de préfacer l’un de tes livres à l’intelligence des plus étincelantes, l’éditeur craignant que les lecteurs n’y comprennent rien. Je m’étais tant bien que mal acquitté de la tâche. Il semble que je ne bénéficie plus d’un préjugé si favorable, quoique mes livres et articles n’aient pas manifesté jusqu’ici une tendance dangereuse à gober les bobards officiels, y compris sur la résistance de la direction Sncf à la mise en œuvre de la Shoah ou sur l’innocuité des vaccins à l’aluminium...
« Une opération politique » dis-tu. Évidemment. Tout est politique. Pour un juge ou un procureur, étouffer ou enquêter sur un soupçon de détournement de biens publics est le choix le plus politique qui soit, au sens noble de la politique. La probité est la vertu de base du camp progressiste, avant même la démocratie, la solidarité et l’écologie.
Mais tu vises un sens plus restrictif du mot, quelque chose comme « politicien ». Le goût de petits juges ou de procureurs à se faire un nom en se payant une vedette politique. Ou complaire à un parti au détriment d’un autre. Comme le procureur Molins — car c’est lui, et non Rémy Heitz (le proc « proposé par Macron » le 2 octobre), qui est à la manœuvre jusqu’en novembre — est déjà célèbre, il s’agirait plutôt de la seconde hypothèse. Un ordre que lui aurait donné le Président, en échange de sa promotion (qu’on pouvait croire à l’ancienneté et au mérite) à la Cour de cassation. Et parallèlement l’ordre aurait été donné à Médiapart et autres médias d’État (comme dit dorénavant JLM pour mieux mettre en valeur l’indépendance de BFM-TV) de « couler Mélenchon ». Enfin, je suppose que tu penses à un complot de ce genre, entre la noblesse d’État et l’oligarchie financière.
Au-delà de mon gâtisme allégué, tu soulèves en fait sur cette question la possibilité de discriminer par la raison entre une vérité officielle (Molins enquête normalement sur des délits à lui signalés) et une vérité complotiste. Je te crois assez cultivé pour savoir que c’est extrêmement difficile, l’hyper-criticisme ayant toujours un pas d’avance sur le réalisme béat, car il ne se sent jamais obligé de revenir sur ses pas quand il rencontre une contradiction.. Comme dit Paul Veyne, « La seule preuve que les Américains sont allés sur la Lune, c’est que les Soviétiques ne l’ont pas contesté. »
La raison ne nous offre que trois armes : la vraisemblance (héritée de l’expérience), l’analyse des « mobiles » de ceux qui défendent telle ou telle version, et surtout la logique des faits et des accusations. Essayons-les.
Rappelons auparavant qu’il y a deux enquêtes : 1. sur l’emploi des assistants rémunérés par le Parlement européen à des taches de fonctionnement d’un parti national, la FI, et 2. de possibles surfacturations dans le compte de campagne de Mélenchon 2017. Nous en sommes au stade de l’enquête préliminaire, conduite par la police sous le contrôle d’un procureur, la perquisition ayant été en outre autorisée par le juge des libertés.
La thèse hétérodoxe, que tu défends, dit « c’est une manœuvre politique de la justice, de la police et de la presse aux ordres, (Mediapart, ce torchon misogyne, y compris), pour couler la France Insoumise forte de bons sondages pour les prochaines élections européennes. La date a été choisie pour masquer la pauvreté du remaniement gouvernemental et la médiocrité des sondages sur E. Macron. Et la preuve : il y a « deux poids deux mesures », c’est à dire : on ne poursuit pas les autres pour ça, et avec de tels moyens. »
Je défendrai pour ma part la thèse inverse : chacun fait normalement son métier dans le cadre des lois et procédures actuelles (qu’on peut par ailleurs amender !).
La suite, ci-dessous:
Sommaire
- A. Prenons l’affaire n°1, les assistants (...)
- B. Affaire n° 2 : les surfacturations
- C. L’image, la presse et la contestation (...)
- Suite à cet article, Bernard Guibert m’a (...)
- Suite à cette réponse , B. Guibert m’a adressé (...)
- Insinuations ?
- Ensuite sur la question du déchainement (...)
- Sur le complot des structures