C'était il y a quelques années déjà, un témoignage d'une personnalité du monde artistique faisait la une du Monde.fr. Une metteuse en scène, je crois. Elle était sur un pont, sereine, l'esprit réceptif aux myriades d'impressions que peut susciter la traversée au-dessus de l'eau. Mais précisément, au bout de ce pont, intervenaient deux policiers soucieux d'appliquer les directives ministérielles touchant à "la gestion des indésirables". Le jeune garçon contrôlé-un noir- la peur au ventre, avait pris le parti d'échapper à tout prix au processus légal et dégradant qui devait le mener jusqu'au renvoi final dans un pays d'origine supposé. Dans sa course, il avait heurté d'inscouciants badauds puis, cerné par les flics et son imaginaire, il s'était jeté à l'eau pour ne jamais remonter.
C'était l'un des premiers témoignages que l'on put lire avant d'entendre le chiffre fracassant des 30 000 expulsés par an. Mais précisément, il ne s'agissait pas dans ce cas d'expulsion. C'était une condamnation à mort, impromptue mais prévisible. J'ai peu entendu depuis la sortie de l'écrasant "30 000" d'autres récits de cette nature, si ce n'est dans les newletters de RESF ou dans les chroniques de rétention de la CIMADE. Il y a peut-être une raison sociologique à cela. L'espace public n'est pas l'espace populaire. Le public n'est en rien le peuple.La maitrise des règles formelles et symboliques d'expression les distingue. Ne témoigne pas qui veut.
Pourtant, on peut douter que de tels drrames aient cessé d'advenir. Mais le langage du politicien a gagné contre la spontanéité du témoignage. Arnaud Klarsfeld affirmait encore il y a peu sur France Inter que l'expulsion n'avait rien en commun avec la mise à mort. Comme si le renvoi d'un homme malade dans un pays ne disposant pas de système de santé efficace n'équivalait pas à une condamnation. Comme si ce garçon qui se jeta à l'eau -et dont nous ignorerons le nom à jamais- aurait du assumer sa part de responsabilité dans sa noyade.
L'écart est trop grand entre les mots du témoin et ceux de l'interview politique. La main qui signe un décret ne semble jamais exposée à la violence qu'elle produit. C'est cette distance folle entre le politique et ses conséquences que je souhaiterais dans ce blog commenter. A défaut d'être journaliste et de mener une enquête, le choix du blog est celui du témoin. Le témoin donne son sentiment, il livre à brut les cris de la rue et le silence des irréguliers. Il fait remonter les paroles de ceux qui ont sombré. Mais il n'a d'autre choix de retranscrire les paroles des assujettis car celles-ci sont parfois devenues trop inaudibles. J'espère que l'on pardonnera cette infidélité.