GAUTHIER BOUCLY

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Billet de blog 30 septembre 2014

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De la ligue de Délos à l'Union Européenne

GAUTHIER BOUCLY

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

  La Communauté Européenne du Charbon et de l'Acier est née en 1951, un an après la déclaration de Robert Shuman en date du 9 mai 1950. Cette Communauté regroupe six pays: l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas. Son but est "de contribuer, grâce au marché commun du charbon et de l'acier, à l'expansion économique, au développement de l'emploi et à l'amélioration du niveau de vie". (voir le site Internet de l'Union Européenne (1)). Plus tard le 25 mars 1957, le traité de Rome est signé par les six Etats fondateurs de la CECA. Ce traité crée la Communauté Economique Européenne qui institue, juridiquement, la libre circulation des capitaux, des personnes,des marchandises et des services; c'est-à-dire le libre-échange.

Les premières institutions européennes réunissent donc des nations égales ayant accepté ces institutions. Nous verrons plus tard l'apparition d'une hiérarchisation des nations dans le cadre des institutions européennes. Ce qui entraînera la domination d'un Etat sur les autres Etats: cet Etat c'est l'Allemagne. Nous pouvons dater la domination de l'Allemagne aux débuts des années 1990 au moment de la réunification allemande et du vote pour le traité de Maastricht.

Je tenterai ici d'établir une analogie de la domination allemande dans l'Union Européenne au 21ème siècle avec... Athènes!! Pas de nos jours, loin s'en faut, mais au Vème siècle avant J-C et plus précisément à partir de la fondation de la ligue de Délos en 478 avant notre ère.

Des cités et des Etats égalitaires:

  Deux ans après la deuxième Guerre Médique opposant les Perses et les Athéniens, certaines cités du monde grec décident de se mettre sous la protection d'Athènes en 478 avant J-C. Depuis le décret de l'homme politique Thémistocle en 483 avant J-C, Athènes dispose d'une flotte de 200 trières (bateaux de guerre(2)). Athènes est donc la cité la plus puissante du monde grec, notamment au niveau maritime: on peut parler de thalassocratie. En échange de sa protection Athènes oblige les autres cités à lui verser un tribut. L'ensemble des versements des cités forme le trésor de Délos. Délos est une île où se situe un temple en l'honneur d'Apollon, le trésor se trouve sur cette île. Certaines cités grecques payaient leur tribut en argent et d'autres fournissaient des soldats et des navires. La contribution des cités s'appelait le phoros.

Les relations entre les Etats Européens au début de la construction européenne étaient égalitaires. Lorsqu'il y avait 6 pays dans la CEE la France aurait pu dominer les autres Etats. Elle ne l'a pas fait (tant mieux), mais les conditions étaient réunies pour qu'elle le fît. Après la Seconde Guerre Mondiale la France s'est bien reconstruite, elle est redevenue un des pays les plus riches d'Europe. L'Allemagne sortait de 12 ans de nazisme, elle avait honte de son passé. La construction européenne était justifiable. Les Etats Européens ne voulaient pas seulement s'allier pour faire bloc à l'URSS, comme le leur avait demandé les Etats-Unis, ils voulaient se réconcilier de crainte d'une nouvelle guerre. Les Français avaient adopté une attitude différente vis-à-vis de l'Allemagne qu'après la Première Guerre Mondiale. Ils n'avaient pas chargé l'Allemagne de toutes les responsabilités de la guerre comme lors du traité de Versailles. Ils voulaient aider l'Allemagne à redevenir une démocratie.

