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Billet de blog 9 février 2022

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L’irréconciliabilité des gauches. Vraiment ?

A qui profite la diffusion de cette idée de "gauche irréconciliable" ?

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Réforme des droits de succession menée par Taubira, le nucléaire écologique de Roussel, revenu universel de Mélenchon, la campagne a été rythmée par ces différences entre les candidats de gauche. Les médias pointant leurs divergences et les militants n’hésitant pas à multiplier les petites phrases mettant en avant cette prétendue impossibilité de se retrouver.

Il semble tout d’abord essentiel de comprendre à qui profite le crime. Pour qu’une idée s’inscrive aussi fortement dans la société, il faut soit qu’elle soit incontestable (et nous verrons que c’est loin d’être le cas), soit qu’elle serve suffisamment d’intérêts pour qu’elle s’impose médiatiquement.

Le concept d’irréconciliabilité des gauches naît, globalement en 2016 dans la bouche d’Emmanuel Valls. Globalement parce que ce concept n’est pas entièrement nouveau, les divergences entre le PS et le PC durant les mandats de François Mitterrand ont déjà cette saveur, et la rupture entre le PS et ses différents alliés en 2002 sous Jospin y ressemblait fortement. S’il naît en 2016, c’est qu’il a une utilité. Il permet au premier ministre de justifier que la rupture étant consommée, la gauche de la gauche doit désormais se taire et laisser la gauche « de gouvernement » gouverner.

Mais cette petite phrase prend, et si elle prend dans les colonnes d’une presse appartenant majoritairement aux grandes fortunes de droite, si elle fait recette sur les plateaux des émissions politiques, c’est qu’elle est utile. Vendre l’image d’une gauche divisée, clivée, est l’un des meilleurs moyens de la disqualifier aux yeux des électeurs.  Avec une gauche disqualifiée, il est plus facile de faire glisser l’échiquier politique vers les idées de droite, possible de faire passer une idée simple : le sérieux n’est pas à gauche.  

Au-delà des programmes, au-delà des personnalités, la première bataille idéologique est avant tout sémantique. En observant l’agitation des réseaux sociaux à l’approche du scrutin, il devient évident qu’il y a une victoire concernant la sémantique de la division à travers cette notion de gauche irréconciliable. Cette victoire est perceptible dans la façon dont les militants de gauche peuvent l’utiliser dans leurs commentaires ou dans leurs posts : “EELV ce sont que des centristes”  , “On ne peut pas faire confiance à ces traîtres”, “Aucun rassemblement possible avec les islamo-gauchistes”. Le terme même de gauche irréconciliable apparaît. Quand les militants de gauche reprennent une idée construite par la droite, reprennent les mots, le champ lexical, il y a victoire sémantique. Or cette victoire ouvre la possibilité de défaire la gauche sur le plan des idées.

Il nous faut aussi prendre conscience de la teneur des adjectifs qui sont vendus par voie de presse en ce qui concerne cette division. Une première partie use d’un champ sémantique infantile : "Opposition puérile”, “La gauche ne se parle plus” (comme un petit enfant qui ne parle plus à … ), l’autre cherche à imposer l’idée que l’entente est impossible : “l’irrémédiable  rupture”, “le divorce est irréversible, définitif”, “des fractures qui se creusent”, etc.

Il est impératif de prendre conscience de l’importance de cette victoire sémantique. A force d’entendre de toute part que la gauche est irréconciliable, les militants commencent à le croire, à en être convaincus. Lorsqu’on baigne dans un bain idéologique discréditant une partie de la gauche ou le comportement de la gauche, on devient poreux et sans en prendre totalement conscience on l’intègre.  Or encore une fois, il est extrêmement productif pour la presse d’opinion de disposer d’une gauche fragmentée et disqualifiée. En montrant que les mouvements de gauche sont immatures, on vise les idées de gauche et le réalisme de leurs propositions, les valeurs : les gens sérieux sont à droite, à gauche c’est le grand cirque. Les idées réalistes sont à droite, la gauche ne sait que se disputer.

Nous devons aussi prendre conscience des batailles sémantiques perdues au cours des 30 dernières années. L’idée que “Le sérieux budgétaire impose des coupes dans les dépenses publiques” est devenu une évidence sociale à force d’être répétée. Le “There Is Not Alternative” de Thatcher a imposé l’idée que la seule voie économique sérieuse passait par la baisse de la qualité de vie des travailleurs. Enfin, une autre idée a fait son chemin, l'idée que les chômeurs ne sont que des fainéants qu’il s’agit de remettre au travail, que les profiteurs sont ceux du bas de l’échelle (mais jamais les 4 ou 5 % qui accaparent toutes les richesses).

