Gazette Debout : Tu suis les manifestations contre la loi travail depuis le début. Quel est ton ressenti après celle du 14 juin ?
Alexandre : J’estime qu’il y a eu plus de violences directes que d’habitude. De nombreuses blessures qui témoignent de coups portés sur les manifestants avec des matraques, des grenades, des projectiles. Beaucoup de traumatismes crâniens : des ouvertures de trois à dix centimètres sur la tête.
J’ai soigné une quinzaine de personnes. Même si on s’y attendait, c’est toujours trop. Et le gouvernement savait qu’il y aurait du monde : il avait fait venir des compagnies de CRS des quatre coins de la France : Bretagne, Toulouse, PACA, Aquitaine. Dans une situation normale, les policiers sont présents pour encadrer la manifestation et pour assurer la sécurité des biens et des personnes. Ce motif justifie leur présence en masse. Mais malheureusement, ils sont aujourd’hui devenus une milice de l’Etat, la milice du capital et de la loi travail. Ils ont perdu leur rôle, celui d’arrêter les cambrioleurs ou les violeurs. J’estime qu’un policier qui va inciter à la provocation sert un message politique et non le message pour lequel il est payé et s’est engagé en recevant son insigne.

Manif du 14 juin – Jerome Chobeaux DR
Gazette Debout : Pourquoi as-tu choisi de t’engager en tant que Street Medic ?
Alexandre : A la fin du mois d’avril, j’ai été mis en garde à vue car j’avais un outil tranchant dans mon sac pendant une manif. Un objet que j’utilise en régie de théâtre et que je n’avais pas eu le temps de retirer. Les policiers n’ont jamais respecté ma présomption d’innocence. Alors que j’étais enfermé, j’ai connu le sentiment de haine pour la première fois de ma vie. Je me demandais ce que je faisais là, à coté d’assassins et de violeurs. J’ai alors réalisé que je pouvais moi aussi me mettre à casser parce que la seul réponse du gouvernement à nos actions, c’est le non dialogue.
Mais j’ai canalisé ma haine vers l’aide des autres. Car la colère est un sentiment irrationnel qu’on peut canaliser jusqu’à un certain point. J’ai de la chance, car je suis dans une situation de confort : je ne manque pas d’argent, j’ai des parents, j’ai des projets. Mais certains n’ont rien de tout cela. Casser la vitrine d’une banque est aussi violent que d’être chômeur et de s’immoler par le feu devant une agence Pole Emploi. Pour moi, le capitalisme équivaut au terrorisme. Car lorsqu’on prend en otage des millions de citoyens pour gonfler les troncs de la richesse, cela montre que nous ne sommes que des pigeons au bout d’une branche. Et quand on veut s’attaquer au tronc de l’arbre, on ne s’y prend pas avec un bouquet de fleurs. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle je parle de résistants contemporains et pas de « casseurs ».

Manif du 14 juin – Jerome Chobeaux DR
Gazette Debout : Comment arrives-tu à garder le moral face à tant de violences ?
Alexandre : Lorsque je suis rentré chez moi mardi soir, j’ai pleuré. Le lendemain, j’ai eu besoin d’échanger avec des gens au boulot. Mais j’ai confiance envers le courage apporté par l’éveil des consciences. Comme disait Jaurès, « il ne peut y avoir de révolution que là ou il y a conscience. » Je suis un réaliste pessimiste mais un rêveur optimiste. Il faut que les médias arrivent à outrepasser la censure pour apporter la conscience de la lutte dans les mentalités non militantes. J’ai croisé des journalistes indépendants, courageux, qui veulent mettre en lumière la réalité brute accablante. Mais ceux qui travaillent pour des grands médias sont soumis à la validation de leur rédaction.Et ne peuvent rien faire.
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