Parmi les pays fondateurs des institutions européennes il y avait deux grandes puissances, l'Allemagne et la France. Mais aucune d'entre elles ne voulait l'hégémonie dans la CEE. La France ne voulait pas accuser l'Allemagne de tous les maux et souhaitait une reconstruction démocratique et économique de l'Europe. L'Allemagne avait honte d'être associée au nazisme et était occupée par les armées vainqueures de la guerre. De décennies en décennies la CEE a évolué lentement et progressivement. Les européistes avaient toujours leur rêve d'une Europe Fédérale mais les Etats étaient indépendants. Chacun d'entre eux avait sa monnaie et pouvait mener souverainement sa politique économique et budgétaire sans qu'un pouvoir supranational non élu ne les oblige à adopter des politiques économiques néolibérales.

Nous pouvons dès lors (ou Delors) considérer l'année 1985 comme un tournant dans l'histoire de la construction européenne et l'année 454 avant J-C comme un tournant dans l'histoire de l'Antiquité grecque.

L'accélération de la domination Athénienne et débuts de la domination Allemande:

  Le traité de Maastricht fonde la domination Allemande sur le reste de l'Europe. Le Traité sur l'Union Européenne (TUE) est signé dans la ville Néerlandaise de Maastricht le 7 février 1992 par les chefs d'Etats membres de la CEE, soit deux ans et demi après la chute du mur de Berlin et le début de la transition vers la réunification Allemande. Les dirigeants socialistes Français avaient une foi totale depuis 1983 en la négation de la Nation, qu'Emmanuel Todd appelle l'antinationisme (voir L'illusion Economique(3)). En signant le traité de Maastricht ils ont pu porter un coup de plus contre la Nation. Quant à l'Allemagne elle craignait que les peuples européens considèrent sa réunification comme une possible résurgence du nationalisme Allemand en Europe:

Il s'agissait pour ce pays, angoissé par son passé et par l'éventualité de réactions négatives au renforcement de sa puissance, d'atténuer le sentiment que le nationalisme menaçait à nouveau. Maastricht fut en Allemagne, dans un premier temps, vécu comme une manifestation d'antinationalisme plutôt que d'antinationisme.

Emmanuel Todd, L'illusion économique, Gallimard, 1998, p.234-235.

Il n'est pas étonnant que le Traité de Maastricht ait été signé au moment où le "socialiste" Français Jacques Delors était président de la Commission Européenne. Pour cet européiste convaincu, Président de la Commission Européenne depuis 1985, qui voyait se profiler l'Europe des peuples à travers l'Europe du marché unique, si on était contre Maastricht on était contre la démocratie: "[Les partisans du "non"] sont des apprentis sorciers. [...] Moi je leur ferai un seul conseil: Messieurs, ou vous changez d'attitude, ou vous abandonnez la politique. Il n'y a pas de place pour un tel discours, de tels comportements, dans une démocratie qui respecte l'intelligence et le bon sens des citoyens."(4). Si Jaurès et Blum entendaient ça!

Le Traité de Maastricht crée une Banque Centrale Européenne indépendante qui a pour seul objectif de stabiliser une faible inflation. Par ailleurs, le traité oblige les Etats signataires à respecter certaines règles néolibérales (déficit à 3% du PIB, dette publique à 60% du PIB) préconisées dès 1989 dans un rapport de Jacques Delors(5).

Revenons à la ligue de Délos. A partir de 454 avant J-C le trésor de Délos est transféré à Athènes dans le temple d'Athéna, sur l'Acropole(6). Nous pouvons comparer ce transfert du trésor de Délos à Athènes avec l'emplacement de la Banque Centrale Européenne dans la ville de Francfort en Allemagne. Le pouvoir financier est situé dans les deux cas dans la cité et l'Etat dominants.

Tout le long du chapitre 3 de La malfaçon Frédéric Lordon disserte sur la domination allemande, comme Bourdieu avant lui dissertait sur La domination masculine(7). Il explique que l'Allemagne a commencé sa domination sur l'Europe en imposant à ses "partenaires" sa politique économique: "Parce qu'elle voulait imposer ses propres principes de politique économique, l'Allemagne a trouvé la solution simple de les faire inscrire dans les traités"(8). L'Allemagne a imposé à la France et à l'Italie (et aux autres pays futurs membres de la zone euro) de ne plus dévaluer, afin que leur monnaie converge avec le mark en vue de la création de la monnaie unique. La France et l'Italie étant des pays qui avaient l'habitude de mener des dévaluations compétitives externes en dévaluant leur monnaie sont donc dépossédées de leur souveraineté nationale.

