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Lien 7 octobre 2011

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La Flore (de café) des intellectuels

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La Flore (de café) des intellectuels:

Le bureau est toujours présent sur la scène. Il ne reste plus que le fauteuil de cuir. Une statuette africaine occupe l'un des coins du bureau. Dans un autre coin, on verra un planisphère. Au milieu, des livres, des papiers, en vrac. Si possible, un portrait de Modigliani ornera l'un des murs. Le miroir en pied reste présent.

Un homme, cheveux longs, veste noire sur chemise blanche -façon BHL- rédige quelque chose au bureau. Par moment, il prononce les mots qu'il écrit: "la misère..." "...cette condition humaine..."; "...au-delà des silences...";

Il cesse d'écrire. Se relit. Inspire profondément. Ses mouvements sont lents, comme si chaque geste était chargé d'une profondeur infinie. Puis, il se lève, et se place face au public, son texte à la main, les yeux fixés vers l'horizon.

B: "Là-bas...Là-bas j'ai vu. Pause. Recueillement. Emotion feinte. J'ai vu ce que les mots ne peuvent conter. Ce que la barbarie peut réaliser. Pause. J'ai vu des yeux incapables de parler tant l'horreur vécue est bien pire que la mort elle-même. Comment dire le bruit des fusils. Comment raconter les silences qui les suivent. Comme si tout devenait possible. Comme s'il devenait possible que même le soleil ne se levât pas demain matin. L'humanité a-t-elle perdu la raison? L'instinct sauvage et meurtrier a-t-il étouffé jusqu'à la dernière goutte les pleurs du coeur et de la compassion? Il serait trop facile d'accuser la folie. C'est plutôt à l'esprit qui dirige le bras qui tue de rendre des comptes. Pause.

Aussi, j'en appelle aujourd'hui à la mobilisation de toutes les forces humanistes; j'en appelle au combat de la civilisation contre les forces monstrueuses de la barbarie. Et s'il est temps de donner un sens à notre existence, alors battons-nous contre cette condition humaine que nous n'avons pas choisie... Pause. Il ferme les yeux. Et reprend avec satisfaction: "Cette condition humaine que nous n'avons pas choisie".

Il fait quelques pas dans la pièce. Revient à sa position initiale. Reprend encore une fois en détachant bien les syllabes.

B: "Cette condition humaine que nous n'avons pas choisie". Superbe. C'est magnifique.

Il revient à son bureau, rapproche le planisphère. Tout heureux comme un enfant qui joue:

B: Bon, je pense que ça conviendra très bien...Il tourne le planisphère pour chercher un pays... au Biaffra, tiens! Pause. Quoique, j'ai un doute. Je crois que j'ai déjà fait quelque chose pour le Biaffra. ça doit dater à mon avis, parce que je n'en n'ai plus qu'un vague souvenir.

Il sort un carnet. Tourne les pages. Puis s'exlame:

B:Ah, oui! ça a déjà été fait. Bon.

Il tourne de nouveau le planisphère.

B: Tiens, pourquoi pas la Tchéchénie? Il réfléchit.

B: Le problème, c'est que André se mobilise depuis des lustres sur ce coup là. Si je faisais quelque chose maintenant, j'aurai l'air d'être une sorte de "suiveur". Ou pire, j'aurai l'air de découvrir le problème. Non, non, pas la Tchéchénie. Trop risquée. Oh, là!là! ce que l'actualité est pauvre en ce moment.

Le téléphone sonne.

B: Oui, allô?...Oui...Oui, c'est bien moi...A quel propos?...Une pétition pour les sans-papiers?...Enthousiaste. Ecoutez, je crois en effet qu'il y a là une résurgence des mécanismes de biopouvoir, de sorte que la loi cache le caractère normatif et xénophobe d'une telle politique...exactement...et j'ajouterai que nous assitons là à une résurgence du droit moyennageux de vie et de mort du souverain sur ses sujets...Oui...Tout à fait...Désagréablement surpris.Pardon? André et Alain l'ont déjà signée? Ah!... Non...Non, non, je ne suis pas surpris...Néanmoins, j'aimerais, si vous me le permettez, réfléchir à la façon la plus pertinente par laquelle je pourrais servir cette cause...Voilà, laissez moi vos coordonnées, je vous rappelerai. Merci à vous...Voilà, c'est çà... Au revoir.

Il raccroche.

B: Et merde, ils m'ont encore devancé. Je manque de réactivité en ce moment. Le monde est vraiment cruel. Du moins, je vais finir par le croire. Bon, allez, je vais me remonter le moral.

Il va pour allumer une télé, ou un projecteur. Un film de lui, dans les décénnies précédentes, le représente à une tribune. Si possible, on projettera ces images sur la scène en grand. Pendant le film, le personnage sur scène reprendra par coeur les paroles du discours prononcé.

Le discours du film: "...et j'invoque les noms de Primo Levy et de Soljenitsine, comme les témoins d'un au-delà du possible, dans ce lieu de nulle part où l'humain n'a plus que son souffle fébril pour se rappeler qu'il n'est pas encore anéanti par l'épreuve du to-ta-li-ta-risme (applaudissements dans la salle; il fait mine de les refuser et dans le film et sur scène). Et comment nier alors l'horreur d'une réalité qui nous déborde, comme la marque indélibile de cette condition humaine que nous n'avons pas choisie (applaudissements).

Il se lève d'un bond et éteint le film.

B: Merde! je l'ai déjà utilisée cette expression! On risque de s'en rendre compte. Dommage, je l'aimais bien.

Il se dirige vers son bureau et raye l'expression. Il regarde son bureau. Cherche quoi faire. Il s'assied et allume la radio.

La radio: "La journaliste: Et vous, quel est votre point de vue en tant qu'intellectuel russe sur le modèle de l'intellectuel français?

-Avec un accent russe. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration pour leur rôle de contre-pouvoir depuis l'affaire dreyfus. Il y a en effet un combat entre la société civile et l'Etat qui doit continuer d'être mené. Cependant, j'observe que leur fonction a considérablement évolué. Ils ont longtemps été ceux qui disaient la vérité au pouvoir au nom des opprimés. Je crois qu'aujourd'hui, ils sont ceux qui disent la vérité aux opprimés au nom du pouvoir.

-La journaliste: A quoi attribuez-vous ce renversement?

-L'intellectuel russe: Je dirai qu'ils sont un peu dans la même situation que ce médecin qui vient se confesser dans les Frères Karamazov auprès d'un grand religieux. Ils veulent se charger de la misère du monde. Mais la pitié est un sentiment de domination. En s'occupant des faibles, ils affirment dans le même temps leur volonté de prendre la place de Dieu. Non pas d'humilier Dieu, qui serait responsable de cette misère et qui n'en prend pas soin. Mais bien de le concurrencer. Alors, ils sont comme ce médecin russe: à force d'aimer l'humanité, ils ont fini par détester les hommes...

Noir.

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