Il faut y ajouter ce vocabulaire de l’extrême droite concernant “les racailles qu’il faut punir”, la chasse à l’immigré (qui serait par essence incapable de s’intégrer ). Chacune de ces évidences nécessite pour les contester une énergie croissante. Nous, militants de gauche, savons en quoi elles ne décrivent pas une réalité sociale, mais nous savons aussi la difficulté d’ébranler les certitudes.

Nous ne pouvons perdre toutes les batailles idéologiques. La gauche ne doit pas accepter de se voir définie par les divisons, nous ne pouvons accepter l’idée d’une gauche irresponsable et irréconciliable. Nous ne le pouvons pas parce que ces divisions sont, pour beaucoup, soit des détails, soit des postures, et que le reste peut être mis au débat entre mouvements, entre partis, afin de dégager des points d’accord.

Des postures parce que dans cette logique du « tous candidats », il faut un programme à chacun. Et pour justifier d’une candidature, ce programme doit se différencier de celui du voisin : si nos positions sont trop semblables, comment justifier nos candidatures ?  Et si nous ne nous présentons pas, comment justifier notre existence ?  Ce paradoxe doit trouver une réponse à gauche. Tant que nous restons pris dans cette dichotomie nous prêtons le flanc à l’accusation d’irresponsabilité et d’immaturité. Si certains points peuvent être des débats complexes entre les mouvements, la recherche de mesures qui pourraient être portées ensemble est essentielle. Bien sûr, pour trancher entre ceux qui croient en l’économie de marché et ceux qui estiment qu’il est impératif de la contraindre, le débat sera vif. Mais nous devons reprendre l’habitude de porter notre attention sur ce qui nous rassemble, les idées communes, les projets.

Nous le devons parce que nous ne pouvons éviter le rassemblement. Gouverner seul est une fiction. Qui que soit le candidat élu, quel que soit son parti de provenance, il aura besoin du soutien de tous les autres pour gagner au second tour ainsi que pour disposer d’une majorité forte à l’Assemblée Nationale. Les grandes victoires de la gauche ont le plus souvent nécessité une union des mouvements : Radicaux et Socialistes soutenant Jaurès, partis de gauche se fédérant dans le Front Populaire, programme commun de Mitterrand, Gauche Plurielle de Jospin… Quel que soit le regard que nous portons sur les acquis et les renoncements vécus durant ces périodes, ne sommes-nous pas contraints d’admettre que les mandatures de droites libérales ont été d’une telle violence que nous devons tout faire pour ne plus en connaître ? 

Les partis politiques ne sortiront du « tous candidats » qu’à la condition que nous, citoyens de gauche, agissions pour forcer le rassemblement. Conscients que la stratégie de division ne peut mener qu’à la défaite, nous devons nous unir autour d’une demande de programme commun. Sans un tel programme, fédérant la majorité des partis de gauche, la victoire aux élections présidentielle demeurera une vieille lune. La France insoumise voudrait imposer aujourd’hui aux autres partis (comme Le Parti Socialiste par le passé) de se « coucher » devant leur puissance, de se soumettre à leur programme, parce qu’il est légitime. Il n’en reste pas moins que la violence de la démarche laisse des traces, des rancœurs, et semble peu propice au travail commun.  Le mécanisme de construction d’une plateforme commune permet d’acter tous ces points, toutes ces valeurs qui nous rassemblent, et de débattre de ce qui doit l’être dans une discussion constructive. C’est aussi à travers cette dynamique que nous mobiliserons plus facilement ceux qui pour l’instant ne votent plus.

Cette dynamique ne peut être imposée que par la base, que par les militants et les citoyens, les appareils politiques ayant trop d’intérêts à maintenir leur division. Pour l’imposer nous devons établir un nouveau rapport de force, nous devons nous constituer comme un contrepouvoir face aux intérêts de ceux qui font passer leur carrière avant le bien commun. Nous proposons que les électeurs de gauche se fédèrent autour d’une promesse : « Nous ne voterons plus pour aucun candidat, tant qu’un programme commun ne sera pas rédigé par la majorité des partis progressistes et écologistes ».  Cette position de principe met définitivement en échec toute velléité de division. Pour porter cette position nous devons construire un mouvement, audible, et affirmer notre détermination à ne participer au jeu électoral qu’une fois un rassemblement établi. Construisons le ensemble ! 

Collectif Gauche Utile 2022

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