Les Allemands ont donc obligé les Etats à adopter un euro-mark qui les arrange eux, mais pas les autres Etats. Lordon explique: " le modèle monétaire allemand convient... à l'Allemagne, mais pas aux autres!"(p. 86 de La malfaçon). Dans la Grèce Antique du Vème siècle avant J-C, Athènes aussi impose son modèle aux autres cités membres de la ligue de Délos. Dans un décret de 449 avant J-C, l'homme politique Athénien Cléarque interdit aux cités alliées de battre monnaie et impose la chouette (la monnaie Athénienne, symbole d'Athéna) à celles-ci. Les cités grecques comme les Etats Européens ne sont plus souverains car Athènes et l'Allemagne leur ont imposé leur monnaie.

Conclusion: ça va mal finir!:

Nous savons comment a pris fin la ligue de Délos. La ligue de Délos a duré de 478 avant J-C à 431 avant J-C. Cette période de près de 50 ans s'appelait la pentêkontaetia(9). La domination Athénienne au sein de la ligue de Délos constitue la genèse de la Guerre du Péloponnèse qui a opposé, à partir de 431 avant J-C, Sparte à Athènes. L'Union Européenne (ou plutôt la Désunion Européenne) n'est plus vraiment un rassemblement de Nations égales et souveraines. Elle est hiérarchisée. En haut on a l'Allemagne qui domine l'Europe et en bas on a les pays de l'Europe du Sud qui subissent un chômage de masse lié aux politiques d'austérité infligées par l'Union Européenne à ces pays (Grèce, Espagne, Portugal et Italie; que des journalistes britanniques et américains ont rebaptisé les PIGS, les porcs).

 De plus, le Traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG, signé par Sarkozy le 2 mars 2012 et accepté par Hollande après) institue la délation entre les Etats dans son article 8: "Lorsqu'une partie contractante estime indépendamment du rapport de la Commission qu'une autre partie contractante n'a pas respecté [le critère de déficit structurel], elle peut saisir la Cour de Justice de cette question."(10)

Comme rêve européiste d'harmonie entre les peuples on aura connu mieux. Les Etats du Sud (Portugal, Grèce, Italie, Espagne) étant dominés de fait, car victimes de l'austérité, ils ne peuvent pas empêcher l'hégémonie politique et économique Allemande. Les pays frontaliers de l'Allemagne (Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, Suisse, République Tchèque, Croatie, Slovénie), faisant partie de l'espace Allemand direct, soutiennent l'Allemagne et lui obéissent. D'autres pays Européens, proches géographiquement de l'Allemagne, sont pourtant indépendants. Leur but c'est de s'opposer aux Russes. Ces Etats (Suède, Pologne, Estonie, Lituanie et Lettonie) peuvent être qualifiés de russophobes. Ils ne vont pas s'opposer à l'Allemagne(11).

Deux Etats Européens sont de taille démographique et géographique à peu près équivalents à l'Allemagne. Ces Etats sont le Royaume-Uni et la France. Le Royaume-Uni a peu d'attachement envers l'Union Européenne. Les conservateurs et les travaillistes ont promis plusieurs fois par le passé de sortir de la CEE puis de l'UE. Ils sont en phase d'évasion de l'Union Européenne. Ils sont culturellement et linguistiquement tournés vers les Etats-Unis, le Canada et les pays du Commonwealth. Les Britanniques pourraient s'opposer à l'Allemagne. Mais ayant la chance d'avoir gardé leur monnaie ils ont peu de raisons de le faire.

Passons au cas de la France. Les élites françaises (PS, UMP, ENA, promotion Voltaire, Le Monde, le club le Siècle...) sont d'idéologie antinationiste depuis les années 1980. Ils croient en un monde postnational. Lequel? Ils ne veulent pas le dire. Depuis le traité de Maastricht nos élites obéissent docilement aux injonctions Allemandes. Ils ont dit oui à la monnaie unique, à la Banque Centrale Européenne indépendante... Bref, nos élites préfèrent l'Allemagne au peuple Français. On peut constater un décalage entre le peuple et nos élites parisiennes. Les Parisiens ont voté "oui" à 66,45% tandis que les habitants du Pas-de-Calais ont voté "non" à 69,49%(voir carte). L'accélération de la domination Allemande sur l'Europe a eu lieu à partir de 2009 au moment du début de la crise des dettes souveraines. Sarkozy et Hollande ont obéi à Merkel. Ils se sont comportés comme des petits garçons ayant peur de se faire gronder par la maîtresse. Ajoutons à cela une presse germanolâtre et tous ceux qui critiquent l'Allemagne sont aussitôt coupables de germanophobie.

Les dirigeants Français sont donc incapables de s'opposer frontalement à l'Allemagne. Seuls Jean-Luc Mélenchon et le Front de Gauche souhaitent, s'ils arrivaient au pouvoir (ce que je souhaite), s'opposer politiquement à l'Allemagne. Leurs arguments sont clairs. La France est un peuple jeune contrairement à l'Allemagne. Nous avons besoin d'investir pour créer des postes dans les écoles, les universités et les hôpitaux. Nous ne pouvons continuer d'obéir à vos injonctions austéritaires.

Entrons maintenant dans le stade des suppositions. La domination Allemande sur l'Europe ne peut plus durer. Athènes a dominé la ligue de Délos pendant 50 ans, ça a fini par une guerre. Si l'Allemagne domine l'Europe pendant encore 30 ans il y aura un risque de guerre en Europe. Néanmoins, l'Allemagne a des désavantages par rapport à l'Allemagne. L'Allemagne n'enverra jamais son armée faire la guerre à un Etat Européen. Sa Constitution et les traités Européens l'en empêcheront. Par ailleurs, l'Allemagne subit un déclin démographique. D'ici 15 à 20 ans la France sera plus peuplée que l'Allemagne. L'Allemagne fera moins peur étant donné sa chute du nombre d'habitants.

Le peuple français doit donc se rebeller contre l'Allemagne. Non pas en étant germanophobe ou en prenant les armes mais en faisant ue révolution citoyenne, en prenant le pouvoir afin de se réapproprier sa souveraineté. Sinon il y aura un risque de guerre en Europe.

(1) http://europa.eu/legislation_summaries/institutional_affairs/treaties/treaties_ecsc_fr.htm

(2) Claude Orrieux; Pauline Schmitt Pantel, Histoire grecque, PUF, Paris, 2013, p.185.

(3) Emmanuel Todd, L'illusion économique, Gallimard, Paris, 1998.

(4) http://www.chevenement.fr/Le-Betisier-de-Maastricht_a958.html

(5) Frédéric Lordon, La malfaçon, Les liens qui libèrent, Paris, 2014, p. 31.

(6) Violaine Sebillotte Cuchet, 100 fiches d'histoire grecque, Bréal, 2013, p. 201

(7) Pierre Bourdieu, La domination masculine, Seuil, 1998.

(8) Frédéric Lordon, La malfaçon, Les liens qui libèrent, Paris, 2014, p. 63.

(9) Violaine Sebillotte Cuchet, 100 fiches d'histoire grecque, Bréal, 2013, p. 198 et 200.

(10) Frédéric Lordon, La malfaçon, Les liens qui libèrent, Paris, 2014, p. 46-47.

(11) http://www.les-crises.fr/todd-3-l-allemagne-tient-le-continent-europeen/

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